Le trompettiste hyper-productif Ibrahim Maalouf, qui nous offrait il y a peu ses deux derniers Kalthoum et Red & BlackLight nous invite à présent à redécouvrir une des divas orientales des plus emblématiques de ces dernières années, l'anglo-égyptienne Natacha Atlas. Bien loin des clichés orientalistes que la chanteuse a nourri pendant des années, le duo nous propose avec son sublime Myriad Road un album de jazz délicieusement teinté de reflets orientaux délicats et authentiques. Plus de la moitié de l'opus est interprétée en anglais, mais l'ensemble des 10 titres est pourtant habité de ces ondulations lascives et enivrantes propres au chant maqam, les envolées vocales de Natacha sont parfois reprises par la trompette micro-tonale d'Ibrahim dans un concert de swing élégant, métisse et entêtant.
On reconnait bien sûr l'écriture du musicien libanais, sa patte si sensuelle et inspirée est ici mise au service de la voix étonnante et puissante de l'ancienne égérie d'une scène electro/pop orientale qui ne lui permît finalement jamais de s'épanouir artistiquement. Le trompettiste a réuni pour l'occasion un quintet jazz pensé autour du batteur niçois André Ceccarelli et a convié des guests d'exception telles que le violoncelliste Vincent Ségal (Bumcello) et le tromboniste Robinson Khoury (Uptake).
Myriad Road est donc une renaissance, l'affirmation que Natacha Atlas est une artiste libre désormais extirpée du carcan dans lequel elle s'était enfermée depuis le début des années 90 avec l'ethno techno du fameux Transglobal Underground oule trip-hop du producteur Nitin Sawhney, pionnier de la scène underground asiatique.
Django Reinhardt, Stéphane Grappelli - L'Intégrale du Quintette à cordes du Hot Club de France (Label Ouest/L'Autre Distribution)
Dans une France de l'entre guerre, le guitariste Django Reinhardt et le violoniste Stéphane Grappelli fondent le Quintette du Hot Jazz de France, une formation composée de trois guitares, un violon et une contrebasse mêlant le jazz à la musique manouche. Remportant un succès populaire immédiat, le groupe se produit dans toute l'Europe croisant alors la fine fleur du jazz américain, comme le saxophoniste Coleman Hawkins ou le trompettiste Benny Carter.
L'Intégrale du Quintette à cordes du Hot Club de France rassemble pour la première fois l'ensemble de l'œuvre-phare des deux pionniers européens dans un coffret de 8 volumes répartis en 3 périodes: Les Débuts entre 1934 et 1935, L'Âge D'Or entre 1936 et 1939 et enfin L'Après-Guerre entre 1946 et 1948.
Parmi les 155 enregistrements entièrement remasterisés, on retient forcément les interprétations magistrales de Minor Swing (1937), Nuages (1946) ou Coquette (1946) qui malgré les années n'ont rien perdu de leur superbe.
A noter que l'initiative a été chaleureusement accueillie par les dignes héritiers de ces deux mastodontes du jazz manouche, Biréli Lagrène, Thomas Dutronc ou Didier Lockwood figurent déjà parmi les fans du projet.
Gilad Hekselman – Homes (Jazz Village/Harmonia
Mundi)
Tombé au hasard de mes déambulations youtubiennes sur le
superbe clip de sa reprise de Last Train Home composé par Pat Metheny, je
découvrais alors un jeune jazzman en passe de devenir un géant ! D’origine
israélienne et installé à New-York depuis une dizaine d’année, le guitariste Gilad Hekselman baptisé le « Petit Prince » de la six cordes
publie son 5° opus intitulé Homes et
enregistré avec ses fidèles complices le contrebassiste Joe Martin (pilier du Mingus Big Band) et le batteur Marcus Gilmore (petit fils et disciple
du mythique Roy Haynes). Remarqué aux côtés de grands noms tels que Chris
Potter, John Scofield ou encore Esperanza Spalding, il invite sur 2 titres une
autre star du jazz nord américain, le batteur de Brad Mehldau, Jeff Ballard.
Ce qui frappe dès l’ouverture du disque avec le prélude
éponyme Homes, c’est l’élégance et la
rondeur du son de sa guitare. La fluidité du jeu de Gilad et la sophistication de son phrasé évoquent immanquablement
le touché de Jim Hall, tandis que sa
puissance mélodique le rapproche de Pat
Metheny, un mentor à qui il empreinte un Last Train Home aux contours dépouillés et gracieux.
C’est à un magnifique voyage que nous convie le trio, un
trip dans le temps et dans l’espace vers des destinations et des époques aussi
diverses qu’exotiques, Parisian
Thoroughfare (de Bud Powell) nous
transporte au temps du bebop des
années 50 à New York, alors que le titre fleuve Cosmic Patience nous replonge dans le jazz fusion des années 70 avec ses reflets psychédéliques… Le touchant Samba Em Preludio, écrit en 1962 par Baden Powell, nous bouleverse sur un air de bossa nova sublimé et magnifié par le guitariste au doigté magique
et Keedee, mené d’une main droite de
maître par Jeff Ballard, ballade son
thème enjoué sur une polyrythmie africaine
inspirée.
