Voilà l'été, voilà l'été...! Avec son petit bijou aux sonorités afro-brésiliennes baptisé "Café Com Leite", le Dj/producteur canadien Poirier tape dans le mille, illuminant notre petit quotidien de confiné d'une pleine lumière estivale. Plutôt bien accompagné, puisqu'il a convié à ses côtés la délicieuse Flavia Coelho, il nous donne un premier aperçu de son nouvel opus intitulé Soft Power, à paraître le 19 Juin prochain sur le label new-yorkais Wonderwheel Recordings... Ça promet!
Jambu e Os Miticos Sons da Amazônia (Analog Africa/Modulor)
Belém, ville de l'estuaire des fleuves Tocantins et Pará, dans le nord du Brésil et patrie de la vénérable DonaOnete - qui nous régalait il y a peu avec son dernier opus Rebujo - a toujours été le centre névralgique d'une culture diversifiée où se sont croisés amérindiens, africains et européens. En a résulté un brassage continu de langues, de traditions et de rythmes qui a donné naissance à de nouvelles formes musicales telles que le carimbo, le lundun, le banguê ou la siria.
C'est la bande-son festive et fédératrice de cette scène effervescente aux multiples facettes, mêlant à la fois religions, folklores et modernité, que le label Analog Africa nous présente dans sa nouvelle compilation baptisée Jambu e Os Miticos Sons da Amazônia. Composé de 19 titres édifiants, le disque exprime dans un déferlement de percussions frénétiques, de cuivres tapageurs et de mélodies entêtantes toute la richesse musicale de la ville portuaire.
Gabriele Poso Presents The Languages Of Tambores (BBE Records)
Le multi-instrumentiste italien Gabriele Poso est passionné par les percussions depuis sa plus tendre enfance. Véritable raison de vivre, il les étudie à Porto Rico puis à Cuba avant de matérialiser en 2008 cette fascination qu'il voue à cette famille d'instruments, par un premier album paru sur le prestigieux label d'Osunlade, Yoruba Records. À son From The Genuine World succèdera Invocation, second opus entièrement joué, chanté et produit par Gabriele. Ce dernier lui vaudra une certaine considération à l'internationnale notamment grâce à ses prestations live impressionnantes.
C'est donc en connaissance de cause que l'artiste publie chez BBE Records la collection The Languages Of Tambores, un hommage musical et spirituel de 14 pistes, retraçant les influences majeures de l'artiste. S'y écoutent ici, le touché afro-jazz-fusion du percussionniste brésilien Dudu Tucci ou la rythmique plus traditionnelle de la légende ghanéenne Mustapha Tettey Addy et là, le sublime "Naja" du virtuose algérien Guemou encore les sonorités afro-colombiennes de la diva Toto La Monpesina...
Un tour d'horizon très complet, intégrant même un "Cafe de Ochun" à l'afro groove hypnotique signé par notre serviteur lui-même.
En 2014, le plus brésilien des musiciens américains Arto Lindsay publiait un double disque intitulé Encyclopedia Of Arto: une sélection de 12 titres composés entre 1996 et 2004 était accompagnée d'un live expérimental, enregistré en solo à Berlin en 2011. L'occasion était alors idéale pour découvrir la richesse de la palette sonore d'un artiste singulier, novateur et explorateur, esthète et provocateur, sensuel et séducteur pour son penchant sexy Arto, tumultueux et bouleversant pour son autre facette scary Arto.
Avec son nouveau Cuidado Madame, premier album-studio depuis Salt paru en 2004, Arto nous plonge à nouveau dans son univers bipolaire, ponctué d'un côté d'élans avant-gardistes dévergondés et décadents, habité de l'autre des rythmes afro-brésiliens de Bahia et des mélodies accrocheuses de la pop. Les percussions traditionnelles des cérémonies religieuses du Condomblé (jouées aux atabaques par Gabi Guedes, Jaime Nascimento, Ricardo Braga, Gabi Guedes, Iuri Passos et Icaro Sa) se confrontent ainsi aux bidouillages bruitistes de sa guitare et aux sonorités étincelantes de celles de Patrick Higgins, aux grooves hypnotiques du bassiste Melvin Gibbs, à la versatilité du batteur/beatmaker Kassa Overall et aux ambiances tantôt sombres tantôt radieuses du claviériste Paul Wilson.
