Magnifique célébration d'un pianiste surdoué que ce tendre Remember Petrucciani. Philippe, guitariste et compositeur
tombé tout jeune dans la marmite du jazz
avec ses frangins Michel et Louis (contrebassiste), revisite le
répertoire de son frère disparu à New York voilà plus de 15 ans, accompagné de
la chanteuse Nathalie Blanc, une
habituée de la famille. Cette dernière a écrit des paroles pour 12 titres
initialement instrumentaux, qu'elle interprète avec élégance et maîtrise sur les arrangements
soignés et soyeux du guitariste au swing
subtile des plus classieux. L'album nous invite à redécouvrir des thèmes
emblématiques du pianiste de génie parés d'une voix envoutante, de textes
personnels et d'orchestrations intimistes. Renforcés par une excellente section
de cuivres (Bosso, Cantini et Castellani), les fidèles acolytes Dominique Di Piazza à la basse (remplacé à la contrebasse par Michel Zenino) et Manhu Roche à la batterie sont eux aussi embarqués dans l'aventure menée
humblement par un Philippe Petrucciani
fin mélodiste et rythmicien aguerri.
Juste un petit tour du côté des dernières actualités musicales abordées dans mon blog Les Chroniques de Hiko... Olivier Bogé, Claptone, Thierry Maillard, Anne Carleton, Fred Pallem & Le Sare du Tympan, Madlib, Oxmo Puccino, Jonathan Orland & Nicola Cruz.
Il y a des disques qui mettent l’eau à la bouche avant même
de les avoir joué, The Kingdom of Arwen,
dernier opus du pianiste Thierry
Maillard, en fait partie avec son casting bluffant parmi lequel se dégagent
quelques invités prestigieux aux couleurs musicales singulières : le
guitariste Nguyên Lê, le
percussionniste Minino Garay ou le
joueur de doudouk Didier Malherbe.
Mais loin d’être arrivés au bout de nos surprises, lorsque Hiéroglyphes s’ouvre avec la cacophonie
du Prague Concert Philharmonic qui
s’échauffe, on entrevoit alors le projet chers au compositeur de rassembler dans
12 pièces épiques au lyrisme grandiloquent, un trio jazz et un orchestre
symphonique. Certes le concept n’est pas nouveau, mais la particularité de
ce dernier est d’y avoir adjoint une section
d’instruments ethniques. Entouré de Dominique
Di Piazza à la basse et de Yoann
Schmidt à la batterie, l’arrangeur n’en n’est pas à son coup d’essai
puisque l’an dernier il publiait The
Alchemist, enregistré avec un Orchestre de Chambre et des musiciens appartenant
à la sphère world music.
En toute logique l’étape suivante devait êtreson Kingdom
of Arwen et qui d’autre que Jan
Kucera aurait été plus à même de diriger l’orchestre ?
Ainsi jazz, musique
classique et musique du monde s’entremêlent avec maestria dans une épopée
fascinante dont les références sont aussi bien puisées chez Tolkien ou Franck Zappa (Zappa) que
dans l’Antiquité grecque (The Legend of Sparta’s King) égyptienne (Sphynx Part.1 et Part.2) ou le folklore
scandinave (Le Monde des Elfes).
Flûte chinoise, arménienne (doudouk) et irlandaise (whistle
par Neil Gerstenberg), luth grec
(baglama par Taylan Arikan)
percussions, violoncelle (par Olivia Gay)
et guitare électrique… Un ensemble qu’il faut accorder avec la rigueur d’un
orchestre symphonique et la créativité d’une formation de jazz. Il s’avère que
malgré tout ce petit monde à s’occuper, il manquait à Thierry un instrument plus organique, la voix céleste de Marta Klouckova s’imposa alors à lui dans
Sphinx Part.1, qui nous emmène en
Orient ou en terre Celte, difficile d’y accoler une étiquette.
Fred Pallem & Le Sacre du Tympan – François de Roubaix
(Train Fantôme/L'Autre Distribution)
Déjà salué mainte fois et notamment dans l’excellente
compilation Cinemix Vol.1 paru en
2003 et qui rassemblait une série de reworks de célèbres titres extraits de BOF
françaises des années 70 , le répertoire du compositeur de musique de film François de Roubaix ne cesse de
faire des émules, on se souvient entre autres du remix des cultissimes Dernier Domicile Connu ou La Mer est Grande que nous offraient respectivement
Gonzales et Carl Craig, c’est aujourd’hui au tour du bassiste Fred Pallem de rendre hommage à l’emblématique
compositeur disparu tragiquement en 1975 à l’âge de 36 ans.
Entouré de sa fameuse formation Le Sacre du Tympan, qu’il crée en 1998 sur les bancs du
Conservatoire Supérieur de Musique de Paris, sa démarche artistique est de fusionner les musiques dites "populaires"
(pop, rock) et celles considérées comme "savantes" (jazz, musique contemporaine).