Homes est LA sensation de cette fin d’année 2015 !
Alan
Stivell – Amzer (Seasons) (World Village/Harmonia Mundi)
A vrai dire, j’abordais l’écoute de ce disque à reculons… La
musique celtique n’étant pas
forcément ma panacée. Seulement voilà, le 24ième opus d’Alan Stivell intitulé Amzer ne se résume pas à cette
classification, il s’agit d’une œuvre bien plus complexe aux ramifications
multiples. Plongé dans un univers sonore
organique et intimiste, l’auditeur se laisse rapidement séduire par les textures acoustiques et électroniques
apaisantes plantées par le septuagénaire. Et c’est contemplatif et reposé
qu’il entreprend son immersion dans un conte
musical avant-folk aux reflets world, dédié aux poètes et à la Nature
bienveillante, où le temps rythmé par les saisons se déploie sereinement,
illustré par des bruissements
expérimentaux, des chants d’oiseaux,
des flûtes et des cordes enivrantes,
des percussions discrètes et des voix comme suspendues en apesanteur. La
poésie y tient une place prédominante,
Alan rapproche pour la première fois
sa culture bretonne, façonnée jadis dans les chants traditionnels gallois,
irlandais et écossais, de la « zénitude »
japonaise, 3 haïkus de printemps sont d’ailleurs récités en ouverture. Armé de
sa harpe néo-celtique et toujours
animé par le développement technologique, il s’interroge dans plusieurs langues
et en utilisant des sons purs,
archaïques et futuristes, sur le temps qui passe (Amzer en breton), sur l’évolution d’un monde semé de conflits et d’horreurs.
Renault Garcia-Fons
& Dorantes - Paseo a Dos (E-motive Records/L'Autre Distribution)
Le contrebassiste Renault
Garcia-Fons nous revient avec un nouveau projet intitulé Paseo a Dos. Comme l’indique le titre,
il s’agit d’une collaboration menée étroitement avec le pianiste sévillan David PeñaDorantes, artiste virtuose perpétuant la tradition du flamenco héritée de la fameuse dynastie
des musiciens gitans andalous, appelée Peña de Lebrija. Comme dans son précédent Linea Del Sur, Renault
tisse avec brio et sophistication des liens entre les cultures, il nous invite
avec son complice à partager la lumière radieuse de la méditerranée et de l’Amérique
latine. Avec ou sans son archet, en frottant ou en pinçant les 5 cordes de
son instrument, il empreinte tour à tour les sonorités du luth arabe, de la
guitare espagnole ou du violon tzigane. Dorantes
se sert du piano « comme d’une machine à écrire sur l’air », il
élabore un jeu plus complexe et orchestral que le flamenco pur, à la lisière du jazz et de la musique
classique, tout en gardant la fougue sanguine de ses origines. Le duo nous
livre un opus puissant et sensuel, fruit d’une entente née sur scène et enfin
gravée sur disque.
John Greaves – Verlaine Gisant (Signature/Harmonia Mundi)
Le compositeur anglais installé en France depuis plus de 20
ans John Greaves, chanteur, bassiste
et pianiste pionnier du rock avant-gardiste dans les années 70, clôt avec Verlaine Gisant, son triptyque consacré
au poète maudit. Les textes qu’Emmanuel
Tugny a écrits d’après l’œuvre de Gustave
Le Rouge intitulée Les Derniers
Jours de Paul Verlaine (1911), évoquent la lente agonie de Verlaine pris au
piège de sa folie, de son génie et de sa déchéance. John et ses 11 musiciens les transforment en exquises chansons sophistiquées, imbibées de nostalgie, de mélancolie,
de rage, de désespoir, de lucidité et d’exubérance. Le paysage sonore est
bigarré, à l’ambiance d’opéra pop
intimiste teinté de musique
classique (Solo Alto) s’ajoutent des reflets punk, rock (Air de La Loire) et jazz (Merde). Théâtralisés par des compositions aussi bien douces et
aériennes (La Poétesse) qu’acides et
tranchantes (Autoportrait), les 13
titres sont servis par des voix hors norme. On note en effet aux côtés de John la présence d’Elise Caron et Jeanne Added (qui
interprètent les femmes de la vie du poète) ainsi que Thomas de Pourquery (incarnant Verlaine).
Le sextet lyonnais Polymorphie
dirigée par le saxophoniste Romain
Dugelay, nous présente son dernier projet intitulé Cellule. Objet sonore difficilement classifiable, le projet met en
musique des textes d'Oscar Wilde (OW1 et OW5), de Paul Verlaine (Paul) ou d'un parfait inconnu nommé Xavier (Xavier), écrits en détention et questionnant en français ou en anglaisla condition carcérale. Arborant des influences
aussi diverses qu’inédites, du rock distordu
à la poésie urbaine, en passant par
la noise, l’électro et le jazz contemporain,
la formation bouscule et tranche dans le vif (OW3 et OW4). Parfois,
lorsque la guitare et les claviers ne vrombissent plus et que les saxophones cessent
de s’égosiller, le slam de Marine Pellegriniimpose un calme inquiétant et pesant, exprimant
avec force les sentiments d’enfermement, d’attente et de désespoir.