vendredi 18 septembre 2015

John Taylor – 2081 (CamJazz/Harmonia Mundi)


John Taylor – 2081 (CamJazz/Harmonia Mundi)

Disparu brutalement en juillet dernier alors qu’il se produisait sur la scène du festival Saveurs Jazz près d’Angers, le pianiste anglais John Taylor nous revient pourtant en ce mois de Septembre 2015 grâce à la sortie de son très beau projet posthume 2081, enregistré en famille avec ses fils Alex au chant (auteur des textes) et Leo à la batterie (membre du groupe indie rock The Invisible) ainsi que le grand Oren Marshall au tuba (Radiohead, Bobby Mc Ferrin, Moondog ou encore The London Philarmonic). Inspiré par la nouvelle de science-fiction Harrison Bergeron écrite en 1961 par Kurt Vonnegut et qui traite du thème de l’égalité sociale dans un monde où la force, l’intelligence et la beauté sont considérées comme une tare, 2081 nous immerge dans un jazz ample et cinématique à l’esthétique résolument moderne. Ce calme gorgé d’une soul apaisée, perceptible dans la voix d’Alex Taylor, se pare d’un groove délicat qu’Oren déploie dans ses lignes de basse cuivrées et que Leo contribue à rendre entraînant par son jeu précis et justement dosé. John élabore quant à lui des mélodies captivantes dans un style singulier (hérité entre autres des recherches rythmiques et harmoniques de Bill Evans et Gil Evans) qui rapproche les univers du jazz, de la musique classique, de la pop et de la musique de film.

Un magnifique album qui sera suivi d’ici quelques semaines par la parution d’un enregistrement en duo avec le trompettiste Kenny Wheeler, qui nous a lui aussi quitté il y a peu.

Boulou Ferré, Elios Ferré & Christophe Astolfi – La Bande des Trois (Label Ouest/L’Autre Distribution)


Boulou Ferré, Elios Ferré & Christophe Astolfi – La Bande des Trois (Label Ouest/L’Autre Distribution)

Les frères Ferré, duo incontournable de la scène jazz hexagonale, forment avec Christophe Astolfi un tout nouveau projet à 3 guitares baptisé sobrement La Bande des Trois. Le trio s’empare des classiques de la chanson française et les pare de reflets gypsy hérités du maître incontesté de la guitare manouche, Django Reinhardt (Nuages). Boulou, musicien virtuose qui à 12 ans accompagnait déjà Jean Ferrat, chante avec l’ingénuité et la douceur d’un Boris Vian les textes de Brassens (Je me suis fait tout petit, Les Amoureux des Bancs Publics), Gainsbourg (La Javanaise, L’Eau à la Bouche) ou Bachelet (Emmanuelle) sur des arrangements sophistiqués au swing enivrant, ponctués d’improvisations puissantes et véloces.

mardi 15 septembre 2015

Sons of Kemet - Lest We Forget What We CameHere To Do (Naim Jazz/Modulor)


Sons of Kemet - Lest We Forget What We CameHere To Do (Naim Jazz/Modulor)
Les fils de Kemet (« Terre Noire »), nom que donnaient les anciens égyptiens à leur pays, publient Lest We Forget What We CameHere To Do, leur second opus ancré dans les racines caribéennes et parcouru d’influences afro/éthio-jazz. La formation dirigée par le jeune saxophoniste/clarinettiste anglais Shabaka Hutchings explore le Tuk, tradition musicale insulaire de la Barbade (où il passa une grande partie de son enfance) basée sur le mélange explosif du rythme des marches militaires anglaises (héritées de la colonisation) et du folklore ouest-africain (des anciens esclaves). Composé des batteurs Tom Skinner (Mulatu Astatké, Matthew Herbert) et Seb Rochford (Polar Bear) ainsi que de Theon Cross au tuba, Sons Of Kemet accouche d’un disque engagé (In Memory Of Samir Awad), sauvage (Afrofuturism) et entêtant (Breadfruit), aux ambiances tantôt cinématiques (Mo Wiser) tantôt entraînantes, un peu à l’instar des brass band de la Nouvelle Orléans (In The Castle Of My Skin).


 

mercredi 9 septembre 2015

Oum - Zarabi (Lof Music-MDC/Harmonia Mundi)

Oum - Zarabi (Lof Music-MDC/Harmonia Mundi)

La chanteuse marocaine d’origine saharienne Oum El Ghaït Benessahraoui nous revient, après son sublime Soul Of Morocco paru en 2013, avec l’émouvant Zarabi. Enrichissant ses influences majeures que sont la culture Hassani et les rythmes gnaouas d’accents soul, latins et jazz, elle rend hommage, dans le dialecte marocain darija, aux tisseuses de tapis originaires de la ville de M’hamid El Ghizlane (village bordant le Sahara). Sa voix sensuelle et pétillante, forgée durant son adolescence grâce à sa passion pour le gospel, est délicieusement accompagnée par les mélodies enivrantes du oud de Yacir Rami (Naïssam Jalal…), les percussions sophistiquées de Rhani Krija (Omar Sosa, Sting…), les lignes de basse chaloupées du contrebassiste Damian Nueva et la trompette latin-jazz de Yelfris valdes. A l’origine de tous les textes mis à part quelques emprunts et adaptations, Oum a souhaité enregistrer à M’hamid, en extérieur à même le sable afin « de rester fidèle à un son naturel », restituant ainsi la beauté et la vulnérabilité du lieu. Zarabi est un disque d’émoi, vibrant et touchant !

mardi 8 septembre 2015

Lura – Herança (Lusafrica/Lusafrica)


Lura – Herança (Lusafrica/Lusafrica)


Repérée grâce à son duo avec la légende Bonga en 2000, la chanteuse portugaise d’origine cap-verdienne Lura entame alors, depuis Lisbonne, une carrière musicale européenne puis internationale, marquée par sa signature chez Lusafrica en 2004, qui produit aujourd’hui son 5° album. Affectée par la disparition de Césaria Evora en 2011 avec qui elle avait enregistré l’année précédente le sublime Moda Bô, (présent sur son Best Of  paru en 2010) elle publie, après 6 ans d’absence dans les bacs, son nouveau Herança.