Arto juxtapose avec une élégance sans pareille les textures acoustiques et l'électroniques, le rock de Brian Eno, le punk hardcore de John Zorn et le trip-hop de Portishead au tropicalisme de Caetano Veloso et aux ballades sophistiquées d'Antonio Carlos Jobim. Il est capable dans le même disque de nous offrir des compositions barrées, informes, rageuses et amélodiques, à l'instar d'"Arto Vs. Arto" (où il extirpe des sons torturés des entrailles de sa guitare électrique), des chansons touchantes et envoutantes comme "Pele de Perto", "Each to Each" ou 'Seu Pai", voire délicieusement funky, comme "Tangles". Cuidado Madame est à l'image de son auteur: "la juste synthèse entre musique expérimentale et populaire".
La diva septuagénaire originaire de Belem, Dona Onete, nous présente son second opus intitulé Banzeiro, il succède à l'excellent Feitiço Caboclo paru également chez Mais Um Disco en 2014.
Devenue chanteuse sur le tard, cette ancienne professeur d'histoire, chercheuse et représentante syndicale, poursuit son exploration du folklore nord-est amazonien nous offrant 12 nouvelles chansons engagées et coquines, une particularité qu'elle revendique et pour laquelle elle doit une partie de son succès au Brésil. Reflétant à merveille le métissage entre indigènes du bassin de l'Amazonie et descendants d'esclaves africains, la pétillante Dona a élaboré son propre style musical, suave et festif, baptisé carimba chamegado.
Dans son sulfureux Banzeiro empreint de boléro, de sonorités caribéennes (calypso et merengue) et de rythmes afro-brésiliens (boi bumba et banguê), cette figure emblématique de l'état du Pará chante avec passion l'amour, le sexe et la vie en général, notamment tout ses petits plaisirs simples issus du quotidien.
Le percussionniste brésilien Pedro Sorongo, alias Pedro Santos, Pedro Dos Santos ou encore Pedro Da Lua, publiait en 1968 l'énigmatique et hypnotique Krishnanda, unique chef d'oeuvre qu'il sortit sous son propre nom. Il ne nous reste que très peu d'information sur ce virtuose carioca né en 1919, inventeur d'instruments, plasticiens, poète, philosophe et géniteur d'une musique spirituelle empreinte de psychédélisme, de folk, de rythmes africains, de mélodies orientales, de MPB (musique populaire brésilienne), de jazz, de bossa et de samba.
Au chant, aux percussions et aux effets, le mystique Pedro accouchait alors d'un disque emblématique aux sonorités cosmiques et avant-gardistes, dont le grain de folie fait encore aujourd'hui des émules, je pense à Madlib, Seu Jorge, Floating Points, Dj Nuts et Kassin. Non seulement fin rythmicien mais aussi mélodiste affirmé et auteur/compositeur bien plus apprécié en Europe que dans son Brésil natal, il n'a jamais étudié le solfège, il créait pourtant du son à partir de tout et de rien.
Loin d'être ce genre d'artiste visionnaire vivant à l'écart du monde, Pedro 'Sorongo' Dos Santos était très actif sur scène et en studio, il s'est d'ailleurs illustré aux côtés des plus grandes stars de la scène brésilienne des années 60 et 70 comme Clara Nunes, Meireles, Maria Bethania, Paolinho Da Viola, Gilberto Gil, Baden Powell, etArthur Verocai...
Produits par Hélcio Milito, batteur du fameux Tamba Trio et arrangés par Joppa Lins, les 12 titres de Krishnanda sont le lègue qu'il nous a transmis et que les têtes chercheuses du label Mr Bongo sont aller nous débusquer. Une réédition essentielle!
