Le label Mr Bongo est une nouvelle fois allé nous dénicher une petite pépite musicale oubliée... Il s'agit du premier opus (et accessoirement chef d'oeuvre) S.P. / 73 du multi-instrumentiste, compositeur et arrangeur brésilien Hareton Salvanini (RIP). Paru initialement en 1973 chez Continental, le disque est aujourd'hui réédité pour le plus grand bonheur des amateurs d'un jazz-funk orchestral aux reflets carioca, façon Eumir Deodato dans son illustre reprise du théâtral "Also Sprach Zarathoustra" de Richard Strauss.
Directeur musical de TV Record (Sao Polo) à la fin des années 90, il demeure un auteur méconnu de jingle publicitaire et de musique de film. Véritable crooner à la voix d'ange (qui remporta le 1er prix de chant lors du festival universitaire de TV Tupi), il nous régale de 11 titres symphoniques interprétés par la quarantaine de musiciens de l'Orchestre Municipal du Théâtre de Campinas qu'il dirige avec maestria. Son frère Ayrton, qu'il considère comme son bras droit,signe quant à lui les textes de chansons qui alternent avec des plages exclusivement instrumentales à rapprocher de celles de Lalo Schifrin ou d'Henry Mancini. Entre bossa nova, BOF, jazz, MPB et musique classique, Hareton nous livre un disque emblématique et rare... Qui reçu à l'époque le prix du meilleur album étranger au Japon.
Junior Sanchez, l'un
des piliers de la scène électronique underground de New-York, nous offre un
nouvel EP baptisé Built, composé de deux titres au groove solide et massif, parcourus
de sonorités house classiques et armés de lignes de basse funky. Distribués
en format digital par le label londonien DFTD,
"Da House Dat Jack Built" et
"Suck My Soul" se
retrouveront inévitablement dans la playlist de bien des Djs lors de la saison
estivale à venir. Leurs vocaux catchy,
leurs bass lines hypnotiques et leurs
rythmiques entraînantes feront
mouche à tous les coups. Mention spéciale pour un "Suck My Soul" explosif
et contagieux!
Martha High
- Singing For The Good Times (Blind Faith Records/Differ-Ant)
Le nom de James Brown
est indissociable de celui de ses fidèles acolytes Fred Wesley, Bobby Bird,
Alfred "Pee Wee" Ellis, Lyn Collins et autres Marva Whitney … Pourtant
il en est une dont on ne parle que trop rarement, c'est sa choriste Martha High, qui l'accompagna sur scène
et en studio pendant plus de 30 ans, avant de rejoindre au début des années
2000 l'orchestre du saxophoniste Maceo
Parker (autre étoile de la JB's
factory), puis la formation hexagonale Shaolin
Temple Defenders en 2008 (W.O.M.A.N.)
et enfin les Speedometer en 2012 (Soul Overdue). S'apprêtant à publier un
nouvel opus solo baptisé Singing For The
Good Times prévu pour le 22 Avril prochain, la "Platine Blond Soul Sister" revient sur le devant de la
scène pour le plus grand plaisir des aficionados d'une southern soul profonde et originelle, puisant ses racines dans
le blues et le gospel ! A travers 11 titres
enregistrés à l'ancienne, elle nous replonge dans ses sonorités corrosives des 60's,
si chaudes et si sensuelles, qui firent la renommée d'un genre qui n'a
jamais cessé de passionner et de renaître de ses cendres (Amy Winehouse, Angie
Stone, The Dap Kings…). Epaulée par le producteur et crooner italien Luca Sapio la diva, qui a dépassé les
70 printemps, n'a rien perdu de sa fraîcheur et de sa superbe, comme le prouve
son premier extrait intitulé "Lovelight",
résolument racé et si proche du Memphis Sound
de l'illustre écurie Stax.
Elza Soares
- The Woman At The End Of The World (Mais Um Discos/Differ-Ant)
A presque 80 ans l'icône carioca Elza Soares n'en finit pas de nous surprendre, se réinventant sans
cesse et abordant des problématiques brûlantes d'un Brésil bien éloigné des
clichés. Masquant les outrages du temps par multe interventions esthétiques et
sous une épaisse couche de fond de teint, la diva aux sept vies publie son 34ième
album studio intitulé The Woman At The
End Of The World (A Mulher Do Fim Do Mundo), composé de 11 morceaux
inédits… Une première pour l'artiste !
