C’est une explosion
de sonorités urbaines hypnotiques et de rythmes brulants issus des steppes
ouest africaines que nous propose d’écouter le nouvel opus Zoy Zoy,du groupe ancré à Niamey, Tal
National. Succédant à Kanni qui,
grâce au producteur américain Jamie
Carter,eut une écoute internationale
en 2013, il fut lui aussi enregistré de
façon roots et artisanale dans un studio poussiéreux de la capitale du
Niger. En croisant les sonorités du Nigéria (afrobeat), du Mali (culture
mandingue) et du Ghana (highlife) côtiers, ainsi que les différents folklores
composant l’identité nigérienne, le leader Almeida
(guitariste, enseignant, juge, greffier et ancien footballeur) inonde les 8
titres de riffs véloces d’une guitare congolaise
énergique, inspirée par la tradition des grands orchestres d’Afrique de l’Ouest.
Tal National, formation pluriethnique
puisqu’y sont présents des musiciens Arabes, Touaregs, Songhais, Fulanis ou
encore Hausas, interprète un répertoire
traditionnel largement réactualisé et engagé, dont le propos est souvent d’honorer la femme et sa condition dans une
société nigérienne malheureusement écrasée par le poids du religieux.
Retour au son sophistiqué du disco funk des années 80 avec les 12 pépites de deux américains
tirés à 4 épingles, Tuxedo. Le duo se
compose de deux poids lourds de la nouvelle scène hip-hop/soul/R&B, l’excellent
multi-instrumentiste/chanteur originaire de Détroit Mayer Hawthorne (propulsé en tête des charts en 2009 grâce à son
délicieux Just Ain't Gonna Work Out inspiré des Delfonics)
et le Dj/beatmaker de Seattle Jake One (qui
a notamment produit pour Drake, Rick Ross ou 50 Cent…). C’est sur le label
californien de Peanut Butter Wolf, Stone Throw Records (Madlib, J Dilla,
Snoop Dogg, Aloe Blacc …), que nos deux larrons, baignant dans l’héritage du
hip hop de Public Enemy et de la Motown,
publient leur premier opus au titre éponyme. Michael
Collins et Sasha Desree avec
leurs sonorités soul minimalistes nous avaient déjà
enthousiasmé lors de la toute récente sortie sur ce même label du sublime Silk Rhodes, c’est dans une veine plus funky et dancefloor, dans
l’esprit de Chic, The Whispers ou
Shalamar, que Tuxedo nous
présente un disque au groove efficace et
contagieux, dont certains titres comme R
U Ready, Watch The Dance ou Do It, auraient facilement trouvé leur
place dans la tracklist des nuits folles du Studio 54 à New York.
Rien de neuf, c'est sûr, puisqu’il s’agit d’un
retour aux sources que les Daft Punk ont
largement contribué à mettre en lumière avec leur Random Access Memories, et que d’autres ont aussi exploré avec brio
comme Mark Ronson, Bruno Mars ou Pharrell Williams… Mais qu’importe tant que c’est bon !
Polar Bear
– Same As You (The Leaf Label/Differ-Ant)
Les anglais de Polar
Bear nous reviennent avec Same As
You, un disque nous présentant une musique toujours aussi bardée d’expérimentations sonores et d’aventures instrumentales dans un
territoire jazz aux frontières mouvantes.
Dirigé par le batteur Sebastian Rochford,
le quintet nous dévoile une entité musicale
tantôtcool, free, fusion et acoustique,
tantôt électro, afro et funky, pour
faire court : progressive !
Mêlant les structures jazz à des
textures electronica, des beats hip-hop et des rythmiques rock, Polar Bear plonge l’auditeur dans un espace en expansion, où les
mélodies se cousent et se décousent au fil d’un groove parfois nébuleux, parfois percussif ! Innovant, le groupe
est considéré comme l’un des plus brillants de la sphère jazz britannique et
même au-delà, dixit le pianiste/chanteur/animateur radio Jamie Callum.