Barbatuques, groupe de percussionnistes formé à Sao Paulo en 1995 publie chez Mr Bongo son 4° opus intitulé Ayù. Composé de 15 membres, la formation nous offre à travers sa vision et sa pratique contemporaine de la body music, une fusion singulière de folklores brésiliens et africains. Il réaffirme l'essence même du chant et des percussions corporelles en allant rechercher dans le corps - devenu instrument de musique - la source première de tout rythmes, mélodies, harmonies, timbres et textures. Carimbo, coco, toré indigène, choro, maracatu, baiana, beatbox, rock, hip-hop, kecak et autres surgissent ainsi au gré des 17 pistes d'un disque aux sonorités tribales et urbaines, acoustiques, organiques et électrisantes... Les deux légendes nordestines Nana Vasconcelos et Hermeto Pascoal, figures emblématiques au Brésil, font eux-aussi partie de l'aventure...
A noter que la musique de Barbatuques apparaît à la télévision dans diverses publicités, notamment pour Nike, Heinekenet Toyota. Les body drummers ont aussi composé pour le cinema et figurent dans la bande originale de Rio 2 et Tropa de Elite.
Je ne saurais que trop vous recommander d'écouter les sonorités ouatées, riches d'accents ethno, jazzy et latino des dernières productions du trio de producteurs brésiliens Nomumbah, vétérans du label Yoruba Records, pourvoyeur d'une deep house soulful colorée et sophistiquée,piloté par le précieux Osunlade.
André Torquato, Ale Reis et Rafael Moraes publient leur second LP baptisé Amanhã, composé de 10 titres terriblement accrocheurs et envoutants, où l'auditeur se sent propulsé dans une dimension sans pesanteur, enivré par des bass drums profondes et entraînantes. Bercé par des productions électroniques sensuelles, organiques et orgasmiques, on se prend à veiller tard histoire d'entrapercevoir les premières lueurs du jour.
La puissance mélodique de petites pépites comme "Precious" dénote d'une grande maturité et d'une solide formation de musicien. Les ambiances se suivent mais ne se ressemblent pas, plutôt chill out avec l'ouverture "Amanhã", la cadence se muscle avec "Bulan" et ses accents techy underground. Si "Crossing" est immersif, "Doll" est percussif avec ses reflets afro jazzy. "Elevation" porte bien son nom, propageant ses nappes de synthé ambient il est suivi de l'hypnotique"Lucky Fellow" puis du funky"MeinHaus" (un hommage au son de Chicago et à ses pionniers). L'enivrant "Module" nous pousse encore un peu plus loin avec ses volutes de piano réverbéré, sa section de cordes et sa bassline intrigante, "Words" nous rappelle pourquoi Nomumbah figure au catalogue de Yoruba, diffusant son énergie contagieuse et répandant ses vibrations positives.
Sa maîtrise des claviers et des percussions, la rondeur de ses lignes de basse, le choix judicieux de ses échantillons vocaux soulful et sa vison sublimée d'un groove omnipotent font de cette formation basée à Sao Polo LA sensation deep house de cette fin d'année 2016.
Loin, très loin de l'image d'Epinal convenue et exotique que
l'on se fait du Brésil, la formation Meta
Meta représente la nouvelle scène bouillonnante et engagée de Sao Paulo. Si
son inspiration est puisée dans les traditions
afro-brésiliennes, elle se nourrit surtout de la crise politique et sociale
qui ronge actuellement un pays désinformé, où haine raciale, injustice et
inégalité sèment le trouble. Il en résulte alors une fusion étrange faite de psychédélisme, d'avant-gardisme, de chants
incantatoires, d'improvisations et d'harmonies rugueuses. La chanteuse Juçara Marçal, le guitariste Kiki Dinucci et le saxophoniste Thiago França nous présente aujourd'hui
leur 3ième album intitulé MM3.
