Sons of Kemet - Lest We Forget What We CameHere
To Do (Naim Jazz/Modulor)
Les fils de Kemet
(« Terre Noire »), nom que donnaient les anciens égyptiens à leur
pays, publient Lest We Forget What We
CameHere To Do, leur second opus ancré dans les racines caribéennes et parcouru d’influences afro/éthio-jazz. La formation dirigée par le jeune
saxophoniste/clarinettiste anglais Shabaka
Hutchings explore le Tuk, tradition
musicale insulaire de la Barbade (où
il passa une grande partie de son enfance) basée sur le mélange explosif du rythme des marches militaires anglaises (héritées
de la colonisation) et du folklore ouest-africain(des anciens esclaves). Composé des batteurs Tom Skinner (Mulatu Astatké, Matthew
Herbert) et Seb Rochford (Polar
Bear) ainsi que de Theon Cross au tuba,
Sons Of Kemet accouche d’un disque
engagé (In Memory Of Samir Awad),
sauvage (Afrofuturism) et entêtant (Breadfruit), aux ambiances tantôt cinématiques (Mo
Wiser) tantôt entraînantes, un
peu à l’instar des brass band de la Nouvelle Orléans (In The Castle Of My Skin).
La chanteuse marocaine d’origine saharienne OumEl Ghaït Benessahraoui nous revient, après son sublime Soul Of Morocco paru en 2013, avec l’émouvant
Zarabi. Enrichissant ses influences
majeures que sont la culture Hassani
et les rythmes gnaouas d’accents soul, latins et jazz, elle rend
hommage, dans le dialecte marocain darija,
aux tisseuses de tapis originaires de la ville de M’hamid El Ghizlane (village bordant
le Sahara). Sa voix sensuelle et pétillante,
forgée durant son adolescence grâce à sa passion pour le gospel, est délicieusement
accompagnée par les mélodies enivrantesdu oud de Yacir Rami (Naïssam Jalal…),
les percussions sophistiquées de Rhani Krija (Omar Sosa, Sting…), les
lignes de basse chaloupées du contrebassiste Damian Nueva et la trompette latin-jazz de Yelfris valdes. A l’origine de tous les textes mis à part quelques emprunts
et adaptations, Oum a souhaité
enregistrer à M’hamid, en extérieur à
même le sable afin « de rester fidèle à un son naturel », restituant
ainsi la beauté et la vulnérabilité du lieu. Zarabi est un disque d’émoi, vibrant et touchant !
Repérée grâce à son duo avec la légende Bonga en 2000, la chanteuse portugaise d’origine cap-verdienne Lura entame alors, depuis Lisbonne, une
carrière musicale européenne puis internationale, marquée par sa signature chez
Lusafrica en 2004, qui produit
aujourd’hui son 5° album. Affectée par la disparition de Césaria Evora en 2011 avec qui elle avait enregistré l’année
précédente le sublime Moda Bô, (présent
sur son Best Ofparu en 2010) elle publie, après 6 ans
d’absence dans les bacs, son nouveau Herança.
Ayant dépassée le simple statut de voix prometteuse, Lura a choisi de s’installer sur la
terre de ses parents afin de se plonger dans l’identité profonde d’une culture métisse.
Souvent enrichi de musique brésilienne et d’accents jazzy, le répertoire d’Herança (qui se traduit « héritage »)
se veut être un hommage à la créolité
ainsi qu’à la femme du Cap-Vert. Sous la forme d’une invitation dansante et
sensuelle il nous fait (re)découvrir les rythmes traditionnels du funana (Sabi Di Mas), du batuque
(Mari Di Lida), de la morna (Ambienti Mas Seletu) ou de la coladeira
(Nhu Santiagu emprunté à sa
compatriote Elida Almeida, d’ailleurs
présente sur le titre).
Lura a choisi pour
l’occasion de s’entourer de la crème des musiciens/compositeurs de l’archipel, Mario Lucio (actuel ministre de la
culture au Cap-Vert), Toy Vieira et Hernani Almeida figurent à ses côtés comme
les guests de renommée mondiale venus du Cameroun et du Brésil Nana Vasconcelos et Richard Bona. Ensemble, ils célèbrent
la saudade festive que l’on trouve dans ces petits bouts d’Afrique nichés au
large du Sénégal au carrefour des cultures européennes, américaines et bien sûr
africaines.
Un disque touchant aux mélodies enivrantes et aux rythmes
chaloupés !
