Defected
Presents House Masters Heller & Farley (Defected Records)
Le label londonien Defected
nous présente dans sa prestigieuse série House
Masters, qui souligne la carrière de piliers de la scène électronique underground (Fankie Knuckles, Masters At Work,
Dennis Ferrer ou encore Joey Negro) une
rétrospective couvrant l'ensemble de l'œuvre d'un duo emblématique de la
scène house anglaise, Heller & Farley. En effet les producteurs
Pete Heller et Terry Farley, véritables légendes vivantes depuis leurs débuts dans
les 90's se voient offrir une belle célébration de leur contribution à l'évolution
d'un genre musical qui ne cesse de faire des émules. Composée de 30 morceaux choisis, la compilation
rassemble leurs meilleures productions
et remixes écoulés sur les plus exigeants dancefloors depuis près de 25 ans,
de l'Amnesia à l'Hacienda en passant par le cultissine Ministry Of Sound.
On notera bien sûr leur excellent rework du classique How Long d'Ultra Naté, mais aussi leur reprise up tempo et soulful de I Don't Want To Sess Myself (Without You)
de Terry Callier. La liste des
artistes que le tandem a remixés est longue et extrêmement hétéroclite, U2, GusGus, Simply Red et New Order figurent au même titre que
les DJs précurseurs Robert Owens, Junior Vasquez ou Danny Tenaglia.
Myrddin – Rosa de Papel (Zephyrus/L'Autre Distribution)
Parti pour devenir clarinettiste de swing manouche, le musicien belge Myrddin de Cauter s'oriente à l'adolescence vers les sonorités
ibériques du flamenco et devient finalement
guitariste… Et quel guitariste? Inspiré et virtuose, il bâtit un langage
musical singulier, forgé dans la tradition
andalouse et alimenté de sonorités
jazz bien sûr mais aussi glanées dans le répertoire de la musique classique. Il publie
aujourd'hui son 5° opus intitulé Rosa de
Papel et s'entoure pour l'occasion d'artistes d'exception comme le bassiste
cubain Alain Perez (Paco de Lucia,
Jerry Gonzalez), le pianiste prodige Jef
Neve (José James, Gabriel Rios…), le saxophoniste américain Michael Campagna (Charlie Haden, Randy
Brecker) et le percussionniste espagnole Manu
Masaedo. Invitant son père Koen à
chanter sur Mi Corazon Es Como Una Flor
ainsi que les chanteuses flamencas La
Susi sur le torride Deseo et Alicia Carrasco sur le sensuel Aire De Nocturno, Myrddin fait aussi appel aux charmes de l'envoutante danseuse Ana Llanes sur un titre éponyme
captivant et enivrant qui symbolise à merveille l'optique résolument contemporaine
vers laquelle le leader oriente son flamenco,
gorgé ici d'un groove contagieux
dompté par des lignes de basse massives
et jouissives d'un Alain Perez
remarquable.
A noter que Myrddin a composé tous les titres de l'album mis à part les deux hommages à Georges Brassens, Deseo et Trompeteas de la Fama, ainsi que Segundo Amor, écrit par Jef Neve. Il empreinte à trois reprises les mots du dramaturge Frederico Garcia Llorca dans Rosa de Papel, Aire de Nocturno et Deseo.
Henri Texier – Sky Dancers (Label Bleu/L'Autre Distribution)
L'immense contrebassiste français Henri Texier nous présente son nouveau projet qu'il dédie aux peuples
Amérindiens, intitulé Sky Dancers (nom
que se donnent ces ouvriers de l'impossible qui réalisent les travaux acrobatiques
lors de l'édification des gratte-ciels). On se souvient qu'il y a 25 ans il abordait
déjà ce thème avec son Azur Quartet et
l'album An Indian's Week. Aujourd'hui
entouré de ses fidèles acolytes du Hope
Quartet, le batteur Louis Moutin,
les saxophonistes François Corneloup
et Sébastien Texier (fils de …), le septuagénaire
invite pour la première fois deux musiciens désormais incontournables de la
scène jazz hexagonale, le tout jeune pianiste au touché délicat Armel Dupas (qui vient de publier son
très réussi Upriver) et le
guitariste éclectique aux accents électriques puissants, Nguyên Lê.
