Régis Huby, Bruno Chevillon, Michele Rabbia - Codex III (Abalone/L'Autre Distribution)
Les 3 complices que sont les jazzmen Bruno Chevillon (contrebasse), Michele Rabbia (percussions/batterie) et Régis Huby (violons), publiaient le 28 Mai dernier l'immersif Codex III, un recueil de 7 pièces ambient, basées sur l'improvisation et la composition en temps réel. Entre les sonorités acoustiques de leurs instruments respectifs, qu'ils explorent de façon singulière et les textures électroniques, qu'ils tissent et qu'ils combinent en live, les musiciens parviennent à élaborer un univers sonore complexe et pluriel, à la fois méditatif ("New Chapter", "In The Distance") et hypnotique ("Another Face"), angoissant ("The Missing Page") et bruitiste ("Suspensive World").
Laissant libre cours à son imagination et à son expertise des musiques improvisées, le trio invente son propre langage fait de pulsations nocturnes et d'atmosphères sci-fi aux tensions électro-acoustiques dramatiques, de grondements organiques et de rugissements glaçants, de notes dissonantes et de murmures subaquatiques.
Thierry Eliez - Sur L'Ecran Noir (Le Triton/L'Autre Distribution)
Le pianiste et chanteur Thierry Eliez, pilier discret du jazz hexagonal, publiait le 25 Juin dernier SurL'Ecran Noir, un album tendre et intimiste reprenant 13 chansons écrites par Michel Legrand pour Claude Nougaro. En conviant 10 voix incontournables de la scène musicale française - un casting haute couture qui brille par sa diversité et sa justesse - ila souhaité rendre hommage à ces deux monstres sacrés: au poète toulousain bien sûr, qu'il admire depuis sa plus tendre enfance, mais aussi à l'immensecompositeur aux trois Oscars, auprès duquel il a si souvent collaboré.
Accompagnant ainsi Alain Chamfort, Médéric Colignon, Stella Vander, Célia Reggiani, JP Nataf, Ceilin Poggi, Thomas de Pourquery, Paloma Pradal et Manu Domergue, le pianiste aux mille facettes a su redonner vie à ces pièces sublimes dont l'écriture est évidemment très cinématographique.Jusque là, elles n'avaient jamais véritablement trouvé d'autres voix que celle du Petit Taureau, surnom affectueux que l'on donnait à l'auteur des intemporelles "Nougayork", "Cécile ma fille" ou encore "Tu Verras".
Si Eliez s'attèle magistralement à élaborer les parties instrumentales des chansons, il donne également de la voix à deux reprises, lors de l'ouverture avec l'emblématique "Le Cinéma", ainsi qu'en clôture avec l'envoutant "Le Paradis", où il s'illustre en duo avec la divine Ceilin, œuvrant aussi à la direction artistique de l'opus.
Paru le 07 Mai dernier sur le label limougeaud Laborie Jazz, le singulier Impermanence est le premier opus du trio toulousain Lioness Shape, très beau projet jazz prog. aux accents world et indie pop, piloté par la chanteuse et compositrice Manon Chevalier. Epaulée par les précieuses Ophélie Luminati à la batterie et Maya Cros aux claviers, elle interprète en anglais, français ou espagnol des textes forts et engagés, habillés de mélodies touchantes aux couleurs musicales intrigantes.
Les ambiances changeantes et les mélanges curieux (aux notes électriques parfois dissonantes) que nous présente le disque, font voler en éclats les conventions et les a priori. La voix douce et enivrante de Manon plane sur les textures et les rythmiques tour à tour volcaniques et immersives que brodent soigneusement ses deux complices. Lioness Shape élabore ainsi au long des 10 compositions d'Impermanence des atmosphères fusion à la beauté fugace, troublante et tenace.
On pense à Björk bien sûr, mais également au jazz scandinave... Mention particulière pour le très soulful "Self Reliance".
