Né au Liban et d'origine arménienne, le multi-instrumentiste
gréco-turc Abaji s'exile en France en
1976 fuyant une guerre civile qui déchirera son pays jusqu'au début des années 90.
Passionné par les médecines chinoises, la musique sera finalement la voie qu'il
empruntera, explorant les sonorités d'instruments traditionnels de sa région
natale et s'abreuvant au gré de ses voyages d'influences variées allant de la
musique indienne ou sud-africaine au blues en passant bien sûr par la musique
orientale notamment gnawa.
Il publie aujourd'hui son 6° opus intitulé Route&Roots, un titre qui résume à
merveille l'esthétique du projet dans lequel l'artiste convie les joueurs de doudouk
Vardan Grigoryan et de kakak kemane Mahmut Demir. Respectivement d'Arménie
et de Turquie, ces deux musiciens participent à ce retour aux sources voulu par
Abaji qui, au chant, au oud, à la
flûte, au bouzouki et autres cordes ou percussions, rend les frontières perméables
et réconcilie deux peuples aux relations tendues.
En 2009, son retour au Liban lui avait inspiré Origine Orients dans lequel il
s'exprimait dans les 5 langues de sa famille (français, turc, arménien, grec et
arabe). Enregistrés aussi en polyglottie et toujours en une seule prise, les 17 morceaux de Route&Roots nous proposent à
nouveau une immersion intimiste dans l'univers
acoustique teinté de folk, de blues et de worldd'un globetrotteur invétéré, qui remonte cette fois-ci le temps à la
découverte des racines parentales.
Sans artifice, le disque a été réalisé grâce à son studio
mobil, composé du minimum pour accéder à un
maximum d'authenticité dans la captation des sons et le traitement des
ambiances et des espaces.
Ses chants fédérateurs et universels sont emplis de
nostalgie, une saudade orientale poétique
et touchante orchestrée par "un
métèque poreux à tous les souffles du monde".
Le grand public a entendu parler du duo electro-conceptuel de San Francisco Matmos grâce à sa
collaboration avec Björk sur les disques
Vespertine en 2001 et Medulla en 2004. M.C. (Martin) Sschmidt et Drew
Daniel nous présentent aujourd'hui leur 10° opus intitulé Ultimate Care II. La forme de cet album
est peu conventionnelle, puisqu'il est
construit entièrement avec les sons générés par une machine à laver Whirlpool
Ultimate Care II. Une seule piste
s'écoule durant 38 minutes restituant dans un certain ordre assemblé les
bruits des différentes pièces de l'objet malmené, trituré ou frappé comme une
percussion. Les artistes ont capté ces emprunts au réel, les ont échantillonnés, séquencés et modifiés
pour obtenir un vocabulaire sonore, mélodique et rythmique qui se rapproche des
expérimentations musicales concrèteset industrielles comme des genres électroniques du type drone, glitch ou house. On peut
aussi y percevoir les influences du free-jazz,
du krautrock ou du new-age… Malgré cette approche expérimentale, Ultimate Care II peut s'écouter sans
être rebuté dès la première mesure, c'est peut-être là que réside tout
l'intérêt de l'exercice !
Le compositeur et multi-instrumentiste américain Keith Kenniff alias Goldmund nous présente son nouveau
projet baptisé Sometimes. Ce disque tendre et touchant se compose de
17 plages ambient plutôt courtes, au
cours desquelles le producteur élabore de subtiles
nappes musicales postclassiques où des mélodies dépouillées et interprétées
sur un piano réverbéré s'évaporent dans
des brouillards électroniques aux sonorités organiques. Moins acoustique
qu'une pièce de Ludovico Einaudi, Sometimes déploie cette même force
évocatrice d'images. L'auditeur, happé par ces textures immatérielles, erre
dans un espace aux contours flous et habité de mélancolie. Malgré que la
lumière y soit faible voire quasi absente, il est guidé par quelques notes délicates suspendues comme
en apesanteur et quelques emprunts
sonores familiers (la pluie, un courant d'eau qui ruisselle, une brise dans
les feuillages ou encore quelques échos indiscernables…). Le seul ingrédient qui
pourrait s'apparenter à un élément rythmique est le bruit a demi étouffé que
font les doigts de Keith en
martelant les touches de son instrument, ces petits riens presque inaudibles
font la qualité indéniable de ce disque
d'hiveraux allures de bande-son
invitant à la rêverie et au repos.
