Williams Brutus - L'Esthère (Garvery Drive Records)
Résidant en Bourgogne depuis son arrivée en France à l'âge de 5 ans, le musicien haïtien d'origine, Williams Brutus, nous présente son premier opus baptisé L'Estère, du nom de sa ville natale. Doté d'une voix feutrée, armé de sa guitare et de ses convictions, il nous présente un projet engagé et touchant à la production moderne et colorée, empreint de sonorités reggae mais aussi largement parcouru d'accents pop, world et soul.Convoquant dans son titre "Dilé" une kora envoutante et typée mandingue, il invite le rappeur américain Beat Assailant dans l'accrocheur "You Can't Stop The Rain" (nouveau single de l'album après le très jamaïcain "I Tried"), se frottant ainsi au hip-hop sur une production punchy efficace et funky Ailleurs, le chanteur nous parle d'amour comme dans la ballade "When I'm With You" et, plus loin, surprend son auditoire en reprenant le tube des années 80 "Girls Just Want to Have Fun" de Cyndi Lauper, interprété ici avec dynamisme et légèreté, dans une veine reggae-pop... A travers ce large éventail d'influences musicales, Williams Brutus entend ainsi exprimer sa double culture, issue à la fois des Caraïbes et de l'Europe, dans une optique de partage et d'ouverture. L'Estère paraîtra le 02 Février prochain sur le label parisien Garvey Drive Records.
Yuma, acteur incontournable de la nouvelle scène alternative tunisienne nous revient avec Ghbar Njoum (Poussière d'étoiles), un second opus aux ambiances indie-folk poétiques et accrocheuses. Le duo y déploie une soul acoustique intimiste, naviguant au carrefour d'influences diverses, allant du blues touareg aux sonorités néo-arabes actuelles, en passant bien sûr par les folklores traditionnels du pourtour méditerranéens.
Formé par la plasticienne et peintre Sabrine Jenhani (chant et compositions) et le cinéaste/musicien autodidacte Ramy Zoghlami (chant, guitare et compositions), Yuma s'est ici adjoint les services d'Antonin Volson et quelques autres instrumentistes bretons (percussions, contrebasse, violoncelle et alto), leur présence participer à l'ouverture du disque vers un univers singulier fait de fables et d'adages, habité de figures allégoriques, gorgé de mysticisme et de sorcellerie, de métaphores et de personnifications. De cette fusion habile et délicate qui s'opère ainsi entre la transmission orale d'antan et les formes musicales contemporaines, surgit un disque crépusculaire et minimaliste, animé par des mélodies envoutantes et curatives...
Très belle découverte!
Femi Kuti - One People One World (Partisan Records/Knitting Factory/Pias)
La sortie d'un disque de Femi Kuti est toujours un évènement, en effet le fils du Black President incarne l'âme de l'afrobeat moderne, genre musical apparu au Nigéria dans les années 70 sous l'impulsion du tandem Fela/Tony Allen et qui s'est rapidement répandu dans toute l'Afrique, pour se démocratiser jusqu'à aujourd'hui dans le monde entier.
Sur son dixième opus baptisé One People One World, le petit prince de l'afrobeat nous adresse un message d'espoir et de réconciliation, il nous lance un appel gorgé de sincérité et d'optimisme aux airs de plaidoyer pour l'unité mondiale. Accompagné de son mythique Positive Force, le porte parole de l'UNICEF pour la défense des droits des enfants revient tout naturellement aux racines africaines de la musique, ponctuant les 12 titres de son effort de délicieuses notes juju, reggae, soukous, highlife, jazz, funk, soul et R&B, mais aussi de saveurs latines envoutantes.
Les rythmiques effrénées parées de puissantes lignes de cuivres ont en grande partie été enregistrées à Lagos, ces orchestrations riches et jubilatoires accompagnent les visées politiques des textes pugnaces de Femi, mais pour la première fois elles servent aussi d'écrins à des chansons d'amour et à des célébrations festives de l'humanité. A coup de décharges électrisantes et up-tempo, One People One World propose un afrobeat plus exaltant que jamais, entraînant l'auditoire vers la piste de danse, l'interaction et le partage de vibrations positives.