Eric Séva Triple Roots - Résonances (Laborie Jazz)
Le saxophoniste marmandais Eric Séva - que l'on décrit souvent comme un nomade sonore à la boulimie créative - nous revient en trio acoustique avec Résonances, un recueil de 7 compositions radieuses tantôt rythmées et entraînantes ("Résonances"), tantôt plus intimistes et contemplatives ("Reason and Heart"), où s'entremêlent avec douceur et générosité, jazz, blues et musiques populaires auxsaveurs world. Après Mother Of Pearl, son précédent album paru l'an passé, le musicien retrouve sa formule de prédilection, un format plus resserré, dans le lequel il s'entoure du contrebassiste Kevin Reveyrand (auprès duquel il œuvrait en 2018 dans l'excellent Kafé Groppi du guitariste Khalil Chahine) et du batteur/percussionniste/chanteur Jean-Luc Di Fraya. Ensemble, ils forment le Triple Roots, une rencontre de trois artistes qui parviennent à fusionner avec brio leurs racines musicales propres; une formation où l'improvisation, le goût pour la mélodie, l'envie de partager et l'écoute de l'autre se devinent dès les premières mesures.
Accompagné par ces deux pointures incontestées du jazz hexagonal, Eric nous invite donc à prendre part à sa petite virée aux 4 coins du monde, avec quelques arrêts plus marqués dans le Sud de l'Espagne par exemple sur "Les Roots d'Alicante", ou à Belle-île-en-mer avec la "Luz de Port Coton"... Un beau voyage!
Panam Panic - Love Of Humanity (Melius Prod./Inouïe Distribution)
Amateurs de musiqueélectronique, de jazzet de sonorités urbaines réjouissez-vous, PanamPanic est là!
D'emblée, le ton est donné avec "Love Of Humanity", composition qui donnera son titre au disque et qui ouvre les festivités de la plus belle des manières, avec ses nappes de claviers immersives et un déferlement rythmique véloce et précis. Elle nous replonge dans les meilleurs moments d'un jazz mutant en pleine effervescence dès la fin des années 90 baptisé nu-jazz, avec notamment ses mariages d'harmonies sophistiquéeset d'instrumentations typiquement jazz/funk, ses improvisations libres et ses incursions - plus ou moins poussées - dans différents styles musicaux comme la house, le breakbeat, le hip-hop ou encore l'ambient. On repense alors à quelques artistes marquants de l'âge d'or de l'électro-jazz hexagonal, comme DJ Cam, St Germain, Laurent DeWilde, Llorca, Metropoloitan Jazz Affair ou encore Erik Truffaz qui, avec d'autres, bousculaient les dancefloors à cette époque.
Pas étonnant donc, de retrouver en 2004 Robin Notte, tête pensante de PanamPanic, à l'origine d'un autre projet incontournable de cette mouvance, le fameux Wise et son excellent opus Electrology, au sein duquel œuvraient les cadors Guillaume Poncelet, Flavio Boltro, David Linx ou Julien Loureau.
Le claviériste parisien au CV plus que bien rempli, formait Panam Panic en 2008. Love Of Humanity est la troisième réalisation du groupe à géométrie variable, composé pour l'occasion du trompettiste Alexandre Herichon, du saxophoniste Lucas Saint-Cricq, du bassiste Pierre Elgrishi et du batteur Tao Ehrlich. Pensé en réaction à la situation que le monde subit depuis 2020, il dégage des vibrations soulful positives et fédératrices, imposant un jazz accrocheur dopé au groove, suffisamment pointu pour ravir les connaisseurs et assez accessible pour convertir les plus réticents.
On notera par ailleurs, qu'aux côtés du quintet, officient deux rappeurs américains que Robin affectionne tout particulièrement, l'emblématique Mattic (de Wax Taylor) et Yagomeans. Ils donnent au disque un supplément d'âme de choix qui rappellera aux aficionados de la fusion du jazz et du hip-hop, les travaux de Robert Glasper, Q-Tip, Jazzmatazz, Ronny Jordan, The RH Factor ou bien sûr des nantais Hocus Pocus.
