vendredi 20 novembre 2015

Thierry Maillard – The Kingdom of Arwen (Naïve)


Thierry Maillard – The Kingdom of Arwen (Naïve)

Il y a des disques qui mettent l’eau à la bouche avant même de les avoir joué, The Kingdom of Arwen, dernier opus du pianiste Thierry Maillard, en fait partie avec son casting bluffant parmi lequel se dégagent quelques invités prestigieux aux couleurs musicales singulières : le guitariste Nguyên Lê, le percussionniste Minino Garay ou le joueur de doudouk Didier Malherbe.

Mais loin d’être arrivés au bout de nos surprises, lorsque Hiéroglyphes s’ouvre avec la cacophonie du Prague Concert Philharmonic qui s’échauffe, on entrevoit alors le projet chers au compositeur de rassembler dans 12 pièces épiques au lyrisme grandiloquent, un trio jazz et un orchestre symphonique. Certes le concept n’est pas nouveau, mais la particularité de ce dernier est d’y avoir adjoint une section d’instruments ethniques. Entouré de Dominique Di Piazza à la basse et de Yoann Schmidt à la batterie, l’arrangeur n’en n’est pas à son coup d’essai puisque l’an dernier il publiait The Alchemist, enregistré avec un Orchestre de Chambre et des musiciens appartenant à la sphère world music. 

En toute logique l’étape suivante devait être  son Kingdom of Arwen et qui d’autre que Jan Kucera aurait été plus à même de diriger l’orchestre ?

Ainsi jazz, musique classique et musique du monde s’entremêlent avec maestria dans une épopée fascinante dont les références sont aussi bien puisées chez Tolkien ou Franck Zappa (Zappa) que dans l’Antiquité grecque (The Legend of Sparta’s King) égyptienne (Sphynx Part.1 et Part.2) ou le folklore scandinave (Le Monde des Elfes).

Flûte chinoise, arménienne (doudouk) et irlandaise (whistle par Neil Gerstenberg), luth grec (baglama par Taylan Arikan) percussions, violoncelle (par Olivia Gay) et guitare électrique… Un ensemble qu’il faut accorder avec la rigueur d’un orchestre symphonique et la créativité d’une formation de jazz. Il s’avère que malgré tout ce petit monde à s’occuper, il manquait à Thierry un instrument plus organique, la voix céleste de Marta Klouckova s’imposa alors à lui dans Sphinx Part.1, qui nous emmène en Orient ou en terre Celte, difficile d’y accoler une étiquette.

Fred Pallem & Le Sacre du Tympan – François de Roubaix (Train Fantôme/L'Autre Distribution)


Fred Pallem & Le Sacre du Tympan – François de Roubaix (Train Fantôme/L'Autre Distribution)

Déjà salué mainte fois et notamment dans l’excellente compilation Cinemix Vol.1 paru en 2003 et qui rassemblait une série de reworks de célèbres titres extraits de BOF françaises des années 70 , le répertoire du compositeur de musique de film François de Roubaix ne cesse de faire des émules, on se souvient entre autres du remix des cultissimes Dernier Domicile Connu ou La Mer est Grande que nous offraient respectivement Gonzales et Carl Craig, c’est aujourd’hui au tour du bassiste Fred Pallem de rendre hommage à l’emblématique compositeur disparu tragiquement en 1975 à l’âge de 36 ans.

Entouré de sa fameuse formation Le Sacre du Tympan, qu’il crée en 1998 sur les bancs du Conservatoire Supérieur de Musique de Paris, sa démarche artistique est de fusionner les musiques dites "populaires" (pop, rock) et celles considérées comme "savantes" (jazz, musique contemporaine). Dans son premier projet intitulé Le Sacre du tympan sorti en 2003, Fred Pallem croisait les influences des jazzmen Charles Mingus et Duke Ellington à celles du chansonnier Georges Brassens, du groupe rock anglais The Shadows, du compositeur américain Charles Ives et de l'italien Nino Rota. Ce mélange de sonorités et de références et cette volonté de convoquer des images allaient façonner l'identité musicale décapante du big band décalé et énergique, qui s'attaque aujourd'hui à un monument parmi les compositeurs du 7° art. L'aspect cinématographique ayant toujours été une dominante chez Fred, son précédent Soundtrax en est la preuve, relire l'œuvre d'un pionnier de l'électro et du home studio comme François de Roubaix est pour lui une aubaine et l'occasion de déballer ses vieux synthés vintages et autres instruments plugged.

