Abd Al Malik - Scarifications (Pias)
Abd Al Malik est l'artiste de tous les paradoxes.
Accumulant depuis plusieurs années un palmarès de récompenses assez
impressionnant, le poète est "lyricalement un stremon" aussi
bien capable de citer dans la même phrase Balavoine, Opération Dragon,
Amy Winehouse et Albert Camus que d'écrire et réaliser son
propre film, ou bien d'admirer Brel, Darc, Téléphone et Radiohead
tout en rêvant en secret de bosser en studio avec Quincy Jones et
l'équipe de Thriller du King Of Pop Michael Jackson.
Originaire de Strasbourg, le rappeur éclectique fan de Malcolm
X, Gil Scott Heron et The Last Poets dépoussière et rafraîchit l'image d'un hip-hop français souvent
sclérosé et décérébré, en y injectant avec son slam fracassant des textes
sophistiqués, parfois engagés et toujours raffinés.
La complicité liant le pâpe de la techno française au rappeur est
d'emblée frappante, avec Bilal (frère et partenaire de studio
du slameur philosophe), ils forment un combo incisif et redoutable. Les
ambiances de Scarifications sont parfois sombres et pesantes voire
inquiétantes, l'artiste y fait son introspection et nous raconte son adolescence
de dealer et de voleur à la tir, marquée au fer rouge par la violence de
son quartier de Neuhof et la mort de ses amis victimes
d'overdose. Ce disque très personnel est la confidence urgente, rageuse et
fascinante d'un homme conscient de ses failles; mais renforcé par ses
erreurs il se dresse fièrement dans "ce monde qui est une
tombe". Le slam d'Abd Al Malik y laisse sa peau au profit d'un rap
underground pressant et tranchant.
Les pulsations digitales de Garnier plongent l'auditeur dans
l'obscurité, ses nappes de synthés et de drone glaçants et ses
rythmiques dubstep l'enveloppent mais ne l'étreignent pas.
Ces instrus fracturées sont aux antipodes des productions électro
pop mainstream positives et superficielles, les beats y sont lourds et
assommants autant que les mots qui écorchent et atteignent leur
cible en pleine tête. Les quartiers chauds de Strasbourg battent aux rythmes de la techno de Détroit, un accord osé qui fonctionne mais qui intrigue!
Paroles et Musiques : Abd Al Malik – Bilal – Laurent Garnier
PAROLES :
C’est soit le deal soit c’est l’usine
Grandir dans un monde ou l’altérité est assassine
Diplômé de la rue une autre vie estudiantine
La même couleur mais pas le destin de Lamartine
Si on s’arrête un instant que nous enseigne-t-on
On s’en sort si on le veut vraiment
J’ai poussé ma réflexion le soleil était absent
Je me suis fait pluie en attendant
Mais tout prend l’eau trop de mecs nous bassinnent
C’est comme dans Matrix le règne des machines
Du rap ne subsiste que le bacchique
La mort de Pavlos Fyssas est-elle un hic
Mais rien n’est illogique de la crise naissent tous les fascismes
Classique l’Histoire ne se répète pas mais rime
Abîme toujours les mêmes drôles de mise en abîme
Effets miroirs toutes les vies comestibles
Ghettos Ter Ter et guerres intestines
Je suis né dans le pays de la guillotine
Muslim et Noir de peau qu’est-ce qui me détermine
Qu’est-ce qui se joue dans ma poitrine
Mon cœur cesse de battre parfois c’est la routine
Est-ce donc ça qui discrimine
Je n’entérine aucune nouvelle doctrine
Ne suis-je pas un enfant de la république
Hun Hun de la République
Lyricalement j’suis un stremon
J’suis un stremon…