jeudi 24 septembre 2015

Alan Stivell – Amzer (Seasons) (World Village/Harmonia Mundi)


Alan Stivell – Amzer (Seasons) (World Village/Harmonia Mundi)

A vrai dire, j’abordais l’écoute de ce disque à reculons… La musique celtique n’étant pas forcément ma panacée. Seulement voilà, le 24ième opus d’Alan Stivell intitulé Amzer ne se résume pas à cette classification, il s’agit d’une œuvre bien plus complexe aux ramifications multiples. Plongé dans un univers sonore organique et intimiste, l’auditeur se laisse rapidement séduire par les textures acoustiques et électroniques apaisantes plantées par le septuagénaire. Et c’est contemplatif et reposé qu’il entreprend son immersion dans un conte musical avant-folk aux reflets world, dédié aux poètes et à la Nature bienveillante, où le temps rythmé par les saisons se déploie sereinement, illustré par des bruissements expérimentaux, des chants d’oiseaux, des flûtes et des cordes enivrantes, des percussions discrètes et des voix comme suspendues en apesanteur. La poésie y tient une place prédominante, Alan rapproche pour la première fois sa culture bretonne, façonnée jadis dans les chants traditionnels gallois, irlandais et écossais, de la « zénitude » japonaise, 3 haïkus de printemps sont d’ailleurs récités en ouverture. Armé de sa harpe néo-celtique et toujours animé par le développement technologique, il s’interroge dans plusieurs langues et en utilisant des sons purs, archaïques et futuristes, sur le temps qui passe (Amzer en breton), sur l’évolution d’un monde semé de conflits et d’horreurs.  

Renault Garcia-Fons & Dorantes - Paseo a Dos (E-motive Records/L'Autre Distribution)


Renault Garcia-Fons & Dorantes - Paseo a Dos (E-motive Records/L'Autre Distribution)

Le contrebassiste Renault Garcia-Fons nous revient avec un nouveau projet intitulé Paseo a Dos. Comme l’indique le titre, il s’agit d’une collaboration menée étroitement avec le pianiste sévillan David Peña Dorantes, artiste virtuose perpétuant la tradition du flamenco héritée de la fameuse dynastie des musiciens gitans andalous, appelée Peña de Lebrija. Comme dans son précédent Linea Del Sur, Renault tisse avec brio et sophistication des liens entre les cultures, il nous invite avec son complice à partager la lumière radieuse de la méditerranée et de l’Amérique latine. Avec ou sans son archet, en frottant ou en pinçant les 5 cordes de son instrument, il empreinte tour à tour les sonorités du luth arabe, de la guitare espagnole ou du violon tzigane. Dorantes se sert du piano « comme d’une machine à écrire sur l’air », il élabore un jeu plus complexe et orchestral que le flamenco pur, à la lisière du jazz et de la musique classique, tout en gardant la fougue sanguine de ses origines. Le duo nous livre un opus puissant et sensuel, fruit d’une entente née sur scène et enfin gravée sur disque.

mercredi 23 septembre 2015

John Greaves – Verlaine Gisant (Signature/Harmonia Mundi)


John Greaves – Verlaine Gisant (Signature/Harmonia Mundi)

Le compositeur anglais installé en France depuis plus de 20 ans John Greaves, chanteur, bassiste et pianiste pionnier du rock avant-gardiste dans les années 70, clôt avec Verlaine Gisant, son triptyque consacré au poète maudit. Les textes qu’Emmanuel Tugny a écrits d’après l’œuvre de Gustave Le Rouge intitulée Les Derniers Jours de Paul Verlaine (1911), évoquent la lente agonie de Verlaine pris au piège de sa folie, de son génie et de sa déchéance. John et ses 11 musiciens les transforment en exquises chansons sophistiquées, imbibées de nostalgie, de mélancolie, de rage, de désespoir, de lucidité et d’exubérance. Le paysage sonore est bigarré, à l’ambiance d’opéra pop intimiste teinté de musique classique (Solo Alto) s’ajoutent des reflets punk, rock (Air de La Loire) et jazz (Merde). Théâtralisés par des compositions aussi bien douces et aériennes (La Poétesse) qu’acides et tranchantes (Autoportrait), les 13 titres sont servis par des voix hors norme. On note en effet aux côtés de John la présence d’Elise Caron et Jeanne Added (qui interprètent les femmes de la vie du poète) ainsi que Thomas de Pourquery (incarnant Verlaine).

lundi 21 septembre 2015

Polymorphie – Cellule (Grolektif/L’Autre Distribution)


Polymorphie – Cellule (Grolektif/L’Autre Distribution)