Ayant dépassée le simple statut de voix prometteuse, Lura a choisi de s’installer sur la terre de ses parents afin de se plonger dans l’identité profonde d’une culture métisse. Souvent enrichi de musique brésilienne et d’accents jazzy, le répertoire d’Herança (qui se traduit « héritage ») se veut être un hommage à la créolité ainsi qu’à la femme du Cap-Vert. Sous la forme d’une invitation dansante et sensuelle il nous fait (re)découvrir les rythmes traditionnels du funana (Sabi Di Mas), du batuque (Mari Di Lida), de la morna (Ambienti Mas Seletu) ou de la coladeira (Nhu Santiagu emprunté à sa compatriote Elida Almeida, d’ailleurs présente sur le titre).

Lura a choisi pour l’occasion de s’entourer de la crème des musiciens/compositeurs de l’archipel, Mario Lucio (actuel ministre de la culture au Cap-Vert), Toy Vieira et Hernani Almeida figurent à ses côtés comme les guests de renommée mondiale venus du Cameroun et du Brésil Nana Vasconcelos et Richard Bona. Ensemble, ils célèbrent la saudade festive que l’on trouve dans ces petits bouts d’Afrique nichés au large du Sénégal au carrefour des cultures européennes, américaines et bien sûr africaines.

Un disque touchant aux mélodies enivrantes et aux rythmes chaloupés !

lundi 7 septembre 2015

Black Flower – Abyssinia Afterlife (Zephyrus/L’Autre Distribution)


Black Flower – Abyssinia Afterlife (Zephyrus Music/L’Autre Distribution)

La scène musicale de Gand en Belgique accouche d’un projet éthiojazz experimental mené par le saxophoniste-flûtiste Nathan Daems. Habitué à nous délivrer un  jazz ouvert d’esprit aux accents tantôt tziganes, turcs, indiens ou ska, le musicien nous présente ici Abyssinia Afterlife, premier opus de son tout récent combo Black Flower, qui vient grossir les rangs des nouveaux artisans de l’afrobeat et du groove éthiopien en Europe, nous pensons notamment aux français Akalé Wubé, Ethioda ou les Frères Smith. Les spectres de Mulatu Astatké (The Legacy Of Prester John) et Fela Kuti (I Threw A Lemon At That Girl) planent bien sûr au dessus de ce disque aux reflets psychédéliques (Jungle Desert), mais les frontières sont floues et les influences soul-jazz (Star Fishing) et orientales (Winter) sont aussi perceptibles.

vendredi 4 septembre 2015

Ibrahim Maalouf - Kalthoum (Mi'ster Productions/Decca/Universal)

Ibrahim Maalouf - Kalthoum (Mi'ster Productions/Decca/Universal)

Second projet qu'Ibrahim Maalouf nous offre en cette rentrée 2015, Kalthoum reprend la volonté que le trompettiste a déjà développée dans son Red & Black Light de célébrer les femmes, notamment celles qui ont bouleversé le cours de l'histoire et dont l'influence artistique a eu un impact jusque dans nos vies actuelles. Qui d'autre que l'emblématique Oum Kalthoum, considérée à raison comme la plus grande voix du monde arabe, pourrait se vanter, 40 ans après sa disparition, de susciter toujours autant d'engouement et d'admiration?








En collaboration avec le pianiste d'origine allemande Franck Woeste et entouré du batteur Clarence Penn, du contrebassiste Larry Grenadier et du saxophoniste Mark Turner (que l'on écoutait en 2010 dans Suite... de Baptiste Trotignon), Ibrahim a choisi d'interpréter dans un jazz classieux et métissé l'une des œuvres majeures de la diva égyptienne datant de 1969 Alf Leila Wa Leila (Les Milles et une Nuit).

Enregistré à New York avec la même équipe qu'en 2011 sur l'album Wind (qui rendait hommage à Miles Davis), Kalthoum se compose comme la version originale d'une Introduction, qui d'emblée nous plonge dans un dialogue passionnant entre la tradition arabe séculaire, l'ivresse de ses joutes orientales et la sophistication élégante d'un jazz nord américain hérité des maîtres Monk, Davis et Coltrane...
C'est le pianiste qui ouvre le morceau, jouant avec douceur et légèreté une mélodie des plus touchantes, rapidement rejoint par le son puissant et précis du saxophone ténor de Marc et la trompette micro-tonale d'Ibrahim, ainsi que par Larry et Clarence qui élaborent une assise rythmique massive et tonitruante. Une approche majestueuse, expressive et grandiloquente!

Ouverture I et Ouverture II au format assez court sont suivis des Mouvements I à IV qui se déploient durant 15mn pour le plus long et sont organisés comme une succession de tableaux dont la mise en scène est ponctuée d'improvisations alambiquées bien sûr, de mélodies enivrantes souvent mélancoliques, d'harmonies et de rythmes complexes...

Nous percevons alors avec cette double actualité, Kalthoum et Red  & Black Light, à quel point le langage d'Ibrahim Maalouf est riche et pluriel, profondément ancré dans la tradition et respectueux des sonorités qui ont bercé son enfance il s'imprègne et reste à l'écoute de ce foisonnement musical qui agite notre époque, essayant par tous les moyens d'en garder que le meilleur.