Représentante d'un
nouveau genre musical baptisé dirty
samba ou samba sujo issu de la scène avant-gardiste paoliste, Elza nous dépeint sur fond d'histoires
sordides le portrait renversant d'un pays abusé et excessif, où racisme, sexe,
drogue et violence côtoient l'image d'Epinal du Carnaval et des plages de Rio.
Celle qui fut la protégée de Louis Armstrong dans les années
50, l'épouse de la légende du foot Garrincha
et qui partagea la scène de Chico Buarque, Caetano Veloso et autres
Gilberto Gil, a toujours voulu innover
sa samba l'associant au jazz, à la soul, au hip-hop, au funk ou à la musique
électronique. C'est avec le free
jazz et le rock que l'octogénaireà l'énergiepunk décide
aujourd'hui de fricoter, dans un disque
dur et éraillé où la MPB (musica
popular brasileira) est largement mise à mal. Le batteur/percussionniste Guilherme Kastrup en est le maître d'œuvre,
conviant aux côtés de la chanteuse les auteurs, musiciens et compositeurs de
SP: Kiko Dinucci, Rodrigo Campos, Felipe Roseno, Marcelo Cabral, Thiago
França, Douglas Germano, Clima, Celso Sim et Romulo Froes…
Sa voix rauque et
vibrante dans l'ouverture en acapella "Coraçao
Do Mar" (poéme d'Oswald de
Andrade, auteur moderniste du célèbre Manifeste Anthropophage), nous fait
calmement glisser vers la sublime samba
triste "A Mulher Do Fim Do Mundo"
où accents électro et guitares saturées
nous annoncent d'emblée une musique grave et pesante, exprimant douleur, désespoir et colère…
Les cordes viennent rajouter une touche de lyrisme hypnotique et terriblement
captivant à un titre qui demeure plutôt soft au regard de ce qui suit.
En effet tout se gâte à partir de "Maria Da Vila Matilde", la samba devient bruyante (samba
esquema noise), une chape de plomb s'abat sur l'auditeur avec cette chanson
sombre et corrosive où Elza incarne une
femme battue (du vécu?)
avertissant son ex-compagnon de ne plus l'approcher sinon "você vai se
arrepender de levantar a mao pra mim" (tu
vas regretter d'avoir levé la main sur moi).
"Luz
Vermelha" et sa mélodie
dissonante aux reflets psychédéliques nous livre ensuite une réflexion
pessimiste et effrayante sur le monde…
Le très explicite "Pra
Fuder" ("pour baiser")
et son air desamba afro-punkendiablé
exprime le désir sexuel incandescent et sauvage d'une femme prédatrice…
L'instrumentation y est dominée par les cuivres acides de Bixiga 70.
"Benedita"
raconte l'histoire d'un transsexuel drogué accablé par les violences sociales,
violences illustrées par la distorsion des guitares tranchantes…
La moiteur du Shrine transparaît ensuite dans l'afrobeat de "Firmeza?!", qu'elle interprète en duo avec Rodrigo. Les cuivres funky rappellent bien sûr ceux de Fela Kuti…
Le tango désarticulé
et chancelant"Dança" est
post mortem, narré par une disparue qui, même réduite en poussière, veut
danser…
Dans la ballade maritime "O
Canal" est cité Alexandre Le Grand, veillant sur la construction d'un passage
près de la mer Egée et réprimant ses sujets par cupidité et désir de grandeur…
Un écho à la dictature militaire au Brésil?
Le tendre "Solto"
est l'unique titre de l'opus dans lequel il n'y a pas de perturbation sonore ni
d'agression verbale, l'orchestration y est composée d'arpèges de guitare et d'un
quatuor à cordes formant un doux écrin à la voix apaisée d'Elza, qui ne crie plus mais murmure un texte demeurant tout de même
noir et triste, faisant sans doute écho à sa liaison avec l'amour de sa vie.
En clôture de ce qui semble être le meilleur album brésilien de l'année 2015 (Rolling Stone Brazil), Elza se retrouve à nouveau seule , nous offrant un second acapella touchant, surgi d'une nappe électronique cacophonique et angoissante. "Comigo" est un hommage à la mère, qui malgré sa disparition reste présente auprès de ses enfants... Des mots qui résonnent de façon particulière pour la diva qui perdit un fils quelques mois avant le lancement du disque fin 2015.