Pour fêter l'anniversaire de sa disparition en mer voilà 40 ans, le Sacre du Tympan s'attèle, avec un penchant électronique, à revisiter ses thèmes les plus parlants comme celui du chef d'œuvre de Serge Korber L'Homme Orchestre ou des génériques de l'émission d'Elizabeth Tessier Astralement Vôtre et de la série policière Commissaire Moulin.

Si Un Tank Pour l'Aventure est traité comme un standard de jazz, L'Altelier l'est comme un tube psyché rock et Je Saurais Te Retenir une ballade aux reflets folk sublimée par les voix d'Alexandre Chatelard et Alice Lewis (habituée du Sacre).

Dans le très beau Boulevard du Rhum, titre d'un film de 1971 joué par Lino Ventura et BB, Fred a convié une autre chanteuse, elle aussi singulière dans le paysage de la nouvelle chanson française, Barbara Carlotti, qui interprétait en 2012 Mon Dieu, Mon Amour avec un autre invité de marque, le fantaisiste et génial Philippe Katerine qui intervient ici dans Chapi Chapo, un air semblant lui être prédestiné, qui était le générique de la série d'animation culte de la deuxième chaîne de l'ORTF. Juliette Paquereau (elle aussi régulière du Sacre), de Diving With Andy groupe pop anglophone, apparaît quant à elle dans le très aquatique Ariadne Thread.

Bref, un casting pointu particulièrement bien fourni comme d'habitude, on se souvient du plateau de guests dans La Grande Ouverture avec Sébastien Tellier, Piers Facini, Matthieu Chedid ou Sansévérino. Mais que serait le Sacre sans son ossature, composée du batteur Vincent Taeger, du saxophoniste Remi Sciuto, des claviéristes Vincent Taurelle et Arnaud Roulin ?

Le Sacre du Tympan parvient une fois de plus à souligner les mélodies intemporelles, fortement marquées par l'esprit clairvoyant et innovant de compositeurs hors normes, ainsi François de Roubaix revient d'outre-tombe grâce à l'inventivité et aux arrangements d'un musicien décomplexé.

jeudi 19 novembre 2015

Olivier Bogé – Expanded Places (Naïve)

Olivier Bogé – Expanded Places (Naïve)
Le multi-instrumentiste français Olivier Bogé nous offre son troisième opus baptisé Expanded Places. Pianiste converti au saxophone depuis la fin de son adolescence, il affiche un certain nombre de collaborations prestigieuses avec des acteurs majeurs de la scène jazz contemporaine dont la dernière en date avec l’arménien Tigran Hamasyan dans The World Begins Today.
Nous livrant un jazz cinématique très aérien et aéré, le musicien trentenaire a pris soin de composer 9 titres aux reflets impressionnistes qui malgré leurs ambiances respectives se complètent et s’harmonisent. Accompagné de Nicolas Moreaux à la contrebasse et de Karl Jannuska à la batterie, il forme un trio équilibré et vigoureux aussi bien à l’aise dans des variations rythmées au lyrisme puissant (Beyond The Valley Of Fears) que dans des flâneries au tempo lent et aux mélodies plus intimistes parfois baignées d’une douce mélancolie (What People Say). La formation est enrichie des participations discrètes mais essentielles  de Guillaume Bégni au cor et de Manon Ponsot au violoncelle.
Olivier y a enregistré toutes les parties de saxophone, mais aussi de piano, de fender rhodes et de guitare (remarquable dans le radieux The Fairy & The Beard Man), il se mue même parfois en choriste comme dans l’ouverture Red Petals Disorder, morceau qui annonce d’emblée la teneur de l’album, mêlant au jazz les sonorités envoutantes et métalliques de la folk et les combinaisons orchestrales et majestueuses de la musique classique (je pense à certains travaux de Keith Jarrett ou de Brad Mehldau).
A l’image des noms qu’il a donnés à ses pistes, l’artiste nous invite à un voyage hors du temps, le long d’une route où défilent de vastes panoramas à la beauté touchante et hypnotique. Expanded Places s’immisce alors dans nos esprits à la manière de la bande originale d’un film imaginaire, dont sa mise en scène serait déterminée par l’auditeur.
Sublime coup de coeur !
 