Entourés du bassiste Marcelo Cabral
et du batteur Sergio Machado, ils bousculent
une nouvelle fois les codes en explorant pour l'occasion des contrées plus
sombres qu'à l'accoutumé, dominées par des sonorités graves, urgentes, corrosives
et saturées, où le langage réaliste et
urbain s'articule autour du jazz, du rock voire du punk, alimenté de folklores issus du Maghreb ("Oba Kosô"), d'Ethiopie ("Corpo Vão") et du
Mali ("Toque Certeiro").
Graveola – Camaleão Borboleta (Mais Um Discos/Differ-Ant)
Tout récemment le label anglais Mais Um Discos nous présentait le dernier opus de la diva carioca Elza Soares :The Woman At The End Of The World. Pilotée par la tête chercheuse Lewis Robinson, la maison de disque est
devenue en seulement quelques années la vitrine internationale des nouvelles
musiques brésiliennes. Elle publiera le 29 juillet prochain le 3° disque du
sextet post-tropicalisteGraveola intitulé Camaleão Borboleta (Caméléon Papillon).
Composé de 10 titres inédits, autant influencés par le samba-reggae, le folk-rock et le pagode
baiannais que par les sonorités contestatrices
et psychédéliques du Tropicalia
des années 60, il s'appuie évidemment sur les rythmes traditionnels nordestins du
maracatu, du frevo et du ijexa, fusionnant ainsi les folklores du riche
patrimoine brésilien à l'innovation nécessaire de la musique populaire.
La comparaison avec les super groupes des 70's tels que Os Mutantes, Novos Baianos et Doces
Barbaros (formé par les immenses Gal Costa, Maria Bethania, Gilberto Gil et
Caetano Veloso) est évidente. D'ailleurs, afin d'enrichir son penchant pop électrique, Graveola s'est adjoint les services du
producteur Chico Neves (O Rappa, Lenine, Skank) qui l'a
guidé et l'a aidé à évoluer, à se réinventer, à intégrer d'autres univers musicaux
(comme le caméléon adapte sa couleur), pour finalement se métamorphoser (comme
la larve en papillon).
La formation engagée
aborde des thèmes de société brûlants, comme la question des indigènes ou la
dépénalisation des drogues, faisant de ce disque tant au niveau musical
qu'humain, une œuvre pertinente et
généreuse qui reçut l'appui de l'état du Mina Gérais par l'intermédiaire de
son programme Natura Musical (créé
pour valoriser la culture brésilienne).
Emicida –
About Kids, Hips, Nightmares and Homework… (Sterns Music/Harmonia Mundi)
Egalement proposée par le label Sterns Music, la dernière grosse sensation rap venue du Brésil était Criolo,avec son album Convoque Seu Buba paru fin 2014. C'est une autre figure de proue de
la scène hip-hop de Sao Polo qui nous
est présentée aujourd'hui avec la sortie de son nouveau disque About Kids, Hips, Nightmares and Homework… il
s'agit de Leandro Roque de Oliveira
alias Emicida.
Le poète urbain, engagé socialement et sensible à ses
racines africaines, a enregistré le disque au Cap Vert et en Angola avec la
participation d'artistes emblématiques tels que le chanteur bahianais Caetano Veloso et la diva de l'état de
Mato Grosso Vanessa Da Mata, le guitariste
capverdien Kaku Alves (qui a œuvré aux
côtés de Césaria Evora) ou le percussionniste angolais Joao Morgado.
Influencé par le Brésil des années 70 où rayonnaient tropicalisme (Chico Buarque, Gal Costa,
Milton Nascimento…) et samba-funk (Jorge
Ben, Tim Maia, Banda Black Rio,…), Emicida
alimente son flow parfois tranchant et brutal ("Casa",
"8") de notes traditionnelles nordestines héritées du forro et du maracatu. L'ensemble affirme clairement une identité hip-hop profonde avec des morceaux revendicatifs
comme "Mâe" et l'excellent "Mandume", mais se révèle
aussi dansant et chaleureux à l'image de l'ouverture "Mufete" ou de la fermeture "Salve Black 'Estilo Livre'", radieux et sensuel avec "Passarinhos Feat. Vanessa Da
Mata", "Madagascar" ou
"Chapa".