Lui qui a joué avec les plus grands artistes américains de Bill Coleman à Chet Baker en passant par Donald
Byrd, Dexter Gordon et Bud Powell, n'a eu de cesse au cours de
sa longue carrière de se renouveler. S'imprégnant du free jazz et du bebop outre
atlantiques, il contribue pour beaucoup à l'évolution du jazz en Europe dans
les années 70 et 80, développant un goût particulier pour l'exploration des
sonorités world. Le trio emblématique qu'il forme avec le batteur Aldo Romano et le clarinettiste Louis Sclavis le mènera par exemple à 3
reprises sur les sentiers d'une Afrique vue par le photographe Guy Le Querrec
et ses racines bretonnes le rapprocheront des musiques celtiques.
Ce Sky Dancers sextet
nous invite à découvrir 9 compositions imaginées pour les festivals Europa Jazz
du Mans, Jazz sous les Pommiers à Coutances et Rencontres de l'Erdre à Nantes, qu'Henri a pensé en hommage aux peuples de
la terre Mapuche (originaire du Chili
et d'Argentine) et de la paix Hopi (issu
d'Amérique du Nord), aux indiens des plaines Dakota Mab, à la nation Comanche
et aux célèbres Navajo (Navajo Dream).
Forcément engagé contre le traitement réservé à ces minorités, l'imposant Texier oppose à l'indifférence générale
des Etats concernés son jazz citoyen inspiré
et massif, à l'élégance classique,
au groove contagieux et arborant
parfois des reflets fusion punchy,
notamment servis par un Nguyên Lê électrisant
qui brille de mille feu et qui s'intègre à merveille dans cette nouvelle formation
détonante.
Installé sur les excellentes assises rythmiques de Louis (jumeau du contrebassiste François
avec qui il forme le Moutin Réunion Quartet), Armel nous montre ici un autre aspect de son talent, imposant une
sensibilité armée d'un swing
époustouflant et vigoureux au piano comme aux claviers (il excelle dans le
redoutable Dakota Mab, véritable petit
bijou). Le tandem Texier fils et Corneloup accordent leurs saxophones
alto et baryton sur des mélodies captivantes comme dans He Was Just Shinning, dédié à Paul
Motian, assènent des "souffles de poing" dans le très énergique Mapuche ou créent une nappe vaporeuse
dans le touchant Paco Atao adressé au
percussionniste caribéen disparu, Paco Charlery.
Comme à son habitude, le chef de tribu généreux et passionné
Henri Texier convoque la fine fleure
du jazz et la laisse s'épanouir et se nourrir de ses notes afin d'accéder à de
nouveaux espaces musicaux.
Adrian
Younge – Something About April II (Linear Labs)
Celui qui considère que l'on ne produit plus de vraie Soul depuis 1973 nous propose son
somptueux Something About April II,
second volet d'un dytique entamé en 2011 et qui poursuit les expérimentations analogiques d'un invétéré
du magnétophone et des enregistrements à l'ancienne.
Le multi-instrumentiste, producteur et compositeur californien
Adrian Younge se dresse en apôtre de la black music, dernier gardien et héritier du temple de la
soul psychédélique et du funk des années 60 et 70. Ses débuts dans le rap en 1996 l'ont vite conduit au
constat que les boucles et boites à rythmes étaient trop restrictives et que la
pratique d'un ou de plusieurs instruments prévalait largement sur celle du
sample. Impressionné par la manière dont les légendes vivantes façonnent le
hip-hop de la fin des années 80 et du début des années 90, il s'intéresse aux
sources de leurs productions et se plonge alors dans les sonorités racées issues
du prestigieux catalogue de Stax, dans
celles plus édulcorées de la Motown
ou encore dans celles des formations emblématiques de l'époque, telles que le
trio de Philadelphie The Delfonics. Toujours
à la recherche du son idéal, il s'abreuve de toutes sortes de musiques, des œuvres
d'Ennio Morricone au trip-hop de Portishead en passant bien sûr par Gangstarr et Curtis Mayfield mais aussi The
Beatles et Air.
