Kevin Braci Quintet - Au Croisement des Mondes (Déluge/Socadisc)
Le guitariste Kevin Braci, diplômé du Conservatoire régional de Montpellier et du Centre des Musiques Didier Lockwood en Seine-et-Marne, publiait le 08 Octobre dernier son premier opus baptisé Au Croisement des Mondes. Le musicien trentenaire, entouré de quatre autres jeunes loups du jazz parisien, nous propose un recueil de 8 compositions puissantes et inspirées, influencées par la musique réunionnaise (le maloya en particulier), le rock hybride des Rage Against The Machine et des Red Hot Chili Peppers, ainsi que par le jazz contemporain de Kurt Rosenwinkel ou Bill Frisel (2 de ses références absolues à la guitare). Brillamment épaulé par le soliste virtuose Maxime Bertonau saxophone soprano et par l'excellent pianiste Auxane Cartigny, Kevin est également soutenu par un redoutable tandem rythmique, que forment les talentueux Pierre Elgrishi à la basse et Leo Danais à la batterie.
Ce quintet épatant nous offre un jazz frais au groove énergisant et coloré, une belle découverte!
Strata Records - The Sound of Detroit - Reimagined By Jazzanova (BBE Music)
Le label BBE Music est passé maître dans l'art du teasing et comme souvent chez lui, le titre du projet met déjà l'eau à la bouche! En effet il a le chic pour mettre en haleine ses afficionados et le premier single dévoilé fin 2021 de l’opus présenté ici, en est la preuve! "Creative Musicians" et ses nuances afrobeat (titre initialement enregistré en 1973 par Lyman Woodard Organization et spécialementrepensé par Jazzanova), annonce la couleur et se voit pour l'occasion flanqué des excellents remixes orchestrés par Waajeed et Henrik Schwarz.
Strata Records - The Sound of Detroit - Reimagined By Jazzanova - qui paraîtra le 22 Avril prochain - est le fruit d'une collaboration de BBE avec DJ Amir et son 180 Proof Records, le disque célèbre l'héritage de l'emblématique label de Détroit Strata, chantre de la contre-culture jazz des années 70, que l’ancien artiste de Blue Note, Kenny Cox, fondait en 1969.
La formation allemande Jazzanova, égérie depuis la fin des années 90 des cultissimes Compost Records puis Sonar Kollektiv, insuffle une nouvelle vie à 11 morceaux triés sur le volet, extraits du catalogue Strata qu'Amir Abdullah a commencé à rééditer en 2011. Le collectif berlinois formé en 1995, qui se composait à l'origine de DJs/producteurs et collectionneurs fascinés par les vieux disques aux sonorités funk, jazz, disco et latines, s'est élargi depuis 2009, accueillant d'excellents musiciens venus enrichir sa palette musicale et interpréter en live des sons classiques, mais aussi ses propres créations, empruntes de post-bop, de broken beat, de house ou même du hip-hop. La rencontre d'Amir et de Jazzanova autour du répertoire révolutionnaire de l'obscur label de la Motor City, coule donc de source et sonne comme une évidence !
Stefan Leisering, membre fondateur du groupe, précise que Strata Records - The Sound of Detroit - Reimagined By Jazzanova n'est pas un album de reprises mais d'adaptations ou plutôt de réappropriations, nous facilitant l'accès à un trésors oublié. Il réactualise l'esprit 70's aux accents spiritual et soul jazz de Strata, en alignant notamment des touches urbaines plus contemporaines. Jazzanova dote les 11 thèmes d'un groove musclé plus punchy et accrocheur que jamais, sur lequel les cuivres omniprésents s'expriment avec brio. A noter la prestation remarquable de l'élégant Sean Haefeli, nom d'un jeune crooner et claviériste berlinois à retenir !
Hasse Poulsen et Thomas Fryland - Dream A World (Das Kapital Records/L'Autre Distribution)
L'hyperactif Hasse Poulsen, guitariste, improvisateur, compositeur, chanteur et auteur - notamment co-pilote de la formation Das Kapital - nous revenait le 21 Mai 2021 avec le poétique et politique Dream a World, un nouveau projet élaboré en duo avec le trompettiste danois Thomas Fryland. Ce recueil tendre et intimiste qu'Hasse a entièrement interprété à la guitare acoustique, rassemble 14 pépites empruntées à des géants du jazz, de la folk ou de la musique classique. Présentés dans leur plus simple apparat, ces morceaux d'anthologie tels que "The Time They Are A-Changin'" de Bob Dylan, "Hallelujah" de Leonard Cohen, "Imagine" de John Lennon, "Hymn To Freedom" d'Oscar Peterson ou encore "l'Ode à la Joie" de Beethoven, résonnent ici et aujourd'hui d'une façon toute particulière. Passées à la postérité et devenue des symboles universels de résistance, de prise de conscience et de liberté, ces mélodies incontournables que le tandem habille juste de l'essentiel (avec comme couleur dominante le bleu), font mouche à nouveau, plongeant l'auditeur dans un état de contemplation mais aussi de réflexion, au regard d'une époque troublée, où les pires aspects de notre humanité semblent redoubler d'intensité...