Voici un autre petit miracle de la musique brésilienne ressuscité
grâce à l'expertise de Mr Bongo. Os Orixas est un disque fondamental paru
originellement en 1978 chez Som Livre
et produit par Magno Salermo, il
nous présente 12 titres inspirés par la religion
du Candomblé, fruit des croyances exportées par les peuples yoruba d'Afrique de l'ouest vers les Amériques
lors des traites négrières et de leur mélange avec le catholicisme du vieux
continent.
La pochette est illustrée par le peintre Carybé qui a représenté un danseur en
tenue folklorique honorant les divinités d'origine totémique et familiale, associées
à un élément naturel. L'artiste sculpteur Mestre
DidiAsipo a rédigé un glossaire
au dos de la couverture traduisant des expressions typiquement yorubas, il rend
ainsi les paroles accessibles au plus grand nombre. Quant à l'illustre écrivain
Jorge Amado, il nous éclaire dans sa
note sur l'ambition artistique du tandem à l'origine du projet.
Composées par l'immense auteur/ multi-instrumentiste Luis Berimbau et écrites par le poète/compositeur
Ildasio Tavares, tous deux natifs de
Salavador da Bahia, les chansons
sont interprétées par la divine chanteuse pauliste Eloah (Aeluah Marize Souza Valle), placée sous la direction du chef
d'orchestre Elcio Alvarez.
Cette voix chargée
d'émotions habite une création poético-musicale dédiée aux entités du
panthéon afro-brésilien et représentative de la polyrythmie des orixas animés de percussions traditionnelles suaves
et enivrantes, on y entend par exemple à 5 reprises la fameuse rythmique
cérémoniale Ijexa. L'opus tout entier
est une subtile combinaison de
l'héritage africain et de la richesse musicale d'un peuple vivant dans son
temps, samba, funk, tropicalime, folk, jazz ou MPB (musica popular brasileira),
guitare, basse, batterie, atabaque, agogo et cuivres y fusionnent alors
pour le meilleur.
Family
Atlantica - Cosmic Unity (Soundway Records)
Originaire de Londres, la formation ethno jazz/funk Family Atlantica nous présente chez Soundway Records son second opus
baptisé Cosmic Unity. Remarqué par
les Djs Gilles Peterson et Hugo Mendez lors de la parution d'un
premier album éponyme en 2013, le groupe allie la voix puissante et racée de la chanteuse traditionnelle vénézuélienne
Luzmira Zerpa (adoubée par Manu Chao) et les arrangements afro/tropico cosmiques de son compagnon, le producteur
multi-instrumentiste Jack Yglesias
(bongos, flûte,...).
Membre du fameux The
Heliocentrics, qui a notamment collaboré avec le maître Mulatu Astaké dans Inspiration Information en 2009, Jack est passé par l'excellent Quantic
Live Band de Will Holland avant
de se concentrer sur ce projet transatlantique réunissant autour de la diva le
percussionniste nigérian Kwame
"Natural Power" Crentsil et le guitariste Adrian Owusu.
Renforcée par une section cuivre explosive, composée du
saxophoniste alto Marshall Allen (leader
du Sun Ra Arkestra affichant tout de
même 91 printemps au compteur) et du saxophoniste ténor Orlando Julius (jeune nigérian septuagénaire, pionnier de l'afrobeat), la Family Atlantica affiche un tas d'influences, empruntant autant au highlifeghanéen qu'à la tradition nordestine du baiao brésilien, en passant par le blues éthiopien, le steel
drum caribéen, la rumba cubaine,
le calypso, le jazz fusion ou la tornada et
le tambor vénézuéliens… Le tout
baignant dans une mixture épicée parcourue de sonorités psychédéliquesintergalactiques.
Une diversité qui se reflète dans les textes engagés que Luzmira interprète en anglais, yoruba, espagnol et portugais.