Bien que les textes soient écrits par d'autres, l'artiste se les approprie et se raconte san jouer la comédie...
Le phénoménal Roger
Sanchez alias S-Man, ardent
agitateur de dancefloor et pionnier d'une house
music underground des plus exigeantes nous revient avec sa bombe "Searching" qu'il produit en
collaboration avec une autre signature emblématique de la scène électronique
américaine, le Dj/producteur Harry "Choo
Choo" Romero (HCCR).
Remarqué tout récemment pour sa compilation Strictly Roger Sanchez, dans laquelle
il revient à travers une sélection de 30 titres old school sur les moments marquants
de sa carrière, le new-yorkais nous montre qu'il demeure toujours autant d'actualité,
avec une production aux sonorités définitivement
classiques mais qui résonnent de manière contemporaines.
Dans la version vocale
de "Searching", les deux
légendes invitent la diva basée à Londres Melisa
Whiskey qui, sur un beat deep-house,
injecte avec sa voix puissante un fluide
soulful captivant. La version Dub
est plus typique de la patte de S-Man
et se renforce d'une solide partie rythmique rendue plus sèche et percutante
par Harry Romero.
Ebo Taylor –
My Love And Music/ Twer Nyame (Mr
Bongo)
L'illustre guitariste ghanéen Ebo Taylor, véritable chantre du highlife des années 70, est considéré comme une véritable légende de
la musique d'Afrique de l'Ouest tant son apport a su moderniser ce style
traditionnel apparu au début du 20ième siècle, en le combinant à l'afrobeat, au jazz et à la funk des
icônes américaines.
Toujours à tourner alors qu'il fête cette année ses 80
printemps, l'artiste voit son œuvre être célébrée par l'excellent label Mr Bongo, qui republie deux de ses albums
(dont les éditions originales se négocient à prix d'or), le premier de sa
carrière solo My Love And Music paru
en 1975 et Twer Nyame en 1978.
My Love And Music
est largement dominé par l'influence du reggae
(manifeste sur "Maye Omama"
et le titre éponyme) on note bien sûr l'emprunte caribéenne du calypso (une des composantes essentielles
du highlife), mais aussi celle de Fela Kuti sur le brulant "Odofo Nyi Akyiri Biara" et de
la soul sur "Will You Promise".
Le second disque sonne plus roots, Ebo l'a composé et arrangé de façon plus classique, avec les
accents latin-jazz radieux du titre
éponyme, les cuivres afro-funky et
la guitare électrique de "Peace On Earth", les claviers psychédéliques et les percussions entêtantes d'"Atwer Abroba".
De quoi réjouir les amateurs d'afro-groove férus de raretés…!
C'est à Paris, ville-étape située sur la route des grooves afro-brésiliens, entre Addis
Abeba et Rio de Janeiro, que la formation Camarao
Orkestra prend forme en 2008 autour du trompettiste Paul Bouclier. Largement influencés par les rythmes syncrétiques du
Brésil, les 10 musiciens élaborent un savoureux mélange fusionnant les
sonorités jazz/funk des années 70
aux traditionnels Maracatu du
nordeste, Afoxé et autres Samba… Doté d'une section cuivre puissante et de percussionnistes
aguerris à l'atabaque, à la cuica et au berimbau entre autres instruments
propres aux rondes de capoeira ou aux
rites religieux du Candomblé, l'Orchestre Crevette exprime à travers 8
titres syncopés et endiablés sa vision
captivante du groove. Un groove qui
swing dans "Saidera" ou
qui se pare d'accents afrobeat dans "Afroben" et éthiojazz dans "Baravento".
A noter la présence d'une assise rythmique plutôt funky
composée du bassiste Virgile Raffaëlli,
du claviériste Florian Pellissier et
du guitariste Farid Baha. Nous
remarquerons aussi la prestation sensuelle des chanteuses Amanda Roldan et Agathe
Iracema.
Ce premier opus au titre éponyme parait chez Clapson Records et mérite toute notre
attention car il ne reprend pas les sempiternels relents festifs "sauce brésilienne"
que nous servent souvent les batucadas et autres collectifs de rue, en effet Orkestra Camarao s'efforce de bâtir un
répertoire original et réfléchi, une identité musicale singulière…