La chanteuse brésilienne Céu, que nous écoutions il y a peu sur l’excellent Tempo & Magma de Tigana Santana nous revient avec un album
Live intimiste capté en aout 2014 chez
elle à Sao Paolo, au Centre Culturel Rio
Verde. Le disque, composé de 15 titres, reprend l’essentiel de ses 3 premiers
opus et marque ainsi 10 années d’une carrière ponctuées notamment de 4 nominations aux Grammy Awards.
Accompagnée de Lucas
Martins à la basse, de Dustan Gallas
à la guitare et au Fender Rhodes, de Dj
Marco à la programmation et aux scratches ainsi que de Bruno Buarque à la batterie, Céu
nous invite dans son univers MPB
fusionnant samba et rock psychéaux accents méxicains (Falta de Ar), ballade pop (Chegar Em Mim)et
reflets électroniques (Contados), blues rugueux (Grains de Beauté) et cumbia (Retrovisor), tropicalisme (Cangote), instants
reggae (Concrete Jungle) et soul (Lenda) ou encore rythmiques afrobeat (Rainha) et swing jazzy (Amor De Antigos). Sa voix, à la
tessiture si subtile, a la clarté et la profondeur de son aînée Gal Costa. Elle survole avec élégance
et maitrise, en portugais et parfois en anglais (Streets Bloom), un répertoire multicolore au grain vintage,
plantant une atmosphère chaleureuse et conviviale.
Get The
Blessing – Astronautilus (Naim Jazz/Modulor)
Dédié au saxophoniste précurseur du free jazz Ornette Coleman, disparu en juin
dernier à New York, Astronautilus
est le 5° opus de la section rythmique de Portishead,
Get The Blessing. Composé depuis ses
débuts en 2000 du saxophoniste Jake
Mucmurpchie, du trompettiste Pete
Judge, du batteur Clive Deamer
et du bassiste Jim Barr, le quartet post-jazz de Bristol nous offre
9 titres sombres aux ambiances punk tendues et électriques. Les sonorités cuivrées désarticulées, distordues
et renforcées d’FX noisy sont soutenues
par des lignes de basse massives et des
beats tranchants et crasseux. Si l’improvisation y occupe une place
importante, Astronautilus combine
habilement les rythmiques marquées aux atmosphères cinématiques et embrumées,
habitées de mélodies lancinantes parfois accrocheuses et d’autres fois dissonantes
et complexes. Get The Blessing
évolue aux frontières du jazz, se
frottant à l’ambient, au post-rock, à l’electro et à la musique de
film.
Antiquarks – KÔ le libre album (Mustradem/InOuie
Distribution)
La compagnie Antiquarks
est à l’initiative depuis sa création il y a une dizaine d’années d’une quinzaine
d’œuvres originales et de plus de 300 performances artistiques, concerts,
spectacles, conférences ou workshop, délivrés en France et à travers le monde.
Le collectif humaniste, tentaculaire et à géométrie variable, nous présente son
dernier projet intitulé KÔ (« corps »
en créole), une œuvre musicale, graphique et poétique se dressant avec vigueur,
humour et folie contre une industrie du disque standardisée et omnipotente.
Offert comme un « humanifeste du
corps ordinaire » sous la forme d’un livret de près de quarante pages, d’un
disque de 8 titres et d’un show anticonformiste et débridé, KÔ convie son public devenu auditeur,
spectateur et lecteur dans un univers singulier où se « rassemblent une
pluralité de mondes musicaux ». La chanteuse tuscarora militante Pura Fé (Western Dark Side) côtoie ainsi la cantatrice de l’orchestre
national de Lyon Sophie Lou (Papageno Papagena), le percussionniste Ismael Mesbahi (Aman) et le danseur/chanteur burkinabé Bouréima Kiénou (Rockya Couba)
dans une musique « interterrestre »
comme le dit l’un des piliers d’Antiquarks,
l’artiste-sociologue chanteur, percussionniste et compositeur, Richard Monségu. Entre les rythmes d’Afrique de l’ouest, le punk/rock (Pigs Bridge), la musique
orientale, le world jazz (Shake It) ou les ambiances créoles (Dyab), KÔ se joue des codes, prend le risque d’être une œuvre foisonnante
et plurielle, sans à priori mais gorgée de convictions.
G!rafe & Bruno Girard - L’Ami que j’Aimais Bien
(Discobole Records)
Quel est donc cet animal étrange, qui, animé par une énergie post-rock, joue une musique
sombre marquée par les mots d’un poète maudit nommé Alain Peters ? G!rafe
est une formation menée par le chanteur Bruno
Girard (membre de Bratsch,
groupe historique français aux influences jazz, tziganes, russes et arméniennes)
et composée du bassiste Théo Girard,
du batteur Eric Groleau, du
guitariste Stéphane Hoareau et du clarinettiste
Nicolas Naudet. Son projet intitulé L’Ami que j’Aimais Bien est un hommage à
l’auteur et musicien réunionnais Alain
Peters, qui fusionnait dans les années 70 psychédélisme, rock et maloya.
Bruno a choisi de dire en français 6
poèmes de l’artiste disparu précocement en 1995, ils expriment tantôt l’espoir puis
le désespoir, tantôt la déception amoureuse et la solitude puis l’injustice
sociale… Bref autant de divagations souvent mélancoliques et parfois amères que
son chant grave et imposant, qui s’apparenterait
presque au slam de Grand Corps Malade, extirpe avec calme
et vigueur d’un amas rocheux en fusion.