Elza Soares
- The Woman At The End Of The World (Mais Um Discos/Differ-Ant)
A presque 80 ans l'icône carioca Elza Soares n'en finit pas de nous surprendre, se réinventant sans
cesse et abordant des problématiques brûlantes d'un Brésil bien éloigné des
clichés. Masquant les outrages du temps par multe interventions esthétiques et
sous une épaisse couche de fond de teint, la diva aux sept vies publie son 34ième
album studio intitulé The Woman At The
End Of The World (A Mulher Do Fim Do Mundo), composé de 11 morceaux
inédits… Une première pour l'artiste !
Représentante d'un
nouveau genre musical baptisé dirty
samba ou samba sujo issu de la scène avant-gardiste paoliste, Elza nous dépeint sur fond d'histoires
sordides le portrait renversant d'un pays abusé et excessif, où racisme, sexe,
drogue et violence côtoient l'image d'Epinal du Carnaval et des plages de Rio.
Celle qui fut la protégée de Louis Armstrong dans les années
50, l'épouse de la légende du foot Garrincha
et qui partagea la scène de Chico Buarque, Caetano Veloso et autres
Gilberto Gil, a toujours voulu innover
sa samba l'associant au jazz, à la soul, au hip-hop, au funk ou à la musique
électronique. C'est avec le free
jazz et le rock que l'octogénaireà l'énergiepunk décide
aujourd'hui de fricoter, dans un disque
dur et éraillé où la MPB (musica
popular brasileira) est largement mise à mal. Le batteur/percussionniste Guilherme Kastrup en est le maître d'œuvre,
conviant aux côtés de la chanteuse les auteurs, musiciens et compositeurs de
SP: Kiko Dinucci, Rodrigo Campos, Felipe Roseno, Marcelo Cabral, Thiago
França, Douglas Germano, Clima, Celso Sim et Romulo Froes…
Sa voix rauque et
vibrante dans l'ouverture en acapella "Coraçao
Do Mar" (poéme d'Oswald de
Andrade, auteur moderniste du célèbre Manifeste Anthropophage), nous fait
calmement glisser vers la sublime samba
triste "A Mulher Do Fim Do Mundo"
où accents électro et guitares saturées
nous annoncent d'emblée une musique grave et pesante, exprimant douleur, désespoir et colère…
Les cordes viennent rajouter une touche de lyrisme hypnotique et terriblement
captivant à un titre qui demeure plutôt soft au regard de ce qui suit.
En effet tout se gâte à partir de "Maria Da Vila Matilde", la samba devient bruyante (samba
esquema noise), une chape de plomb s'abat sur l'auditeur avec cette chanson
sombre et corrosive où Elza incarne une
femme battue (du vécu?)
avertissant son ex-compagnon de ne plus l'approcher sinon "você vai se
arrepender de levantar a mao pra mim" (tu
vas regretter d'avoir levé la main sur moi).
"Luz
Vermelha" et sa mélodie
dissonante aux reflets psychédéliques nous livre ensuite une réflexion
pessimiste et effrayante sur le monde…
Le très explicite "Pra
Fuder" ("pour baiser")
et son air desamba afro-punkendiablé
exprime le désir sexuel incandescent et sauvage d'une femme prédatrice…
L'instrumentation y est dominée par les cuivres acides de Bixiga 70.
"Benedita"
raconte l'histoire d'un transsexuel drogué accablé par les violences sociales,
violences illustrées par la distorsion des guitares tranchantes…
La moiteur du Shrine transparaît ensuite dans l'afrobeat de "Firmeza?!", qu'elle interprète en duo avec Rodrigo. Les cuivres funky rappellent bien sûr ceux de Fela Kuti…
Le tango désarticulé
et chancelant"Dança" est
post mortem, narré par une disparue qui, même réduite en poussière, veut
danser…
Dans la ballade maritime "O
Canal" est cité Alexandre Le Grand, veillant sur la construction d'un passage
près de la mer Egée et réprimant ses sujets par cupidité et désir de grandeur…
Un écho à la dictature militaire au Brésil?