Laura Perrudin – Impressions (L’Autre Distribution)
Une enfance bercée par le jazz, un double cursus en harpe
celtique et en harpe classique (à pédale) au Conservatoire, un grand appétit pour
la pop, l’électro, la soul, le hip-hop et une curiosité infinie pour les
nouvelles technologies. La jeune harpiste bretonne Laura Perrudin nous livre son premier opus solo intitulé Impressions, somme de son parcours
sinueux et de ses goûts éclectiques. La harpe n’étant pas un instrument taillé
pour le jazz elle n’a souvent joué qu’un rôle mineur et décoratif dans les
orchestres (avec le principe du glissando), avant d’atteindre un statut plus
noble avec le rock et la pop, parfois électrifiée et couplée à des machines. Laura s’est donc associée au luthier Philippe Volant pour se forger une harpe celtique à cordes alignées entièrement
chromatique, plus adéquate aux évolutions harmoniques du jazz contemporain. Impressions rassemble 13 compositions dont
les textes, qu’elle chante avec douceur
et sensualité, sont extraits des œuvres d’illustres auteurs anglais et
américains (Shakespeare, O. Wilde, E.A. Poe, J. Joyce…). L’artiste y exploite le
plus largement les possibilités que lui offre ce nouvel instrument qu’elle
allie à la puissance de ses machines, créant ainsi une fusion subtil entre sonorités acoustiques du monde « réel et
palpable » - organiques et humaines – et textures électroniques du « monde sonore parallèle ou virtuel »
« ouvrant des horizons de découvertes infinis ». Impressions nous évoque donc à la fois un
univers électro jazz sophistiqué
teinté d’accents celtiques et des ambiances
folk/pop façon Norah Jones, gracieuses et enivrantes. Laura Perrudin y a tout conçu, voix, percussions, harpe et
programmations, jusqu’à la post-production… Un travail abouti et bourré de
bonnes idées, une technique pointue et exigeante, une sensibilité inspirée et
délicate.
Sonnet VII, qui explore les couleurs nu soul,
est pour moi le titre le plus marquant. J’ai l’impression d’y retrouver le groove et la
voix d’Esperanza Spalding ayant troqué
sa contrebasse pour une harpe celtique !
Michele Campanella & Javier Girotto - Musique Sans
Frontières (CamJazz/Harmonia Mundi)
Prenons de la hauteur et laissons nous happer par la beauté
et l’élégance du projet de deux musiciens aux univers à priori bien distincts :
celui du pianiste classique italien Michele
Campanella (spécialiste de Franz Liszt) et du saxophoniste jazz argentin Javier Girotto (ayant collaboré avec l’ONJ,
Stefano Bollani, Paolo Fresu…). Tous deux, sous la direction du producteur de CamJazz, Ermano Basso, échangent leurs maîtrises, leurs affinités et leurs sensibilités
autour de 15 pièces issues des répertoires de Maurice Ravel et Claude
Debussy. On y distingue les frontières ténues qu’il put y avoir entre la musique
classique avant-gardiste du début du XX° siècle et l’émergence du jazz, la
rigueur de la grande musique et la liberté d’improvisation de celle aux notes
bleues ne s’opposent pas, bien au contraire, elles s’accordent sur une
exigence, une technicité et une écriture pointue ; la curiosité poussant l’une
et l’autre à s’étudier voire à s’influencer. Bill Evans, par exemple, est redevable aux deux compositeurs impressionnistes,
fascinés en leur temps par ces sonorités noires américaines, comme le blues et
le ragtime, qui allaient donner naissance au jazz.
Le trio londonien Troyka
publie son 3° opus studio intitulé Ornithophobia.
Mixé à Berlin par le bassiste/producteur suédois Petter
Eldh, ce disque mêle habilement l’esprit créatif du jazz aux expérimentations sonores du post-rock en s’imprégnant du blues,
des sonorités électroniques du trip-hop
et des rythmiques alambiquées de l’abstract
hip-hop. Constitué de Kit Downes
aux claviers, Chris Montagne à la
guitare/loops et Josh Blackmore à la
batterie, Troyka nous livre un album
aux atmosphères sombres, complexes mais envoutantes, alternant les moments
planants et les passages plus incisifs, tracés au couteau par une guitare
angoissante et les motifs polyrythmiques d'un batteur affuté. Inspiré d’une phobie de Chris pour les volatils, le groupe a
composé 9 titres évoquant un Londres cauchemardesque habité d’oiseaux à taille
humaine imaginés par l’artiste Naiel
Ibarrola.
Buena Vista
Social Club – Lost & Found (World Circuit)
Le projet Buena Vista
Social Club, mené par Ry Cooder et
immortalisé au cinéma par Wim Wenders,
fut largement salué dès la parution du 1er disque au titre éponyme en
1996. Il consistait à remettre en selle les légendes de la musique cubaine des
années 50, provoquant alors un nouvel engouement international pour lesrythmes chaloupés de la salsa, de la guarija, du son cubain et autres
boléros de la Havane. 20 ans plus tard et en guise d’adieu, le label
anglais World Circuit publie un recueil
de raretés et d’inédits intitulé Lost
& Found. Il rassemble 13 titres captés en live ou lors de sessions d’enregistrements
en studio et retrace l’épopée d’une équipe qui, depuis, vit disparaître
certains de ses membres éminents comme Compay
Segundo, Ibrahim Ferrer ou
encore Ruben Gonzalez. Les
survivants ont prévu un Adios tour
afin de partager une dernière fois sur scène ce patrimoine de la trova, que la chanteuse Omara Portuondo continue d’explorer et
de promouvoir en solo.