Black
Flower – Abyssinia Afterlife (Zephyrus Music/L’Autre Distribution)
La scène musicale de Gand en Belgique accouche d’un projet éthiojazz experimental mené par le saxophoniste-flûtiste
Nathan Daems. Habitué à nous
délivrer unjazz ouvert d’esprit aux
accents tantôt tziganes, turcs, indiens ou ska, le musicien nous présente ici Abyssinia Afterlife, premier opus de
son tout récent combo Black Flower, qui
vient grossir les rangs des nouveaux artisans de l’afrobeat et du groove
éthiopien en Europe, nous pensons notamment aux français Akalé Wubé, Ethioda ou les Frères Smith.
Les spectres de Mulatu Astatké (The Legacy Of Prester John) et Fela Kuti (I Threw A Lemon At That Girl) planent bien sûr au dessus de ce
disque aux reflets psychédéliques (Jungle Desert), mais les frontières sont
floues et les influences soul-jazz (Star Fishing) etorientales (Winter) sont aussi perceptibles.
Ibrahim Maalouf - Kalthoum (Mi'ster Productions/Decca/Universal)
Second projet qu'IbrahimMaalouf nous offre en cette rentrée 2015, Kalthoum reprend la volonté que le trompettiste a déjà développée dans son Red & Black Lightde célébrer les femmes, notamment celles qui ont bouleversé le cours de l'histoire et dont l'influence artistique a eu un impact jusque dans nos vies actuelles. Qui d'autre que l'emblématique Oum Kalthoum, considérée à raison comme la plus grande voix du monde arabe, pourrait se vanter, 40 ans après sa disparition, de susciter toujours autant d'engouement et d'admiration?
En collaboration avec le pianiste d'origine allemande Franck Woeste et entouré du batteur Clarence Penn, du contrebassiste Larry Grenadier et du saxophoniste Mark Turner (que l'on écoutait en 2010 dans Suite...de Baptiste Trotignon), Ibrahim a choisi d'interpréter dans un jazz classieux et métissé l'une des œuvres majeures de la diva égyptienne datant de 1969 Alf Leila Wa Leila (Les Milles et une Nuit).
Enregistré à New York avec la même équipe qu'en 2011 sur l'album Wind (qui rendait hommage à Miles Davis), Kalthoum se compose comme la version originale d'une Introduction, qui d'emblée nous plonge dans un dialogue passionnant entre la tradition arabe séculaire, l'ivresse de ses joutes orientales et la sophistication élégante d'un jazz nord américain hérité des maîtres Monk, Davis et Coltrane...
C'est le pianiste qui ouvre le morceau, jouant avec douceur et légèreté une mélodie des plus touchantes, rapidement rejoint par le son puissant et précis du saxophone ténor de Marc et la trompette micro-tonale d'Ibrahim, ainsi que par Larry et Clarence qui élaborent une assise rythmique massive et tonitruante. Une approche majestueuse, expressive et grandiloquente!
Ouverture I et Ouverture II au format assez court sont suivis des Mouvements I à IV qui se déploient durant 15mn pour le plus long et sont organisés comme une succession de tableaux dont la mise en scène est ponctuée d'improvisations alambiquées bien sûr, de mélodies enivrantes souvent mélancoliques, d'harmonies et de rythmes complexes...
Nous percevons alors avec cette double actualité, Kalthoum et Red & Black Light, à quel point le langage d'Ibrahim Maalouf est riche et pluriel, profondément ancré dans la tradition et respectueux des sonorités qui ont bercé son enfance il s'imprègne et reste à l'écoute de ce foisonnement musical qui agite notre époque, essayant par tous les moyens d'en garder que le meilleur.
Ibrahim Maalouf - Red & Black Light (Mi'ster Productions/Decca/Universal)
Il est des jours comme ça où l'on reçoit sans s'y attendre un précieux cadeau, en ouvrant ma boîte aux lettres par une belle fin d'après-midi d'Aout 2015 qu'elle ne fut pas ma surprise en déchirant une enveloppe et en découvrant les deux nouveaux albums de l'infatigable trompettiste d'origine libanaise Ibrahim Maalouf, qui rappelons-le a signé il y a peu la bande originale du film Yves Saint Laurent de Jalil Lespert.
En effet le virtuose de la trompette à quarts de ton nous offre pour cette rentrée Kalthoum et Red & Black Light, tous deux attendus dans les bacs le 25 septembre prochain et signés sur son propre label Mi'ster Productions. Ils succèdent au retentissant Illusions et à sa sublime collaboration avec Oxmo Puccino dans le concept-album Au Pays d'Alice inspiré par le roman de Lewis Carroll.