The Buttshakers - Sweet Rewards (Underdog Records)
La formation lyonnaise The Buttshakers nous présente via Underdog Records son nouvel opus baptisé Sweet Rewards, un diamant soul à l'état brut porté par la voix puissante et racée de la chanteuse américaine Ciara Thompson, diva au magnétisme et à la prestance féline, héritant de Saint-Louis une riche et profonde culture musicale allant du gospel au jazz, en passant bien sûr par le blues.
La musique explosive et sensuelle que nous délivre la formation originaire de la Croix-Rousse est une soul brulante, moite et rageuse, que l'on peut comparer à celle que nous offrait la regrettée Sharon Jones entourée de son mythique The Dap-Kings.
Univers 60's un brin déjanté et électrique, énergie rock corrosive et nervosité funk agitatrice sont au rendez-vous dans ce solide et contagieux Sweet Rewards, album fédérateur et entrainant flanqué ça et là de quelques accents éthio-jazz ("Movin On"), afrobeat ("Hypnotized"), country/folk ("Roll Miss Roll") et même punk ("Weak Ends"), des plus délectables.
A consommer sans modération...
Dirtmusic est un projet musical fusionnant les sonorités folk-rock et indie rock au blues et à la musique ethnique. Porté depuis ses débuts en 2007 par l'américain Chris Eckman des Walkabouts et l'australien Hugo Race (ex-Bad Seeds), il prit un tournant décisif l'année d'après lors d'une rencontre avec l'emblématique formation touareg Tamikrest au Festival In The Desert à Tombouctou. Aujourd'hui entourés du joueur de zaz Murat Ertel, issu du groupe psyché-rock turcBaba Zula, et du percussionniste Ümit Adakale, maître de la darbouka, ils publient leur 5ième opus intitulé Bu Bir Ruya. Ce dernier, enregistré à Istanbul avec le concours des chanteuses Gaye Su Akyol, star du rock turc, Brenna Mac Crimmon, canadienne spécialiste des musiques populaires turques Azerbaïdjan, et du joueur de yaybahar, Görkem Sen, nous livre des rythmiques racéeset jubilatoires, des mélodies envoutantes et hypnotiques, habillées par des atmosphères nébuleuses sombres, saturées et angoissantes, faites de nappes électroacoustiques torturées et distordues, le tout ponctué d'un réalisme glaçant, d'une urgence vitale, d'une gravité et d'un engagement sans faille.
Raphaël Imbert - Music is my Hope (Jazz Village/Pias)
Nous ayant laissé en 2016 avec son sublime Music is my Home, où il partait explorer les racines du jazz dans le delta du Mississippi avec le concours de quelques figures emblématiques de la scène blues et New Orleans, le saxophoniste autodidacte Raphaël Imbert rempile avec un nouveau chapitre de ses aventures musicales humanistes outre-Atlantique, un nouvel opus généreux de 12 titres, intitulé Music is my Hope. Tissant toujours un lien de filiation entre les traditions blues, jazz, gospel et soul, le tout baigné dans une énergie rock vigoureuse, l'ethnomusicologue avertirassemble ici, dans une veine plus militante mais aussi plus intime, les incantations brulantes et jubilatoires du spiritual, les revendication profondes et urgentes des protest songs, ainsi que l'introspection poétique et la quête de réponses existentielles du folk...
Porté par les voix envoutantes d'Aurore Imbert, Marion Rampal, Manu Barthélémy et Big Ron Hunter, Music is my Hope nous est servi par un casting de musiciens de haut vol, on compte en effet autour de Raphaël,les instrumentistes virtuoses Pierre-François Blanchard aux claviers, Pierre Durand et Thomas Weirich aux guitares, puis Dominique Di Fraya à la batterie.