A noter l'intervention du maître japonais Ryuichi Sakamoto sur le titre A World I Give dont les premières notes nous rappellent étrangement l'illustre Love Theme de Spartacus, devenu depuis la sortie du film de Stanley Kubrick en 1960 le standard de jazz par excellence.
C'est en juin dernier, grâce à l'entremise du label anglais Tru Thoughts que nous découvrions Space Captain, le collectif basé à
Brooklyn nous livrait alors son excellent single Easier/Remedy. Poursuivant son incursion dans les sonorités hip-hop, R&B et electro,
la formation menée par le producteur Alex
Pyle et la chanteuse Maralisa
Simmons-Cook publie 5 nouveaux titres dans un EP baptisé In Memory.
Si l'ouverture Screams
baigne l'auditeur une nappe de réverbes laissant à peine échapper le chant
d'une sirène, Landing/Up In The Hills
nous immerge quant à lui dans une production instrumentale lorgnant sur un abstract hip-hop tourmenté par des glitchs, qui se mue en une ode cosmic soul éthérée habitée par la
délicieuse voix de Maralisa. Cosmos poursuit notre aventure spatiale
avec ses sonorités jazzy jusqu'à ce
que naisse une rythmique hip-hop construite
selon les préceptes édictés par le grand J.
Dilla. Still est à considérer comme
l'introduction du titre phare de l'EP à savoir Two, Maralisa y déploie
les atouts d'une voix sensuelle et
profondément soul tandis qu'Alex
élabore une instrumentation dominée par les accords d'une guitare lancinante, le tempo est lent, l'atmosphère y
est vaporeuse et des plus enivrantes jusqu'à ce qu'elle se brouille et se
sature d'ondes électriques… On s'attendrait presque à voir surgir Fly Lo au détour de ces expérimentations soniques torturées.
Ed Motta –
Perpetual Gateways (Membran Entertainment Group)
Le crooner et soulman brésilien Ed Motta nous revient avec un sublime Perpetual Gateways, son 15° album qu'il publie grâce à l'entremise
du label allemand Membran (Joss Stone, Peter Schilling, Jimmy Somerville, Johnny Winter…).
Depuis son premier opus paru à la fin des années 80, le chanteur a su imposer
sa signature soul/funk sur un marché
brésilien inondé par la MPB (musique populaire brésilienne). Presque 30 ans
plus tard, le multi instrumentiste
nous régale toujours de ses sonorités
jazzy gorgées de lumière carioca et ce n'est pas ce dernier disque qui
changera la donne.
En effet on y retrouve sa voix de velours aux rondeurs des plus sensuelles, son groove assassin et classieux sans doute
hérité de son oncle Tim Maia ('Barry
White de la soul brésilienne'), ainsi que ses arrangements sophistiqués aussi
bien influencés par les Earth Wind &
Fire (Captain's Refusal) et Stevie Wonder (Good Intentions) que par les piliers du be-bop (The Owner), de la
bossa nova, du tropicalisme ou du rock anglais.
Perpetual Gateways
se divise en deux mouvements, dans le premier l'auteur/compositeur y expose son
amour pour les textures rythmiques
chaudes et chaloupées du funk, de la soul et du R&B, il y développe 5
titres à la magie contagieuse et entraînante (dans la lignée de ses idoles Steely Dan et Donald Fagen) même lorsqu'il s'agit de ballades romantiques telles
que Reader's Choice. Les lignes de
basse électrique de Cecil Mc Bee Jr.
(fils de Cecil Mc Bee qui officia à la contre basse auprès d'Alice Coltrane,
Art Pepper ou encore Yusef Lateef) y sont pour beaucoup!
Dans un second temps, Forgotten
Nickname marque un changement de registre avec ses reflets acoustiques habités de ces notes bleues si précieuses et
délicates, on notera d'ailleurs la délicieuse intervention du flutiste américain
Hubert Laws (George Benson, Chet
Baker, Chick Corea, Quincy Jones…).