C'est par Red & Black Light, disque très orienté electro, jazz fusion et pop, que nous allons entamer notre immersion dans le nouveau décor que nous plante un musicien toujours plus créatif, aventurier et généreux. A l'origine de tous les titres, exception faite de Run The World (Girls) emprunté à la diva Beyoncé, Ibrahim a voulu rendre hommage à la femme d'aujourd'hui, à saluer l'influence qu'elle a sur sa musique. Entouré du guitariste François Delporte, du batteur Stéphane Galland et de l'immense Eric Legnini aux claviers, il opte pour une écriture rythmique et harmonique complexe rendue pourtant accessible grâce à ses arrangements pop aux reflets funk, rock et électroniques. Son jeu unique virevolte toujours entre ses deux cultures, faisant cohabiter et s'entremêler l'Orient et l'Occident.
L'ouverture du disque est éblouissante, avec son groove ravageurFree Spirit est introduit par une syncope funk des plus prenantes, sa mélodie pop accrocheuse si propre aux sonorités enivrantes du trompettiste nous emporte ensuite dans les méandres d'une odyssée jazz rock détonnante où la guitare de François Delporte s'exprime avec force et distorsion.
La puissance du guitariste est aussi mise à contribution dans Essentielles, qui déploie un motif à la trompette entêtant, se répétant pendant quasiment 3'42 et engendrant une de ces transes hypnotiques dont seul Ibrahim a le secret.
Goodnight Kiss commence comme une délicate berceuse interprétée au clavier, guitare puis batterie s'invitent et l'art de la polyrythmie et de l'improvisation que semble apprécier la formation révèlent alors leur splendeur et leur sophistication, faisant du titre l'un des plus jazzy de l'opus.
Avec Elephant's Tooth, le quartet ressuscite l'époque des Weather Report ou des sonorités jazz funk d'Herbie Hancock, la trompette micro-tonale assurant toujours la liaison entre accents électroniques et grains acoustiques, entre son hérité des US et tradition inspirée du Liban.
Le titre éponyme s'apparenterait presque à une balladehard-rock, avec ses envolées lyriques de guitares et de synthés... Mais les pistons, encore une fois, brouillent les pistes et imposent le respect par la chaleur et la douceur du son qu'ils laissent échapper !
Escape entrelace des mélodies issues des Balkans à un beat lourd et percussif parcouru d'un groove massif, interrompue par une apothéose véloce et folle où tous les instruments se débrident en fanfare.
Improbable est un feu d'artifices, majestueux et exigeant il superpose toutes les strates et les influences qui constituent l'identité musicale d'Ibrahim, faite de jazz, de world music, d'electro, de pop, d'histoires présentes, passées et à venir...
En guise de clôture, le succès de Queen Bey (Beyoncé) Run The World (Girls) vient marteler aux esprits trop orthodoxes que même si tout n'est pas bon dans l'immense cohue pop, rien n'est à jeter et tout se récupère pourvu qu'on y mette son grain de sel...
Le producteur écossais basé à Melbourne Jonny Faith nous séduisait en Mars dernier avec la parution de Neon, second single de son premier opus
baptisé Sundial. Il nous présente
aujourd’hui par l’entremise du label Tru
Thoughts son dernier extrait intitulé LeSucre, accompagné du titre inédit Dapple City ainsi que de 3 nouveaux
remixes orchestrés par les australiens Roleo,
Anomie et Snare Thief.
Souvent comparé, et à juste titre, aux célèbres Flying Lotus et Bonobo grâce à ses productions électro largement empreintes de hip-hop, de dub et de D&B, Jonny Faith nous livre avec son délicat
Le Sucre et ses nappes de synthés hypnotiques, une pause
atmosphérique dans un paysage sonore ouaté, rythmé par les cymbalettes d’un tambourin charmeur et les beats d’un future garage paisible.
Dans Dapple City
la collusion avec l’univers organique de Bonobo
est d’emblée audible, le son intimiste du carillon et les accords envoutants du
clavier se déploient sur une assise hip-hopdown-tempo jouée aux balais.
Dans une même veine immersive et soyeuse, le producteur de
Sidney Roleo s’est attaqué au remix
de Dust Settles, Anomie lui a préféré Zheng et
ses accents asiatiques renforcés par un beat drum & bass massif et trippant. Snare Thief s’empare quant à lui de fameux Neon, pièce maîtresse de Sundial,
y incorporant aussi une solide rythmique D&B
véloce et tranchante.