Dans son premier projet intitulé Le
Sacre du tympan sorti en 2003, Fred
Pallem croisait les influences des jazzmen Charles Mingus et Duke Ellington
à celles du chansonnier Georges Brassens, du groupe rock anglais The Shadows,
du compositeur américain Charles Ives et de l'italien Nino Rota. Ce mélange de sonorités et de références et
cette volonté de convoquer des images
allaient façonner l'identité musicale décapante du big band décalé et énergique,
qui s'attaque aujourd'hui à un monument parmi les compositeurs du 7° art.
L'aspect cinématographique ayant toujours été une dominante chez Fred, son précédent Soundtrax en est la preuve, relire l'œuvre
d'un pionnier de l'électro et du home studio comme François de Roubaix est pour lui une aubaine et l'occasion de déballer
ses vieux synthés vintages et autres instruments plugged.
Pour fêter l'anniversaire de sa disparition en mer voilà 40
ans, le Sacre du Tympan s'attèle, avec
un penchant électronique, à revisiter ses thèmes les plus parlants comme celui
du chef d'œuvre de Serge KorberL'Homme Orchestre ou des génériques de
l'émission d'Elizabeth Tessier Astralement
Vôtre et de la série policière Commissaire
Moulin.
Si Un Tank Pour
l'Aventure est traité comme un standard de jazz,L'Altelier l'estcomme un tube psyché rock
et Je Saurais Te Retenir une ballade aux reflets folk sublimée par
les voix d'Alexandre Chatelard et Alice Lewis (habituée du Sacre).
Dans le très beau Boulevard
du Rhum, titre d'un film de 1971 joué par Lino Ventura et BB, Fred a convié une autre chanteuse, elle
aussi singulière dans le paysage de la nouvelle chanson française, Barbara Carlotti, qui interprétait en
2012 Mon Dieu, Mon Amour avec un
autre invité de marque, le fantaisiste et génial Philippe Katerine qui intervient ici dans Chapi Chapo, un air semblant lui être prédestiné, qui était le
générique de la série d'animation culte de la deuxième chaîne de l'ORTF. Juliette Paquereau (elle aussi
régulière du Sacre), de Diving With Andy
groupe pop anglophone, apparaît quant à elle dans le très aquatique Ariadne Thread.
Bref, un casting pointu particulièrement bien fourni comme
d'habitude, on se souvient du plateau de guests dans La Grande Ouverture avec Sébastien Tellier, Piers Facini, Matthieu
Chedid ou Sansévérino. Mais que serait le Sacre
sans son ossature, composée du batteur Vincent
Taeger, du saxophoniste Remi Sciuto,
des claviéristes Vincent Taurelle et
Arnaud Roulin ?
Le Sacre du Tympan
parvient une fois de plus à souligner les mélodies intemporelles, fortement
marquées par l'esprit clairvoyant et innovant de compositeurs hors normes, ainsi
François de Roubaix revient d'outre-tombe
grâce à l'inventivité et aux arrangements d'un musicien décomplexé.
Le multi-instrumentiste français Olivier Bogé nous offre son troisième opus baptisé Expanded Places. Pianiste converti au
saxophone depuis la fin de son adolescence, il affiche un certain nombre de collaborations
prestigieuses avec des acteurs majeurs de la scène jazz contemporaine dont la
dernière en date avec l’arménien Tigran
Hamasyan dans The World Begins Today.
Nous livrant un jazz
cinématique très aérien et aéré, le musicien trentenaire a pris soin de
composer 9 titres aux reflets
impressionnistes qui malgré leurs ambiances respectives se complètent et s’harmonisent.
Accompagné de Nicolas Moreaux à la contrebasse
et de Karl Jannuska à la batterie, il
forme un trio équilibré et vigoureux aussi bien à l’aise dans des variations rythmées au lyrisme puissant
(Beyond The Valley Of Fears) que dans
des flâneries au tempo lent et aux
mélodies plus intimistes parfois baignées d’une douce mélancolie (What People Say). La formation est enrichie
des participations discrètes mais essentielles de Guillaume
Bégni au cor et de Manon Ponsot
au violoncelle.
Olivier y a
enregistré toutes les parties de saxophone, mais aussi de piano, de fender
rhodes et de guitare (remarquable dans le radieux The Fairy & The Beard Man), il se mue même parfois en choriste
comme dans l’ouverture Red Petals
Disorder, morceau qui annonce d’emblée la teneur de l’album, mêlant au jazz les sonorités envoutantes et
métalliques de la folk et les combinaisons orchestrales et majestueuses de la
musique classique (je pense à certains travaux de Keith Jarrett ou de Brad
Mehldau).
A l’image des noms qu’il a donnés à ses pistes, l’artiste
nous invite à un voyage hors du temps,
le long d’une route où défilent de vastes panoramas à la beauté touchante et
hypnotique. Expanded Places s’immisce
alors dans nos esprits à la manière de la bande originale d’un film imaginaire,
dont sa mise en scène serait déterminée par l’auditeur.