A Town In Flame ravira
les amateurs de jazz vocal effervescent aux
orchestrations euphoriques chargées de cuivres (Curtis Taylor à la trompette, Charles
Owens et Ricky Woodard au sax) et de claviers (Patrice Rushen et Greg
Phillinganes) qu'un certain Gregory
Porter démocratise depuis quelques années (pour l'anecdote, c'est le même Hubert Laws qui donna sa chance à l'ancien
joueur de football américain, alors petit protégé de l'actuel producteur d'Ed Kamau Kenyatta, dans son hommage à Nat
King Cole en 1998).
Le tempo est soutenu par l'énergique batteur Marvin 'Smitty' Smith (Jon Hendricks,
Achie Shepp, Sting…) et l'étonnant contrebassiste californien Tony Dumas, tous deux nous offrent l'assise des épiques I Remember Julie et Overblown Overweight, véritables temps forts de l'album avec leur swing ravageur et terriblement généreux.
Ed Motta nous
offre à nouveau un rayon de soleil, une onde
soul/jazz aux vibrations positiveset
auxpulsations enivrantes.
Aucune fausse note parmi les 10 titres qu'il a écrits et composés, épaulé par
un mentor, le pianiste, saxophoniste, enseignant et arrangeur de Détroit Kamau Kenyatta. La sortie européenne de
Perpetual Gateways est prévue pour
courant Février…
Chrissy, ex-adepte
des rythmiques électroniques nerveuses made in Chicago (sous son alias Chrissy Murderbot) semble s'être mis au vert et nous présente chez Classic Music Compagny sa dernière
production 'Join Me', largement
empreinte de sonorités soulful et disco.
Composé du titre éponyme, cadencé disco-house,
où il invite le chanteur soul Miles
Bonny, de son Re-Edit 80's
orchestré par Rahaan et du tonique Get It aux reflets funky-house, l'EP ne sortira qu'en version digitale le 08 Février
prochain. Il marque une étape supplémentaire dans la réorientation musicale du
Dj/producteur américain, revirement amorcé par son autre alias Chris E Pants dans des titres comme Doggy Style.
Raphaël Imbert & Co – Music Is My Home –
Act I (Jazz Village/Harmonia Mundi)
Le saxophoniste autodidacte Raphaël Imbert, jazzman invétéré et infatigable, nous présente son
dernier projet intitulé Music Is My Home
– Act 1. Chargé de mission pour effectuer une recherche sur les racines
musicales du sud profond des Etats-Unis, il y effectue plusieurs séjours entre
2011 et 2013 durant lesquels il fera la connaissance de quelques figures
locales emblématiques de la scène blues et New Orleans. A travers 13 titres
vibrants, l'ethnomusicologue nous emmène dans les états pionniers de ces
musiques métisses qui accoucheront du jazz au début du XX° s. On y croise ainsi
les voix de légendes vivantes du blues
rocailleux comme Alabama Slim (The Mighty Flood) ou électrique comme Big Ron Hunter alias le "bluesman
le plus heureux du monde"(Going For
Myself, Make That Guitar Talk),
mais aussi des artistes plus jeunes à l'instar des délicieuses chanteuses
francophones Leyla McCalla, artiste créole aussi bien à l'aise au
violoncelle qu'au banjo(Weeping Willow Blues, La Coulée Rodair, Help Me Lord) et Sarah
Quitana (Po Boy). Toutes deux
partagent leur origine cajun. Issues
d'un autre sud, celui de la France, on ne boude pas non plus le plaisir de compter
parmi le staff la batteuse Anne Paceo
et la chanteuse marseillaise Marion
Rampal (Sweet River Bues).
Toutes et tous se joignent à la Compagnie Nine Spirit (déjà bien au fait des sonorités du delta) que Raphaël
a créé en 1999 à Marseille avec notamment le guitariste Thomas Weirich, le multi-instrumentiste Simon Sieger (trombone, claviers et accordion) et le bassiste Pierre Fenichel (spécialiste du ukulélé
basse).