Music is my Hope est un disque riche et engagé, un voyage singulier nous remémorant les combats et les luttes emblématiques de Paul Rabeson (initiateur du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis qui s'est battu pour l'émancipation des peuples dans le monde entier), les textes révérés de Joni Mitchell (diva incorruptible du folk qui a su traduire avec magie ses réflexions sur la société et l'environnement, ainsi que ses sentiments à propos de l'amour, de la confusion, de la désillusion et de la joie) et la pensée militante de Pete Seeger (pionnier avec son acolyte Woody Guthrie de la musique folk).
Wes Montgomery - In Paris : The Definitive ORTF Recording (Resonance Records/Bertus France)
Il me tenait à cœur de commencer cette nouvelle année de chroniques musicales avec quelque chose de spécial et lorsque j'ai reçu à la mi-Décembre l'incroyable nouvelle de la sortie prochaine d'un live inédit du légendaire Wes Montgomery, j'ai immédiatement sollicité la générosité de Gilles Logan, qui bosse au marketing chez Bertus France, pour en avoir une copie... Quelques jours après je recevais le précieux In Paris : The Definitive ORTF Recording, présenté sobrement dans un format double CD deluxe, accompagné de son livret richement documenté de 32 pages. Ce dernier inclut des photos de Jean Pierre Leloir prises le soir du 27 Mars 1965 au Théâtre des Champs-Elysées (alors que le guitariste était de passage dans la capitale dans le cadre de son unique tournée européenne) accompagnées de remarquables écrits et de touchantes interviews que l'on doit, entre autres, à Zev Feldman, une des têtes pensantes du mythique label californien Resonance ou encore à Russel Malone, éminent guitariste s'étant notamment illustré auprès de Diana Krall et Harry Connick, Jr.
Sorti des archives de l'INA, où il fut précieusement conservé pendant plus d'un demi siècle, l'enregistrement du concert nous laisse (re)découvrir le touché inimitable de ce musicien hors paire sur des titres devenus de purs classiques de la guitare jazz, comme les compositions du maître lui-même, "Four on Six", "Jingles" et "Twisted Blues", ou ses interprétations magistrales des intemporels "Round Midnight" de Monk et "Impressions" de Coltrane.
Pour l'occasion, l'artiste autodidacte d'Indianapolis avait opté pour une formation familière qui jouait ensemble depuis déjà plusieurs mois. Ne voulant pas d'un all-star band tape-à-l'œil, il a préféré un groupe d'acolytes efficaces et complices... Et à l'écoute du concert, on ne peut que le remercier d'avoir imaginé cet accord parfait. Figuraient ainsi autour de lui le pianiste originaire de Memphis, Harold Mabern, seul membre du quartet encore en vie aujourd'hui, le contrebassiste basé à Philadelphie, Arthur Harper et le batteur de Kansas City, Jimmy Lovelace. Un invité de marque allait participer au casting sur 3 dates de cette tournée prestigieuse, dont celle qui nous importe, il s'agit du saxophoniste de Chicago Johnny Griffin, qui s'est par ailleurs illustré aux côtés de Thelonious Monk et Art Blakey! Ici, il apparaît dans les excellents "Full House" (autre composition marquante de Montgomery), "West Coast Blues" et dans la plus belle ballade jamais écrite, "Round Midnight", sublimée par un Wes charmeur et d'une grande classe, caressant ses cordes du bout de son pouce droit et s'amusant de sa main gauche avec ses développements en octave, si caractéristiques de sa signature rythmique et sonore.
Sans le rayonnement de l'immense impresario anglais Alan Bates, cette performance parisienne n'aurait jamais eu lieu. Wes ayant trop peur de l'avion, c'est aussi avec le soutien et la force de persuasion de son manager John Levy que la tournée put s'organiser et s'arrêter outre la Ville Lumière, à Londres, Madrid, Bruxelles, Lugano, San Remo et Rotterdam.
A travers 10 morceaux rares et intenses captés avec maestria, l'auditeur s'approche à pas de velours de la grâce rayonnante et du swing ravageur d'un artiste disparu trop tôt, qui a su mettre en place une science du jazz à la portée de tous, restituée avec magie par un son haute définition transféré directement des bandes analogiques originales...