Déjà repéré depuis un certain temps grâce à ses excellentes productions,
il s’est récemment fait remarquer grâce à ses remixes bodybuildés (je pense notamment à sa version punchy du
succès Liquid Spirit du jazzman Grégory Porter ou bien de sa
réappropriation d’Omen des frangins Disclosure) destinés aux dancefloors
exigeants, férus de beats down tempo bien
produits. Désormais partie
intégrante du paysage électronique mainstream, l’allemand Claptone s’essaye au long format avec
son premier opus paru chez Différent Recordings
et distribué par Pias, Charmer. Composé de 13 titres où sont invitées
quelques unes des pointures du rock indépendant Nathan Nicholson (UK), Peter
Bjorn & John (Suède)et Clap Your Hands Say Yeah (USA), de
l’électro Jay Jay Johanson (Suède)et Jaw (FR) ou de la pop Young
Galaxy (Canada), le Dj producteur nous offre même une collaboration de haut
vol avec le dandy pop finlandais Jimi
Tenor sur un titre efficace, sensuel et funky intitulé Party Girl.
L’animal Claptone
se laisse difficilement apprivoiser, en effet il se dissimule derrière un
inquiétant masque en forme de bec de
vautour (que portaient les médecins bec durant les épidémies de peste
bubonique en France et qui inspira ensuite un personnage de la comedia dell’arte), emblématique du
carnaval de Venise. Ainsi grimé il se permet toutes les audaces devant ses
platines, distillant un son deep-house
orienté chill/pop, où la voix et le chant y occupent une place importante.
Certains regretteront peut être ses premières productions plus
underground comme Night On Fire qu’il
sortait en 2012 sur Exploited et Cream la même année sur Defected, cependant d’autres
apprécieront ses atmosphères estivales qui se rapprochent des sonorités de Feder, Milky Chance, The Avener
ou Robin Schulz, qui ont animées les
chaudes soirées de nos plages azuréennes l’été dernier.
Le titre phare de Charmer
est sans conteste No Eyes, qui n’est
d’ailleurs pas d’hier puisque la version maxi sortait en 2012, un hit en
puissance que l’on entendra résonner cet hiver en before, Jaw y déploie sa voix soul légèrement granuleuse injectant à
l’ouvrage un groove imparable.
Claptone a conçu
des mélodies catchy qui font mouche
dès la première écoute, bien que trop consensuel à mon goût, il nous délivre un
effort plutôt réussi.
Le jeune producteur franco-équatorien Nicola Cruz nous présente son premier opus Prender El Alma, sur ZZK
Records (label qui nous offrait il y a peu l’excellent projet La Yegros). Mêlant les sonorités
acoustiques des percussions
traditionnelles, des chants tribaux,
des flûtes indiennes et autres guitares andines à ses textures électroniques nappées de synthés
délicats et rythmées par un groove
organique down tempo des plus prenants, il rapproche de façon singulière la
richesse des influences indigènes
précolombiennes aux possibilités infinies de la production musicale numérique contemporaine assistée de ses séquenceurs,
boites à rythmes MPC et autres logiciels Ableton…
Né à Limoges mais installé à Quito, capitale de l’Equateur située
sur les flancs du volcan Guagua Pichincha, le petit protégé du prodige
américano-chilien Nicolas Jaara
voulu revenir à l’essence même de ses origines et rendre un hommage vibrant et
intimiste à la Nature et à ses ancêtres.
Percussionniste de
formation, il est depuis ses débuts marqué par « l’aspect mystique qu’offrent les percussions du monde
entier », il intègre alors la dimension du rituel à ses constructions
sonores. Orientant rapidement sa pratique vers l’électro, il étiquette son trip wolrd bass d’Andes Step ou d’Andes
Infused Electronica, un mouvement à
mi-chemin entre tradition et modernité qui fera sans doute des émules parmi
la scène électronique sud américaine florissante (Dj Raff du Chili, Siete
Catorce de Mexico…)
Avec ses échantillons
de sons analogiques prélevés avec soin, découpés puis mis en boucle, Nicola parvient à restituer sa vision
d’une culture mal connue et rarement sublimée par l’electronica. Nourri de cumbia
et autres folklores locaux voisins, il s’inspire des démarches artistiques du
méxicain Murcof (qui collaborait il y a quelques années avec Erik Truffaz sur le projet Rendez-vous), des anglais Matthew Herbert et Quantic (Will Holland a
d’ailleurs longtemps séjourné et travaillé en Colombie) ou de l’américain Philipp Glass (…) pour nous proposer un
voyage plus anthropologique que touristique. La voix des chanteuses Huaira (compagne du producteur) et Tanya Sanchez participe à nous immerger
dans cette exploration « des
mythologies ancestrales vues par le prisme du monde moderne »,
immersion amplifiée par les rythmiques répétitives hypnotiques et les efforts
particuliers à bâtir des structures instrumentales
sonnant « comme si un groupe était
en train de les jouer ».