Le sextet lyonnais Polymorphie dirigée par le saxophoniste Romain Dugelay, nous présente son dernier projet intitulé Cellule. Objet sonore difficilement classifiable, le projet met en musique des textes d'Oscar Wilde (OW1 et OW5), de Paul Verlaine (Paul) ou d'un parfait inconnu nommé Xavier (Xavier), écrits en détention et questionnant en français ou en anglais la condition carcérale. Arborant des influences aussi diverses qu’inédites, du rock distordu à la poésie urbaine, en passant par la noise, l’électro et le jazz contemporain, la formation bouscule et tranche dans le vif (OW3 et OW4). Parfois, lorsque la guitare et les claviers ne vrombissent plus et que les saxophones cessent de s’égosiller, le slam de Marine Pellegrini  impose un calme inquiétant et pesant, exprimant avec force les sentiments d’enfermement, d’attente et de désespoir.

vendredi 18 septembre 2015

John Taylor – 2081 (CamJazz/Harmonia Mundi)


John Taylor – 2081 (CamJazz/Harmonia Mundi)

Disparu brutalement en juillet dernier alors qu’il se produisait sur la scène du festival Saveurs Jazz près d’Angers, le pianiste anglais John Taylor nous revient pourtant en ce mois de Septembre 2015 grâce à la sortie de son très beau projet posthume 2081, enregistré en famille avec ses fils Alex au chant (auteur des textes) et Leo à la batterie (membre du groupe indie rock The Invisible) ainsi que le grand Oren Marshall au tuba (Radiohead, Bobby Mc Ferrin, Moondog ou encore The London Philarmonic). Inspiré par la nouvelle de science-fiction Harrison Bergeron écrite en 1961 par Kurt Vonnegut et qui traite du thème de l’égalité sociale dans un monde où la force, l’intelligence et la beauté sont considérées comme une tare, 2081 nous immerge dans un jazz ample et cinématique à l’esthétique résolument moderne. Ce calme gorgé d’une soul apaisée, perceptible dans la voix d’Alex Taylor, se pare d’un groove délicat qu’Oren déploie dans ses lignes de basse cuivrées et que Leo contribue à rendre entraînant par son jeu précis et justement dosé. John élabore quant à lui des mélodies captivantes dans un style singulier (hérité entre autres des recherches rythmiques et harmoniques de Bill Evans et Gil Evans) qui rapproche les univers du jazz, de la musique classique, de la pop et de la musique de film.

Un magnifique album qui sera suivi d’ici quelques semaines par la parution d’un enregistrement en duo avec le trompettiste Kenny Wheeler, qui nous a lui aussi quitté il y a peu.

Boulou Ferré, Elios Ferré & Christophe Astolfi – La Bande des Trois (Label Ouest/L’Autre Distribution)


Boulou Ferré, Elios Ferré & Christophe Astolfi – La Bande des Trois (Label Ouest/L’Autre Distribution)

Les frères Ferré, duo incontournable de la scène jazz hexagonale, forment avec Christophe Astolfi un tout nouveau projet à 3 guitares baptisé sobrement La Bande des Trois. Le trio s’empare des classiques de la chanson française et les pare de reflets gypsy hérités du maître incontesté de la guitare manouche, Django Reinhardt (Nuages). Boulou, musicien virtuose qui à 12 ans accompagnait déjà Jean Ferrat, chante avec l’ingénuité et la douceur d’un Boris Vian les textes de Brassens (Je me suis fait tout petit, Les Amoureux des Bancs Publics), Gainsbourg (La Javanaise, L’Eau à la Bouche) ou Bachelet (Emmanuelle) sur des arrangements sophistiqués au swing enivrant, ponctués d’improvisations puissantes et véloces.

mardi 15 septembre 2015

Sons of Kemet - Lest We Forget What We CameHere To Do (Naim Jazz/Modulor)


Sons of Kemet - Lest We Forget What We CameHere To Do (Naim Jazz/Modulor)
Les fils de Kemet (« Terre Noire »), nom que donnaient les anciens égyptiens à leur pays, publient Lest We Forget What We CameHere To Do, leur second opus ancré dans les racines caribéennes et parcouru d’influences afro/éthio-jazz. La formation dirigée par le jeune saxophoniste/clarinettiste anglais Shabaka Hutchings explore le Tuk, tradition musicale insulaire de la Barbade (où il passa une grande partie de son enfance) basée sur le mélange explosif du rythme des marches militaires anglaises (héritées de la colonisation) et du folklore ouest-africain (des anciens esclaves). Composé des batteurs Tom Skinner (Mulatu Astatké, Matthew Herbert) et Seb Rochford (Polar Bear) ainsi que de Theon Cross au tuba, Sons Of Kemet accouche d’un disque engagé (In Memory Of Samir Awad), sauvage (Afrofuturism) et entêtant (Breadfruit), aux ambiances tantôt cinématiques (Mo Wiser) tantôt entraînantes, un peu à l’instar des brass band de la Nouvelle Orléans (In The Castle Of My Skin).