 

Claptone – Charmer (Different/Pias)


Claptone – Charmer (Different/Pias)

Déjà repéré depuis un certain temps grâce à ses excellentes productions, il s’est récemment fait remarquer grâce à ses remixes bodybuildés (je pense notamment à sa version punchy du succès Liquid Spirit du jazzman Grégory Porter ou bien de sa réappropriation d’Omen des frangins Disclosure) destinés aux dancefloors exigeants, férus de beats down tempo bien produits. Désormais partie intégrante du paysage électronique mainstream, l’allemand Claptone s’essaye au long format avec son premier opus paru chez Différent Recordings et distribué par Pias, Charmer. Composé de 13 titres où sont invitées quelques unes des pointures du rock indépendant Nathan Nicholson (UK), Peter Bjorn & John (Suède) et Clap Your Hands Say Yeah (USA), de l’électro Jay Jay Johanson (Suède) et Jaw (FR) ou de la pop Young Galaxy (Canada), le Dj producteur nous offre même une collaboration de haut vol avec le dandy pop finlandais Jimi Tenor sur un titre efficace, sensuel et funky intitulé Party Girl.

L’animal Claptone se laisse difficilement apprivoiser, en effet il se dissimule derrière un inquiétant masque en forme de bec de vautour (que portaient les médecins bec durant les épidémies de peste bubonique en France et qui inspira ensuite un personnage de la comedia dell’arte), emblématique du carnaval de Venise. Ainsi grimé il se permet toutes les audaces devant ses platines, distillant un son deep-house orienté chill/pop, où la voix et le chant y occupent une place importante.

Certains regretteront peut être ses premières productions plus underground comme Night On Fire qu’il sortait en 2012 sur Exploited et Cream la même année sur Defected, cependant d’autres apprécieront ses atmosphères estivales qui se rapprochent des sonorités de Feder, Milky Chance, The Avener ou Robin Schulz, qui ont animées les chaudes soirées de nos plages azuréennes l’été dernier.

Le titre phare de Charmer est sans conteste No Eyes, qui n’est d’ailleurs pas d’hier puisque la version maxi sortait en 2012, un hit en puissance que l’on entendra résonner cet hiver en before, Jaw y déploie sa voix soul légèrement granuleuse injectant à l’ouvrage un groove imparable.

Claptone a conçu des mélodies catchy qui font mouche dès la première écoute, bien que trop consensuel à mon goût, il nous délivre un effort plutôt réussi.

mercredi 18 novembre 2015

Nicola Cruz - Prender El Alma (ZZK Records)


Nicola Cruz - Prender El Alma (ZZK Records)

Le jeune producteur franco-équatorien Nicola Cruz nous présente son premier opus Prender El Alma, sur ZZK Records (label qui nous offrait il y a peu l’excellent projet La Yegros). Mêlant les sonorités acoustiques des percussions traditionnelles, des chants tribaux, des flûtes indiennes et autres guitares andines à ses textures électroniques nappées de synthés délicats et rythmées par un groove organique down tempo des plus prenants, il rapproche de façon singulière la richesse des influences indigènes précolombiennes aux possibilités infinies de la production musicale numérique contemporaine assistée de ses séquenceurs, boites à rythmes MPC et autres logiciels Ableton…

Né à Limoges mais installé à Quito, capitale de l’Equateur située sur les flancs du volcan Guagua Pichincha, le petit protégé du prodige américano-chilien Nicolas Jaar a voulu revenir à l’essence même de ses origines et rendre un hommage vibrant et intimiste à la Nature et à ses ancêtres.

