jeudi 12 novembre 2015

David Krakauer – The Big Picture (Label Bleu/L’Autre Distribution)


David Krakauer – The Big Picture (Label Bleu/L’Autre Distribution)

Le dernier projet mené par le clarinettiste David Krakauer nommé The Big Picture se propose de revisiter des thèmes de musiques de films célèbres composés par les géants du genre, les mélodies immuables de Nicola Piovani (dans Life Is Beautiful), Randy Newman (dans Avalon) ou Mel Brooks (dans The Producers), trônent ainsi aux côtés de titres tout aussi emblématiques légués par Sidney Bechet (Si Tu Vois Ma Mère du film Midnight In Paris de Woody Allen, véritable idole pour le musicien), Serguei Prokofiev (March From The Love Of Three Oranges) ou encore Johnny Green (Body And Soul). Mêlant comme à son habitude les sonorités de la musique classique au jazz et au klezmer, l’artiste novateur explore l’identité juive à travers le cinéma moderne américain.

Willkommen, extrait du film Cabaret de Bob Fosse, ouvre The Big Picture et donne le ton, évoquant avec une légèreté apparente et un swing communicatif la montée du fascisme dans les années 30. David aime jouer avec la charge émotionnelle que dégagent ces mélodies touchantes, confrontant souvent l’horreur au comique (Keep It Gay), le déracinement à l’espoir (The Family)… Entouré d’un quintet efficace et réactif, il rend hommage aux icônes juives américaines comme Barbara Streisand dans People tiré de Funny Girl ou Roman Polansky avec Moving From The Ghetto issu du cultissime The Pianist.

A noter la participation dans l’excellent réarrangement de Si Tu Vois Ma Mère, de la contrebassiste Nikki Parrott (Michel Legrand, Randy Brecker, Clarke Terry…), de la guitariste Sheryl Bailey (Richard Bona, Irene Cara…) et du Dj Keepalive.
 

Das Kapital - Kind Of Red (Label Bleu/L’Autre Distribution)


Das Kapital - Kind Of Red (Label Bleu/L’Autre Distribution)

A une époque où l’idée d’Union Européenne n’a jamais autant été remise en question, le trio jazz Das Kapital nous offre un bel exemple de cohabitation et de collaboration entre nationalités voisines. En effet le saxophoniste allemand Daniel Herdmann, le batteur français Edward Perraud et le guitariste danois Hasse Poulsen ont composé l’opus à part égal, 9 titres qui dégagent une énergie communicatrice qui n’est pas uniquement puisée dans le jazz, mais largement enrichie de sonorités folk, rock et pop.

L’évènement déclencheur de ce troisième disque Kind Of Red est un concert de Wayne Shorter donné à Berlin fin 2012, les musiciens se sont imprégnés de sa maîtrise du temps, de la clarté de son jeu, de l’évidence de ses variations et de son art du dialogue. Et comme l’aura de Miles Davis est à jamais accolée à la sienne, il semblait logique au trio de faire un clin d’œil au Kind Of Bue du trompettiste…

Les mélodies sont accrocheuses à l’instar de l’ouverture intitulée Webstern et écrite par le percussionniste nantais, les cordes métalliques et les peux tendues aux timbres étouffés créent une atmosphère acoustique plutôt intimiste, une ballade cependant animée par le lyrisme structuré du sax et l’envolée rageuse de la guitare électrique.

Claudia’s Choice nous plonge dans une ambiance bien différente, aquatique et légèrement dissonante, d’une lenteur étourdissante…

Iris, après une minute d’une ritournelle hypnotique, est porté par un thème de western interprété par Hasse à grands renforts de vibrato… Puis se termine en douceur sous le souffle apaisant de Daniel.

Ce dernier est d’ailleurs à l’origine du sombre Macht Nix, In Der Mitte Ist Noch Platz, on y retrouve les impressions ressenties durant l’écoute de Claudia’s Choice, des accords de guitare plaqués qui s’éternisent, parsemés de quelques coups de cymbales et de quelques notes de sax ébauchant une mélodie brutale et saccadée.

Just Like That se rapproche davantage d’un jazz plus rassurant et d’un swing plus balisé, sax et guitare échangent autour d’une assise rythmique au tempo soutenu.

Pour sa deuxième composition Jenseits Von Gut Und Böse (titre d’un ouvrage de Nietzsche Par delà Le Bien et Le Mal : Prélude d’une Philosophie de l’Avenir), Daniel Erdmann conçoit une longue introduction rythmée par un tic tac abrutissant, puis laisse les accords folk de la guitare prendre le relais, le saxophoniste entame alors une improvisation de près de 2 minutes.

Hasse nous offre ensuite son blues acoustique et dissonant How Long, So Low, une plage musicale dépouillée mais expressive à l’image de l’étrange ballade Nothing Will Ever Be Enough Again, où le silence est d’or et la retenue de rigueur !