Ses talents de dénicheur
de pépites et de musicien old schoolnostalgique séduisent d'emblée Ghostface Killah avec qui il va
collaborer à plusieurs reprises, à l'instar des immenses Common, Ali Shaheed Muhammad
ou Timbaland. Lui qui échantillonnait
ses groupes fétiches se retrouve à son tour sollicité par la crème des rappeurs
ou invité à leurs côtés, sur scène, comme avec le Wu Tang Clan le 05 juillet dernier au Zénith de Paris.
Depuis son premier effort édité qu'à 1000 exemplaires en
2000 et nommé Venice Dawn (fortement
influencé par la musique des films italiens), Adrian réalisa en 2009 la bande originale de Black Dynamite aux accents Blaxploitation
et signa nombre d'albums marquants notamment ceux de Bilal, Souls Of Mischief,
William Hart (The Delfonics), Jay Z ou encoreDj
Premier.
Contrairement aux artistes de l'écurie Daptone, il ne veut pas refaire de la musique d'autrefois, mais juste
utiliser son grain si particulier et le faire sonner dans des compositions très
actuelles: "Je ne suis pas là pour faire
de la musique de musée".
Dans son Something
About April II enregistré avec sa collection d'instruments rares et vintage,
le producteur de 37 ans basé à Los Angeles rapproche comme personne les univers
sonores 60's de la dark soul américaine
et du cinéma classique européen, le
toutdans une épopée musicale raffinée
et sophistiquée où brillent les voix soul de Raphael Saadiq (Magic Music),
Loren Oden (Sandrine, Sittin By The Radio),
Karolina (Winter Is Here, Hear My Love)ou encore de Laeticia Sadier et Bilal,
qui interprètent en duo Step Beyond et
La Ballade, allusion à peine voilée
au couple sulfureux Gainsbourg et Birkin.L'artwork du disque, figurant deux jeunes femmes nues (l'une noire
et l'autre blanche) s'enlaçant avec tendresse, fait immanquablement penser aux
fameuses jaquettes d'Ohio Players,
belles, subjectives et sensuelles, magnifiant la beauté afro.
La rétro-soul
psyché-cinématique d'Adrian Younge
impose le respect et place cet esthète du son parmi les plus talentueux
artisans musicaux de sa génération.
Linx, Fresu, Wissels/Heartland - The Whistleblowers
(Bonsaï Music/Harmonia Mundi)
Le délicieux The Whistleblowers
succède au premier opus Heartland publié
voilà plus de 15 ans et dirigé par 3 étoiles du jazz européen, le tandem David
Linx (incontournable crooner belge) et son vieil ami le pianiste
néerlandais Diederick Wissels, accompagné
du délicat trompettiste italien Paolo
Fresu.
Le projet édité par Bonsaï
Music et coproduit par Fresu déborde
d'élégance et d'émotion, il est écrit à six mains complices et pensé sur une
même longueur d'onde. Son répertoire est constitué de 12 ballades originales (dont un hommage vibrant au trompettiste Kenny Wheeler, disparu en 2014) et
d'une reprise d'un classique de la chanson italienne Le Tue Mani. L'un des chanteurs les plus emblématiques de la scène jazz vocal de ces 20 dernières années
signe tous les textes et partage la composition avec ses deux acolytes.
Les mélodies souvent
aériennes y sont touchantes et envoutantes, elles dégagent toutes une
alchimie rythmée au fil des lignes voluptueuses du bassiste français Christophe Wallemme par les pulsations
délicates du batteur norvégien Helge
Andreas Norbakken. Le groove
étincelant palpable dans des titres comme Contradiction Takes Its Place – Part 2 alterne avec la lenteur sensuelle de bijoux tels que This Dwelling Place, ils animent des textes parlant d'amour, d'amitié et du
temps qui passe. Cette fluidité est le fruit d'une entente parfaite et d'un
plaisir non boudé de jouer ensemble. Le souffle du trompettiste nous enivre
comme à l'accoutumé tandis que les accompagnements essentiels et évidents de Diederick offrent un écrin subtil à la
voix de David qui va et vient des
aigus aux graves avec une aisance et une classe impressionnante.