Le tendre "Solto"
est l'unique titre de l'opus dans lequel il n'y a pas de perturbation sonore ni
d'agression verbale, l'orchestration y est composée d'arpèges de guitare et d'un
quatuor à cordes formant un doux écrin à la voix apaisée d'Elza, qui ne crie plus mais murmure un texte demeurant tout de même
noir et triste, faisant sans doute écho à sa liaison avec l'amour de sa vie.
En clôture de ce qui semble être le meilleur album brésilien de l'année 2015 (Rolling Stone Brazil), Elza se retrouve à nouveau seule , nous offrant un second acapella touchant, surgi d'une nappe électronique cacophonique et angoissante. "Comigo" est un hommage à la mère, qui malgré sa disparition reste présente auprès de ses enfants... Des mots qui résonnent de façon particulière pour la diva qui perdit un fils quelques mois avant le lancement du disque fin 2015.
Bien que les textes soient écrits par d'autres, l'artiste se les approprie et se raconte san jouer la comédie...
C'est à Paris, ville-étape située sur la route des grooves afro-brésiliens, entre Addis
Abeba et Rio de Janeiro, que la formation Camarao
Orkestra prend forme en 2008 autour du trompettiste Paul Bouclier. Largement influencés par les rythmes syncrétiques du
Brésil, les 10 musiciens élaborent un savoureux mélange fusionnant les
sonorités jazz/funk des années 70
aux traditionnels Maracatu du
nordeste, Afoxé et autres Samba… Doté d'une section cuivre puissante et de percussionnistes
aguerris à l'atabaque, à la cuica et au berimbau entre autres instruments
propres aux rondes de capoeira ou aux
rites religieux du Candomblé, l'Orchestre Crevette exprime à travers 8
titres syncopés et endiablés sa vision
captivante du groove. Un groove qui
swing dans "Saidera" ou
qui se pare d'accents afrobeat dans "Afroben" et éthiojazz dans "Baravento".
A noter la présence d'une assise rythmique plutôt funky
composée du bassiste Virgile Raffaëlli,
du claviériste Florian Pellissier et
du guitariste Farid Baha. Nous
remarquerons aussi la prestation sensuelle des chanteuses Amanda Roldan et Agathe
Iracema.
Ce premier opus au titre éponyme parait chez Clapson Records et mérite toute notre
attention car il ne reprend pas les sempiternels relents festifs "sauce brésilienne"
que nous servent souvent les batucadas et autres collectifs de rue, en effet Orkestra Camarao s'efforce de bâtir un
répertoire original et réfléchi, une identité musicale singulière…
La voix fragile et délicate du chanteur-guitariste et
philosophe bahianais Tigana Santana nous
dévoile avec poésie et profondeur sa vision d’un Brésil encré dans ses racines
africaines. Son troisième opus intitulé Tempo
& Magma est un diptyque (Interior
et Anterior) composé de 14 titres touchants et inspirés où
convergent avec subtilité les folklores du Sénégal et de sa terre natale
Salvador de Bahia. Malgré sa jeunesse, l’artiste s’exprime avec la sagesse folk un brin mystique des vieux
routards, on le compare d’ailleurs au regretté Terry Callier avec son timbre grave, doux et suspendu. Imprégné par
le Candomblé, religion vouant un
culte aux orixas et se basant sur la croyance en l’existence d’une âme propre à
la Nature, Tigana déploie une
musique spirituelle, éthérée et essentielle où les rythmes fondateurs de l’Afrique
interprétés par des musiciens sénégalais, maliens et guinéens sont enrichis avec
élégance de ses arpèges de guitare entêtants et de son chant ensorceleur.
Véritable chantre de la culture afro-brésilienne à l’image de l’immense
percussionniste Nana Vasconcelos, notre
griot a choisi dans ce projet d’incarner le Brésil à travers deux personnalités
importantes, la chanteuse de Sao Polo Céu
(que l’on peut entendre dans Nza (The
Universe Created Itself) et There
IsA Balm Gilead /Luzingu) et la prêtresse
du Candomblé Mae Stella Oxossi, dont
l’aura et la pensée habitent Tempo &
Magma tout entier.