L’énergique Au fond des yeux aux airs d’hymne pop/rock de l’époque Woodstock rompt le silence et le calme apparent de King Of Red avec son déploiement de couleurs criardes et saturées…

Bref, Das Kapital accouche d’un disque barré, parfois fluide et parfois complexe, il repose sur l’écoute et le partage des dessins mélodiques de ses trois protagonistes et sur leurs intuitions à remplir les espaces de chaque morceau.

mardi 10 novembre 2015

Souleance – Tartare EP (First Word Records)


Souleance – Tartare EP (First Word Records)

Souleance est un projet électro piloté à 4 mains depuis 2006 par les producteurs français Fulgeance et Soulist. Orienté vers les sonorités disco, soul, hip-hop et afro-latines, le duo nous offrait l’année passée son EP d’inspiration brésilienne Jogar d’où était extrait l’excellent Mais Um au groove tropicaliste low-club.

En juillet 2015 était publié chez First Word Records le single Secoue, annonçant la sortie de son dernier EP Tartare composé de 6 compositions + 2 remixes. Le titre combinait les rythmes haïtiens du kompa et ses accents cuivrés à la puissance des loops et autres beats électroniques.

Cependant avec le second extrait Hustle, Souleance nous éloigne des tropiques et nous plonge dans les profondeurs abyssales d’un disco instrumental moite et entrainant façon 80’s, on y remarque en featuring Emile Sacre alias Vect aux claviers et vocoder.

Le titre éponyme est de la même trempe, efficace et racé avec une ligne de basse hypnotique et redoutable. Le producteur breton Débruit, auteur du célèbre Nigeria What ?, s’en empare et nous livre un remix « au couteau » plutôt dark avec ses percussions afro et son synthé new wave.

Ratatouille est une véritable bombe stroboscopique, mixant cuivres synthétiques festifs et claviers psychédéliques à la façon de Todd Terje dans It’s Album Time.

I Got It est sans doute le morceau le plus sensuel de l’EP avec son kit de batterie au grain analogique, ses samples vocaux subjectifs hérités d’Ohio Players et sa touche disco house planante…

New York, ou la perle de Tartare, nous rappelle le pur son façonné par le mythique duo nu-disco de Brooklyn, Metro Area, il est remixé par l’allemand Uffe qui orchestre une version piano house des plus pertinentes, m’évoquant le récent disque electro jazz The Radicle de l’anglais Tim Deluxe.

Bref, Souleance confirme sa dextérité en cuisine, après les amuse-bouches il ne lui reste plus qu’à nous concocter un album aux petits oignons…

 

Angie Stone – Dream (Shanachie)


Angie Stone – Dream (Shanachie)

La diva Angie Stone, une des figures emblématiques de la scène néo-soul depuis 1999 et la parution de Black Diamond, nous revient avec un septième opus intitulé Dream. Né sous l’impulsion du producteur Walter W. Millsap III (Mariah Carey, Jennifer Lopez, Alicia Keys ou Brandy), le projet veut remettre en lumière la vie d’une artiste (aux 2 disques d’or et aux 3 nominations aux Grammy Awards) hors paire et son lègue souvent déprécié au monde de la black music. Rappelons à ce sujet qu’à la fin des années 70 elle comptait parmi les pionnières du hip-hop féminin avec son trio The Sequence et leurs titres old school comme Funk You Up paru sur le label de Sugar Hill Gang en 1979, Monster Jam en 1980 ou Funky Sound (Tear The Roof Off) l’année suivante.

Dream se compose de 10 titres aux reflets soul sucrés et délicats, la voix puissante et sensuelle d’Angie (qui baigna toute son enfance dans le gospel) est toujours aussi touchante et efficace, on en prend conscience dès l’ouverture très orientée R&B Dollar Bill, qui nous convie sur le dancefloor en mode ondulations et petits pas langoureux.

Dave Hollister la rejoint sur le brulant Begin Again dont l’ambiance ouatée ne s’apprécie pleinement qu’en position horizontale (comme le titre éponyme d’ailleurs), puis le rythme s’accélère avec Clothes Don’t Make a Man, révélant la facette rétro-soul de l’ex de D’Angelo (un retour aux sources audible aussi dans l’énergique Quits). C’est justement de sa relation avec le chanteur qu’elle traite dans la touchante ballade Forget About Me, où comme dans Magnet, Think It Over ou 2 Bad Habits elle ré-explore les sonorités et le groove de ses débuts, que Mahogany Soul en 2001 et Stone Love en 2004 ont indélébilement gravés dans l’histoire de la soul contemporaine.