Le quintet est agrémenté d'un quartet à cordes classique
nommé Quartetto Alborado, ses
interventions discrètes et mesuréesplace
définitivement The Whistleblowers parmi
les plus beaux disques classic jazz de
cette fin d'année 2015 troublée.
Franck
Vigroux – Radioland : Radio-Activity Revisited (The Leaf Label/Differ-Ant)
Célébrant le quarantième anniversaire du 5° album de Kaftwerk intitulé Radio-Activity, le compositeur français Franck Vigroux accompagné du pianiste anglais Matthew Bourne et de l'artiste plasticien du mouvement Antoine Schmitt nous propose Radioland, un projet annoncé comme une relecture audiovisuelle ou
"une méditation" en forme d'hommage à l'œuvre des pionniers allemands
de la musique électronique, paru originellement en 1975.
Entre bruissements synthétiques,
bourdonnements, glitchs (Antenna), craquements, vocoder, échos, réverbes et
autres FXs, les trois acolytes réinterprètent les motifs et les mélodies
des titres originaux qui magnifiaient un nouvel univers sonore en formation, célébrant
les ondes radiophoniques (Radioland, Airwaves, Intermission/News) et la radioactivité
(Geiger Counter, Uranium, Radioactivity) dans
l'ère post-nucléaire.
La formation déploie pour ce rework tout un arsenal analogique (des familles Korg, Moog et
Roland) et une imagerie live (les visuels étant tous codés par Antoine et générés par ses propres
programmes). L'atmosphère mélancolique
et inquiétante de ce Radio-Activity
Revisited frôlant parfois le trip-hop des premières heures, demeure fidèle à sa matrice (The
Voice Of Energy), la modernité industrielle et technologique y est toujours
illustrée de façon romantique mais cette fois-ci traitée dans "une
esthétique jazz" enrichie d'une approche plus contemporaine et
malgré notre époque saturée de sonorités électroniques, l'effet Kraftwerk détonne encore de par la clairvoyance de leurs innovations sonores, de leur rigueur percussive et de leurs ritournelles entêtantes.
Après son sublime Double
Circle, projet 100% italien paru il y a quelques mois et où il collaborait
avec le jeune guitariste trevigiano Federico
Casagrande, l'infatigable pianiste romain Enrico Pieranunzi nous revient avec deux actualités à paraître chez
Cam Jazz et Intuition. C'est sur le
disque publié par le label italien que nous allons nous attarder un petit moment…
A la tête d'un quartet américano-néo-zélandais composé du
contrebassiste originaire d'Auckland Matt
Penman et des californiens Ralph
Alessi à la trompette/cornet/bugle et Donny
McCaslin au saxophone ténor/soprano, il présente Proximity. Enregistré à New-York au printemps 2013, c'est un
recueil de 8 compositions intimistes et
accrocheuses où l'absence de l'assise
rythmique d'une batterie ne gâche en rien l'effet que procure son jazz post-bop pur, essentiel et évident. Loin d'être de vouloir mettre ses acolytes en position délicate
sans batteur pour marquer la mesure, Enrico
en doyen bienveillant et sensible leur ouvre le champ des possibles. Et c'est avec
la limpidité et la clarté du jeu des
plus grands (on pense bien sûr à Miles Davis
et Chet Baker) que Ralph et Donny le suivent, accompagnés des
rassurantes 'walking bass' de Matt qui
viennent structurer leurs divagations aériennes. Les accords du pianiste offrent
un écrin délicat aux improvisations alambiquées de nos deux souffleurs,
ensemble ils alternent ballades introspectives
(Sundays, Withinn The House Of Night) et conversations
passionnées (No-Nonsense, Line For Lee) flirtant avec un jazz classique aux reflets parfoisfree (Proximity) où le leader se passe même des touches pour marteler
directement les cordes de son piano, créant alors une atmosphère dissonante des
plus tendues (Five Plus Five).