Marcus Miller – Afrodeezia (Blue Note Records)
Chaque disque de Marcus
Miller est un évènement, chacun d’eux est une immersion dans son univers en
fusion qu’il nous dépeint à grand renfort de slap et de lignes de basse massives
au groove assassin. Après Renaissance
paru en 2012, il publie Afrodeezia sur le prestigieux label Blue Note, entouré d’un quintet exceptionnel : le saxophoniste
Alex Han, le trompettiste Lee Hogans, le pianiste Brett Williams, le guitariste Adam Agati et le batteur Louis Cato. Nommé artiste de l’Unesco pour la paix
en 2013 et porte-parole du programme
éducatif La Route De l’Esclavage, Marcus
entreprend avec ce nouvel opus de « remonter à la source des rythmes
qui font la richesse de son héritage musicale », de l’Afrique aux Etats-Unis ,
en passant par la France, le Brésil ou les Caraïbes.
Débutant son voyage initiatique en Afrique, il s’abreuve de culture mandingue au Mali, passe prendre
le chanteur Alune Wade au Sénégale
puis poursuit son exploration de l’ouest africain vers le Ghana berceau du Highlife, tout proche du Nigeria et plus
précisément de Lagos terre de l’afrobeat
et de Fela Kuti. Hylife est la première étape de son pèlerinage
et constitue par la même le premier single d’Afrodeezia.
Dans B’s River,
inspiré par sa femme Brenda au retour d’un trip en Zambie, Marcus au guembri (ainsi
qu’à la basse et à la clarinette basse), Cherif
Soumano à la kora, Guimba Kouyaté
à la guitare, Adama Bilorou Dembele aux
percussions et Etienne Charles à la
trompette, nous invitent en Afrique Australe pour une ballade où jazz, mélodie pop et sonorités ancestrales
font bon ménage autour d’une rythmique hypnotique, avant de descendre en
Afrique du sud écouter les chœurs interpréter du gospel.
Dans Preacher’s Kid
(Song For William H), dédicacé à son père William, Marcus troque en effet sa guitare basse pour une contrebasse et
rassemble autour de lui l’organiste Cory
Henry (Snarky Puppy) et une chorale d’exception composée des voix d’Alune, Lalah Hathaway
(oui oui, vous ne rêvez pas !), Julia
Sarr et Alvin Chea des Take 6.
Traversons l’Atlantique maintenant, les rythmes chaloupés de
la samba font leur entrée avec un
titre coécrit par un héro de la MPB Djavan,
We Were There. Le pandeiro et autres
percussions de Marco Lobo servent d’écrin
à une bassline ‘millerienne’ tonique, rejointe par le solo du pianiste de génie
Robert Glasper au Fender Rhodes (pincez
vous une nouvelle fois !) et par les chœurs d’inspiration brésilienne menés
par le scat brulant de Lalah.
Dans un thème plus classique, Mr Miller et sa bande nous livre un Papa Was A Rolling Stone des plus funky, si vous êtes pris de
tremblements et de vertiges pas d’inquiétude, ce doit être à cause des riffs de
guitares électriques et acoustiques du légendaire Wah-Wah Watson (présent dans la version originale des Temptations) et du bluesman Keb’ Mo’, ou
bien du souffle électrisant de l’excellent trompettiste Patches Stewart.
C’est le violoncelliste classique Ben Hong, notamment remarqué au côté de Bobby McFerrin et de l’orchestre
philarmonique de Los Angeles, qui nous fait prendre de la hauteur grâce à sa délicate
interprétation d’une composition du français George Bizet, I Still Believe I hear (Je
Crois Entendre Encore). Guitare basse et violoncelle semblent évoluer en
apesanteur, jouant à l’unisson une mélodie faite d’arabesques.
Son Of Macbeth et
ses accents caribéens nous plonge ensuite
dans une mer au bleu azur, le genre de paysage idyllique où le calypso s’anime sur les sonorités métalliques
des tambours d’acier, ici domptés par le joueur de steel drums Robert Greenridge. Ce titre est un
hommage au percussionniste originaire de Trinidad et Tobago Ralph Macdonald, qui débuta sa carrière
dans la troupe du crooner Harry Belafonte.
L’intermède alléchante Prism
nous fait songer, le temps de ses 30s, à la magie du groove nusoul d’un Woodoo de D’Angelo, sensuel
et addictif. Il semble être extrait d’une jam
session enregistrée sur un vieux dictaphone par Marcus et ses réguliers.
Xtraordinary et
ses reflets pop est une autre de ces
sublimes ballades évoquant l’habileté qu’a le compositeur à fusionner les genres
musicaux, un peu à la manière du bassiste et chanteur camerounais Richard Bona.
Alvin Chea y fredonne avec son
timbre de voix très bas une mélodie enivrante tandis que Marcus, à la guitare basse gémissante, se met aussi à la kalimba,
instrument africain 3 fois millénaire.
Water Dancer porte
bien son nom, hymne à la danse et à la fête porté par une énergie débordante,
il pourrait être le thème joué par un brass band électrifié de la Nouvelle Orléans.
A noter la participation d’Ambrose
Akinmusire à la trompette, Michael
Doucet au violon et Roddie Romero
à l’accordion.
En clôture d’Afrodeezia,
Marcus a convié le beatmaker Mocean Worker et la moitié de Public
Enemy Chuck D, pour un I Can’t Breathe electrojazz s’ouvrant avec une ritournelle gnawa interprétée au guembri
par notre serviteur en personne, bientôt rejoint par les séquences du
producteur, bassiste et chanteur natif de Philadelphie et le flow revendicateur
d’un des piliers du hip-hop engagé
et politique.
Marcus Miller
voulait à travers ce projet célébrer la musique afro-américaine et montrer qu’elle
pouvait donner de la voix à ceux qui n’en n’avait pas, à l’instar des esclaves
arrachés à leur terre natale et enchaînés à une autre, qui ont ainsi fait
naître malgré l’oppression de nouvelles formes d’expressions hybrides et
syncrétiques, comme l’ont été le gospel, le blues puis le jazz et la soul...
…
Good Job !