Percussionniste de formation, il est depuis ses débuts marqué par « l’aspect mystique qu’offrent les percussions du monde entier », il intègre alors la dimension du rituel à ses constructions sonores. Orientant rapidement sa pratique vers l’électro, il étiquette son trip wolrd bass d’Andes Step ou d’Andes Infused Electronica, un mouvement à mi-chemin entre tradition et modernité qui fera sans doute des émules parmi la scène électronique sud américaine florissante (Dj Raff du Chili, Siete Catorce de Mexico…)

Avec ses échantillons de sons analogiques prélevés avec soin, découpés puis mis en boucle, Nicola parvient à restituer sa vision d’une culture mal connue et rarement sublimée par l’electronica. Nourri de cumbia et autres folklores locaux voisins, il s’inspire des démarches artistiques du méxicain Murcof (qui collaborait il y a quelques années avec Erik Truffaz sur le projet Rendez-vous), des anglais Matthew Herbert et Quantic (Will Holland a d’ailleurs longtemps séjourné et travaillé en Colombie) ou de l’américain Philipp Glass (…) pour nous proposer un voyage plus anthropologique que touristique. La voix des chanteuses Huaira (compagne du producteur) et Tanya Sanchez participe à nous immerger dans cette exploration « des mythologies ancestrales vues par le prisme du monde moderne », immersion amplifiée par les rythmiques répétitives hypnotiques et les efforts particuliers à bâtir des structures instrumentales sonnant « comme si un groupe était en train de les jouer ».

Une belle surprise et une magnifique découverte !

lundi 16 novembre 2015

Anne Carleton – So High (Quart de Lune/Rue Stendhal)


Anne Carleton – So High (Quart de Lune/Rue Stendhal)

A la croisée de sonorités issues du jazz et de la musique classique, la chanteuse et plasticienne Anne Carleton nous livre un opus envoûtant et singulier intitulé So High.

Entre poésie, slam, chanson et textures électroniques, elle distille avec grâce et tendresse 12 plages délicates gorgées de fragilité, de douceur et de beauté. Parmi ses subtiles compositions ainsi que celles de Jean-Philippe Viret (Le Temps, Confusion) et de Carine Bonefoy (Why Are You Gone), on remarque de sublimes reprises de succès pop, comme l’éblouissant Norwegian Wood de The Beatles et l’aérien Wild Is The Wind, immortalisé par Nina Simone.

Entourée de Laurent Guanzini au piano, de Benoït Dunoyer de Segonzac à la contrebasse, d’Eric Moulineuf au design sonore et d’un quatuor à cordes vibrant, Anne convie quelques invités de cœur dont Ninon Valder au bandonéon, ses deux filles Prune et Ambre au chant, puis l’illustre philosophe Edgar Morin, qui mêle sa voix aux ambiances musicales cinématiques de l’album.

Elle déploie d’une voix cristalline une onde radieuse éclairant des titres puissants et profonds, s’interrogeant et interrogeant différentes personnes sur des thèmes universels tels que l’espoir, la liberté, l’amour, l’enfance ou l’existence…

Une belle découverte !

Jonathan Orland – Small Talk (PJU/Absilone/Socadisc)


Jonathan Orland – Small Talk (PJU/Absilone/Socadisc)

Mêlant son esprit d’aventure inspiré par le jazz moderne aux sonorités d’Europe de l’Est et klezmer, le jeune saxophoniste alto Jonathan Orland publie son second opus intitulé Small Talk. Entouré du contrebassiste Yoni Zelnik, du batteur Donald Kontomaou (fils de la diva Elizabeth) et du guitariste prodige originaire de Salvador de Bahia Nelson Veras, il interprète avec éloquence, exigence mélodique et qualité harmonique 12 titres, dont 8 compositions et 4 reprises.

Après son premier Homes, enregistré en quintet à New York avec d’anciens collègues de promo du Berkelee College of Music où il a étudié auprès de George Garzone et Joe Lovano, il organise régulièrement des sessions avec Yoni puis Donald et de la rencontre avec Nelson naîtra peu à peu l’envie de graver l’interaction et la complicité du quartet en studio d’enregistrement.

Comme l’indique le titre de l’album Small Talk qui se traduit par « conversation légère et spontanée », la liberté est un des maître-mots du projet, chaque musicien exprime sa créativité au travers de thèmes inspirés du répertoire traditionnel yiddish (Reysele de Mordechai Gebirtig) et du folklore des balkans (Be There). Cependant le swing et l’importance de l’improvisation demeurent omniprésents, nous n’avons qu’à écouter Played Twice de Thelonious Monk, For Heaven’s Sake immortalisé notamment par Chet Baker, ou bien Falling Grace du bassiste Steve Swallow.