Le trombone a toujours été un instrument fascinant, de par
son allure et sa mécanique, mais rarement mis en premier plan. On garde cependant
en mémoire quelques noms illustres comme le jazzman J J Jonhson, l’immortel Fred
Wesley des JB’s, plus récemment le suédois Nils Landgren ou le tout jeune Trombone
Shorty, natif de la Nouvelle Orléans.
Fidel Fourneyron,
originaire d’Albi dans le sud ouest de la France, nous présente son premier
opus solo intitulé High Fidelity.
Bien loin des sentiers battus par ses aînés, le tromboniste virtuose invite son
auditoire à partager l’intimité qui le lie à son instrument, duquel il parvient
à extirper des sonorités inédites et surprenantes. Passionné par les grands
orchestres de swing et amateur de rumba cubaine, c’est véritablement dans les
milieux du jazz moderne, de la musique improvisée et contemporaine qu’il
se fait remarquer. High Fidelity n’a
d’ailleurs rien à voir avec un disque de jazz au sens classique, c’est une
suite de 9 titres pour trombone seul, où bruits, souffles, grincements,
grognements, cris, murmures, monologues et répétitions entêtantes se succèdent,
se chevauchent et se causent, laissant parfois échapper quelques phrasés familiers.
Gentleman’s Dub Club - The Big Smoke (Easy Star
Records)
Le combo anglais baptisé Gentleman’s Dub Club nous présente chez Easy Star Records son dernier obus sonique composé de 11 titres et intitulé
The Big Smoke. Ses 9 musiciens
réputés pour l’énergie qu’ils dégagent en concert se sont rencontrés en 2006 à
Leeds, après sept années d'une tournée mondiale parait leur premier essai FOURtyFOUR suivi de deux EPs très bien
accueillis par la scène bass music
britannique. Avec ce second opus la formation nous convie une nouvelle fois
dans son trip dub, imbibé d’influences reggae et ska. Les
ambiances planantes et cuivrées gavées de reverbes et d’echos sont bien sûr au
rendez-vous, ainsi que le chanteur Natty
sur un One Night Only très roots et le jeune saxophoniste Josh Arcoleo dans un Nocturnal à la rythmique 2 Tone tranchante.
Rien de mieux pour commencer sa journée que d’écouter le
nouveau projet aux sonorités world/est-africaines
du multi-instrumentiste de Los Angeles Dexter
Story, véritable chantre de la
culture jazz et hip-hop underground américaine. Ayant autant croisé le fer
avec Wynton Marsalis et Kamasi Washington qu’avec Madlib et Les Nubians, le
producteur aux multiples casquettes s’est aussi frotté au marketing de
l’industrie musicale en travaillant notamment pour Def Jam et Bad Boys Records.
Après Seasons
paru en Février 2013 chez Kindred
Spirits, un premier album soul aux accents jazzy, funky et R&B, le
musicien cinquantenaire (qui emprunte son nom d’artiste à l’illustre
saxophoniste Dexter Gordon) nous
présente son second opus baptisé Wondem,
dans lequel il ré-explore depuis son home studio californien les rythmes
africains qui l’ont indélébilement marqué lorsqu’il était le batteur puis
l’arrangeur du trompettiste Todd Simon et
de son Ensemble Ethio-Cali. En effet,
les ambiances « éthiopiques » inspirées du maître Mulatu Astatké transparaissent à
travers des titres comme Lalibela, Sidet Eskermeche (où est convié le
chanteur Yared Teshale) ainsi que Saba, tout trois étant habités par les
entrelacs psychédéliques déployés par les guitares et les cuivres éthio-jazz.
Mais Wondem, qui
se traduit par « frère » en amharique, ne se résume pas qu’à une
incursion dans l’Addis Abeba des années 70, le joyeux A New Day par exemple nous immerge dans la pop moderne du sud de l’Ethiopie tandis que Be My Habesha nous invite au Nord du Mali, où les alchimistes de
Tinariwen ont imaginé la musique assouf,
un habile mélange de musique touareg, de
rock et de blues.
Changamuka ensuite,
et la voix soul racée de Godfrey at
Large alias Dustin Warren nous plonge
dans une Afrique éprise du son sophistiqué de la Motown, alors de Miguel Atwood–Ferguson et Mark de Clive Lowe arrangent et
interprètent la mélodie arabisante
et presque kitch de Mowa, un hommage
au chanteur/joueur de oud soudanais Mohammed Wardi. Le Soudan est toujours à
l’honneur dans le coloré Without An
Adress sublimement interprété par la chanteuse retro pop originaire de Khartoum Alsarah.
Merkato Star et
ses rythmes tournoyants et intenses nous hypnotisent à la manière d’une transe
soufie, alors que l’orchestration de la pièce instrumentale Xamar renoue avec la vision
est-africaine du jazz-funk des 70’s,
atmosphère déjà présente dans Changamuka
mais qui semble être ici passée au crible d’un Fela Kuti apaisé.
Dans Eastern Prayer,
les vocalises suaves et vaporeuses de Nia
Andrews sont accompagnées d’une instrumentation délicate où chœurs aériens
où steel drums de trinidad, congas afro-cubaines et kalimbas ouest-africaines
s’unissent pour accueillir une guitare au touché afro-caribéen.
Pour clore Wondem,
Dexter Story nous offre le
romantique et spirituel Yene Konjo
dans lequel sa voix profonde, douce et veloutée est mise en valeur par les
claviers de l’expert Mark de Clive-Lowe
dont la présence inonde l’ensemble de l’album.
Encore un succès en perspective pour le label anglais Soundway Records de Miles Cleret qui publiait, il y a peu, l’excellent
projet Ibibio Sound Machine.