Le compositeur-arrangeur, trompettiste et ethnomusicologue français, Yohan Giaume nous présentait, il y a quelques mois, l'Opus 1 de son captivant projet Whisper Of A Shadow, un hommage vibrant adressé au compositeur et pianiste virtuose du XIX° siècle, Louis Moreau Gottschalk. Prodige natif de la Louisiane, il est considéré comme l'un des précurseurs du ragtime et du jazz. Voyageur invétéré, il a également participé très largement à l'intégration des sonorités afro-caribéenneset latino-américaines dans la tradition musicale classique européenne.
Flirtant avec cette multitude d'influences musicales qui constituent et qui jalonnent l'œuvre de Moreau Gottschalk, Yohan imagine une touchante conversation qu'il aurait pu entretenir avec le musicien virtuose, disparu le 18 Décembre 1869 à Rio de Janeiro. Un échange d'une impressionnante richesse dans lequel il convie l'auditeur à redécouvrir les racines de la culture néo-orléanaise, terreau d'une fusion singulière de styles et de sensibilités musicales issu(e)s du Vieux Continent, du Berceau de l'Humanité et du Nouveau Monde. Le parisien nous invite également à entrevoir à quel point cette créativité, qui s'est pourtant épanouie dans la souffrance, est toujours aussi vivace aujourd'hui.
S'y dévoilent tour à tour - ou conjointement - et avec une étonnante cohérence artistique des airs de musique romantique et de Vaudeville, des mélodies créoles,des rythmes de marches funéraires, du spoken word ou du rhythm and blues. Le swing et le jazz traditionnel s'acoquinent avec l'opéra et se structurent en adagio, le concerto se frotte à la biguine et au gospel sur un tapis de percussions ouest-africaines...
Repensée avec une vision poétique plus contemporaine, la musique du maître américain se libère et s'ouvre encore davantage. Sous l'impulsion de Giaume et avec la précieuse collaboration du clarinettiste Evan Christopher, l'Opus 1 de Whisper Of A Shadow explore et bouscule les conventions et les traditions. Entouré d'un casting grandiose - composé d'Aaron Diehl au piano, Herlin Riley à la batterie et Roland Guerin à la basse, d'un quatuor à cordes, d'un chœur et d'une section de cuivres - le tandem s'est également adjoint les services d'invités prestigieux, comme le poète Chuck Perkins, le trompettiste Nicholas Payton ou encore le chanteur- percussionniste Philippe Makaïa...
Un voyage qui nous mène du sud des Etats-Unis vers l'Europe et l'Afrique, après un détour dans les Caraïbes et l'Amérique du Sud... Ou du Congo vers la Nouvelle Orléans, via la France, Cuba et les Guyanes...
C'est dans un univers musical bien singulier, éminemment propice au voyage et à l'évasion, que nous convie l'élégant quartet marseillais Riviera, un groupe de complices affichant tous au compteur de multiples et prestigieuses expériences artistiques. La formation publiait son premier opus au titre éponyme le 09 Mai dernier, un recueil de 13 compositions qui sera officiellement présenté le 13 Novembre à venir, dans le cadre du festival Jazz Sur la Ville.
Tout en mêlant avec beaucoup de virtuosité, de tendresse et de nostalgie les musiques traditionnelles d'ici et d'ailleurs aux sonorités jazz, classique et rock, Jérémie Schacre (guitares), Stéphane Bularz (contrebasse), Olivier Samouillan (violon, orgue, mandoline) et Guillaume Chevillard (batterie) ont élaboré un répertoire acoustique captivant, habité grâce à l'orgue et à la guitare électrique de subtiles notes psychédéliques.
Emerge de ce délicieux projet une douce poésie, faite de réminiscences méditerranéennes, latines, tziganes et manouches.