Angie Stone, auteur, interprète, productrice et actrice revient donc sur le devant de la scène, plus apaisée et sereine que jamais ! Ses relations houleuses avec sa fille Diamond se normalisent et son fils Michael (dont D’Angelo est le père), décrit comme un excellent rappeur, se promet à une belle carrière. Sa foi inébranlable et sa force de caractère l’ont aidé à surmonter les épreuves de la vie, abimée par des émissions de téléréalité, la cinquantenaire pourrait être très prochainement le sujet d’un biopic produit par Jamie Foxx !

lundi 9 novembre 2015

Espiiem - Noblesse Oblige (Orfevre Label/Musicast)


Espiiem - Noblesse Oblige (Orfevre Label/Musicast)

Le rappeur parisien Espiiem publie son premier opus solo intitulé Noblesse Oblige. Repéré aux côtés des collectifs Cas de Conscience et The Hop, il présentait en 2012 son EP L’Eté à Paris, l’année d’après le mini-album Haute Voltige - où l’on notait déjà un intérêt tout particulier apporté aux instrumentations de ses titres, réalisées d’ailleurs par les pointures Kaytranada (Canada), Kings (GB) ou J-Louis (USA) - et enfin Cercle Privé en 2014 (tiré à 500 exemplaires). C’est entouré des beatmakers français Astronote, Aayhasis (tous deux partis à la conquête des States) ou encore Chilea’s, et des MCs K.E.N.T, Esso et Deen Burbigo de L’Entourage, qu’il s’attaque aujourd’hui à son tout dernier projet. L’humble et ambitieux Espiiem, qui comme il le dit dans le titre éponyme, « repousse ses limites et développe son art », demeure encore tapis dans l’ombre mais s’assure lentement une solide réputation auprès de la critique et des aficionados de la sphère hip-hop underground hexagonale. Son flow, aussi bien véloce et tranchant que posé et paisible, se déploie dans des atmosphères caverneuses ambiances planantes et rythmiques lentes nous laissent apprécier des textes soignés, entre introspection (Noblesse Oblige, Suprématie…), réflexions sur la vie (Sparring Partner, Darling,…) et la société (Money, Deuxième Famille…).
 

vendredi 6 novembre 2015

Luca Nostro - Are You OK ? (Via Veneto Jazz/Socadisc)


Luca Nostro - Are You OK ? (Via Veneto Jazz/Socadisc)

Le guitariste et compositeur romain Luca Nostro nous présente son dernier opus baptisé Are You OK ? Enregistré à New York avec un quartet du cru composé de l’épatant Donny McCaslin au saxophone, du très classieux John Escreet au Fender Rhodes, de l’élégant Joe Sanders à la contrebasse et du pilier Tyshawn Sorey à la batterie, le disque est clairement orienté jazz contemporain, avec ses combinaisons complexes et répétitives, ses changements brutaux d’humeurs, de couleurs et de rythmiques, ses allées-retour entre phrasés incisifs et passages plus fluides. L’improvisation et l’interaction entre les musiciens y jouent un rôle prépondérant, faisant naître de mélodies simples des entrelacs sophistiqués à la manière de Steve Coleman et des sonorités brulantes parfois psychédéliques héritées de Franck Zappa, artiste qui compte parmi ses influences majeures avec entre autres Steve Reich.

Ameen Saleem - The Groove Lab (Via Veneto Jazz/Socadisc)


Ameen Saleem - The Groove Lab (Via Veneto Jazz/Socadisc)

Le nom du bassiste/contrebassiste originaire de Washington DC, Ameen Saleem, ne vous dira peut être rien, il est pourtant loin d’être un inconnu. Officiant notamment depuis plus de 6 ans aux côtés du trompettiste Roy Hargrove dans son Roy Hargrove Quintet et son RH Big Band, il est l’artisan d’un groove élégant, puissant et contagieux. Installé à New York, le musicien impose d’emblée sa versatlité, oeuvrant dans différents registres il matine son swing de sonorités néo-soul et de beats funky.

Homme de l’ombre, il publie aujourd’hui sur le label italien Via Veneto Jazz (qui tente une perçée en France), son premier album solo baptisé The Groove Lab. Le disque porte bien son titre puisqu’on y devine toute l’effervescence du mode de vie de Brooklyn, qui devient peu à peu le vivier du jazz américain aux dépens de Manhatan, où les loyers exorbitant chassent les clubs.

Ce laboratoire du groove débordant d’énergie et de raffinement se décline en 13 compositions qu’Ameen a choisi d’interpréter avec la crème des musiciens new-yorkais, on note alors la présence de l’époustouflant saxophoniste Stacy Dillard, de l’excellent pianiste Cyrus Chesnut, des batteurs Jeremy “Bean” Clemons et Gregory Hutchinson, du guitariste Craig Magnano et de l’immense Roy en personne. Bien évidemment ce casting demeurerait incomplet sans citer les chanteuses Mavis “Swan” Poole et Ramona Dunlap, qui inondent d’une puissante vibe soul/R&B les vibrants et sensuels Don’t Walk Away, For My Baby et Best Kept Secret.

The Groove Lab renoue avec le son que Roy Hargrove nous proposait du temps de son terrible RH Factor, un projet jazz/funk efficace et prenant qu’Ameen Saleem emmène, avec créativité et fluidité, fricotter avec les travaux de RobertGlasper et autres Esperanza Spalding.