Le label français de jazz fondé en 2015, Aléa, entamait il y a peu la réédition d'une série d'albums du projet Ilium, formation à géométrie variable menée au cours des années 2000 par le pianiste et claviériste parisien Pierre de Bethmann. Le disque éponyme Ilium et Complexe, respectivement enregistrés en 2003 en 2005 refont donc surface en premier, avant qu'au printemps 2022 ne soient republiés Oui et Cubique, puis Go en fin d'année. Portés par les sonorités électriques du piano rhodes, les deux opus - au sein desquels évoluent des musiciens d'exception tels que David El Malek au saxophone, Michael Felberbaum à la guitare, Clovis Nicolas puis Vincent Artaud à la contrebasse et Franck Agulhon à la batterie - expriment un groove accrocheur, parfois fougueux et souvent sophistiqué, mêlant habilement virtuosité, générosité, lyrisme et élégance. 15 ans après ses premiers pressages, le jazz d'Ilium ne semble pas avoir subi les outrages du temps, d'où l'intérêt de s'y replonger...
C'est au détour d'une écoute suggérée par les algorithmes d'une plateforme de streaming, que j'ai découvert les tendres nuances polynésiennes de la futur soul ouatée et terriblement accoucheuse de Mara TK, chanteur métisse, aux origines maoris et écossaises, officiant depuis 2009 dans la formation néo-zélandaise, Electric Wire Hustle. En mai dernier, il publiait sur le label Extra Soul Perception,son premier opus baptisé Bad Meditation, un recueil de 13 compositions qu'il a entièrement réalisé et interprété en solo, après 5 années de tâtonnements et d'apprentissages en studio. Abordant les thèmes universels de l'amour et de la perte, de l'enfance et de l'héritage culturel légué par ses ancêtres, Mara accouche d'un petit chef d'œuvre aux sonorités hybrides, où se mêlent avec sensualité des éléments acoustiques organiques et des textures électroniques immersives. On pense à Maxwell et sa néo soul nébuleuse, à Marvin Gaye bien sûr, à ses compatriotes du Fat Freddy's Drop, mais aussi à Adrian Younge et à l'incontournable H.E.R.... Mélancolique et hypnotique, le groove magique du jeune artiste fait mouche à tous les coups, caressant l'auditeur avec ses lignes de basse langoureuses et funky, dodelinant sur des nappes de claviers délicieusement dissonantes, des arpèges de guitares folk ou électriques aux saveurs vintage et des lamentations de cordes fragiles et émouvantes... Le tout, aligné sur des rythmiques de percussions et de batteries aux charmes indicibles et à l'efficacité indécente.
Fabrice Tarel Trio - Flower In The Desert (Tetrakord/Inouie Distribution)
C'est un bien bel album que nous présentait le 15 Octobre dernier le pianiste Fabrice Tarel et son épatant trio. Accompagné par une section rythmique inspirée, que pilotent ses complices Yann Phayphet à la contrebasse et Charles Clayette à la batterie, le compositeur et arrangeur français nous dévoile - pour la cinquième fois dans ce format qu'il affectionne tout particulièrement - un jazz fluide et mélodique, profondément immersif et hypnotique.
Son esthétique (qui marie mélancolie et ultra-sensibilité, harmonies colorées aux influences classiques et swing chaleureux qui se muscle volontiers) se rapproche d'une certaine scène londonienne actuelle - qu'il a activement côtoyé pendant ses études au Leeds College of Music - ainsi que des grandes figures du piano jazz moderne,notamment l'immense Bill Evans.
Intitulé Flower In The Desert, le recueil paru sur le label Tetrakord aligne 8 titres dont 7 thèmes originaux, à l'écriture résolument inventive et poétique. Une belle découverte !
Le quintet d'Adrien Chicotnous régale en cette fin d'année avec l'excellent Babyland. Le pianiste parisien nous l'adressait le 15 Octobre dernier via Gaya Music, entouré par un casting de haut vol. En effet, lui qui nous avait habitué, jusque-là, à la sacro sainte formule piano/basse/batterie - on se souvient notamment de City Walk en 2018 - s'exprime ici avec le soutien d'une section cuivre éblouissante, formée par les incontournables Ricardo Izquierdo au saxophone et Julien Alour à la trompette. Avec l'assise rythmique du contrebassiste Sylvain Romano et du batteur Antoine Paganotti, la formation captive son auditoire, l'abreuvant d'un jazz élégant, énergique et intense, où il est question d'enfance, de souvenirs, de jeux et d'insouciance. Ce brillant opus alignant 8 compositions originales gorgées de vibrations positives, s'apprécie d'autant plus que la période que nous traversons semble s'éterniser, avec son lot de noirceur et sa suite d'incertitudes.