lundi 16 novembre 2015

Anne Carleton – So High (Quart de Lune/Rue Stendhal)


Anne Carleton – So High (Quart de Lune/Rue Stendhal)

A la croisée de sonorités issues du jazz et de la musique classique, la chanteuse et plasticienne Anne Carleton nous livre un opus envoûtant et singulier intitulé So High.

Entre poésie, slam, chanson et textures électroniques, elle distille avec grâce et tendresse 12 plages délicates gorgées de fragilité, de douceur et de beauté. Parmi ses subtiles compositions ainsi que celles de Jean-Philippe Viret (Le Temps, Confusion) et de Carine Bonefoy (Why Are You Gone), on remarque de sublimes reprises de succès pop, comme l’éblouissant Norwegian Wood de The Beatles et l’aérien Wild Is The Wind, immortalisé par Nina Simone.

Entourée de Laurent Guanzini au piano, de Benoït Dunoyer de Segonzac à la contrebasse, d’Eric Moulineuf au design sonore et d’un quatuor à cordes vibrant, Anne convie quelques invités de cœur dont Ninon Valder au bandonéon, ses deux filles Prune et Ambre au chant, puis l’illustre philosophe Edgar Morin, qui mêle sa voix aux ambiances musicales cinématiques de l’album.

Elle déploie d’une voix cristalline une onde radieuse éclairant des titres puissants et profonds, s’interrogeant et interrogeant différentes personnes sur des thèmes universels tels que l’espoir, la liberté, l’amour, l’enfance ou l’existence…

Une belle découverte !

Jonathan Orland – Small Talk (PJU/Absilone/Socadisc)


Jonathan Orland – Small Talk (PJU/Absilone/Socadisc)

Mêlant son esprit d’aventure inspiré par le jazz moderne aux sonorités d’Europe de l’Est et klezmer, le jeune saxophoniste alto Jonathan Orland publie son second opus intitulé Small Talk. Entouré du contrebassiste Yoni Zelnik, du batteur Donald Kontomaou (fils de la diva Elizabeth) et du guitariste prodige originaire de Salvador de Bahia Nelson Veras, il interprète avec éloquence, exigence mélodique et qualité harmonique 12 titres, dont 8 compositions et 4 reprises.

Après son premier Homes, enregistré en quintet à New York avec d’anciens collègues de promo du Berkelee College of Music où il a étudié auprès de George Garzone et Joe Lovano, il organise régulièrement des sessions avec Yoni puis Donald et de la rencontre avec Nelson naîtra peu à peu l’envie de graver l’interaction et la complicité du quartet en studio d’enregistrement.

Comme l’indique le titre de l’album Small Talk qui se traduit par « conversation légère et spontanée », la liberté est un des maître-mots du projet, chaque musicien exprime sa créativité au travers de thèmes inspirés du répertoire traditionnel yiddish (Reysele de Mordechai Gebirtig) et du folklore des balkans (Be There). Cependant le swing et l’importance de l’improvisation demeurent omniprésents, nous n’avons qu’à écouter Played Twice de Thelonious Monk, For Heaven’s Sake immortalisé notamment par Chet Baker, ou bien Falling Grace du bassiste Steve Swallow.

vendredi 13 novembre 2015

Fresh Sounds from Les Chroniques de Hiko (November 2015 week 01)


Jean-Pierre Como – Express Europa (L’âme Sœur/Absilone/Socadisc)


Jean-Pierre Como – Express Europa (L’âme Sœur/Absilone/Socadisc)

Le pianiste parisien Jean-Pierre Como revient avec son 10° opus baptisé Express Europa. Après Boléro, son hommage aux musiques latines et méditerranéennes paru en 2013, le co-fondateur du groupe jazz fusion Sixun a choisi de redonner (comme à ses débuts avec l’album Padre 1989), une importance toute particulière au chant qui, depuis son enfance passée dans un milieu familiale marqué par la culture italienne, habite son œuvre et accompagne son processus créatif.

Toujours bien entouré, on retrouve près du jazzman ses fidèles acolytes comme le saxophoniste Stefano Di Battista, le guitariste Louis Winsberg (également membre de Sixun) et le batteur Stéphane Huchard, qui figuraient déjà en 1995 dans le projet initial Express Paris Roma, que l’artiste considère encore comme l’un des plus beaux moments de sa carrière. Rejoint par le bassiste Jérôme Regard, le quintet est largement enrichi des voix exceptionnelles de deux crooners, l’anglais Hugh Coltman (The Hoax, Nouvelle Vague, China Moses ou encore Eric Legnini) de l’italien Walter Ricci (David Sauzay, Lucas Santaniello).

Les deux premières plages Stars In Daylight - part 1 et part 2 introduisent les timbres vibrants des chanteurs, ils nous offrent une ballade jazzy aux reflets soul doux et délicats, une splendide chanson survolée par les phrasés puissants et inspirés du saxophoniste italien, habillée des accords acoustiques du guitariste marseillais aux multiples facettes, ainsi que de le touché léger et toujours impeccable de l’immense batteur niçois André Ceccarelli (ici les deux batteurs sont présents !).

Si Hugh Coltman est à l’origine des textes interprétés en anglais, c’est à Walter que l’on doit l’écriture des charmantes Raccontami et Mio Canto, s’alignant avec le penchant naturelle de Jean Pierre Como pour ses racines, une Italie tout autant sublimée dans Musica et Io Che Amo Solo Te, où l’inconditionnel de Sinatra, Bennett et Fitzgerald y exprime toute sa sensualité et son romantisme.

Mandela Forever vient raffermir le swing d’Express Europa avec son tempo soutenu, son efficacité mélodique empruntée au So What de Miles Davis et sa chaleur latine au Samba de Uma Nota So d’Antonio Carlos Jobim.

Le chanteur natif de Bristol nous offre ensuite You Are All et Turn And Turn, deux instants suspendus et intimistes où se rencontrent esprit pop et magie jazz.  Sa voix de velours qu’il module avec brio et sensibilité inonde les compositions de Jean Pierre d’une fragilité touchante, la finesse des arrangements de Pierre Bertrand (Raccontami, You Are All, Musica et Mio Canto) participent bien sûr à rendre ces moments d’écoute uniques et inoubliables !

Louis Winsberg a composé Silencio, aux accents flamenco et Alba, aux saveurs brésiliennes, deux titres où la guitare acoustique omniprésente ajoute une note chaleureuse et conviviale, où chaque instrument trouve sa place entre improvisation et mélodie accrocheuse.

Une citation de Jean Pierre Como en personne résume assez bien Express Europa, décrivant simplement l’ambition du disque :

« J’ai voulu un projet musical ouvert, aux influences multiples. Ce qui me touche dans la pop music, dans la soul, c’est la voix. Je pense à Stevie Wonder, à Peter Gabriel, à Caetano Veloso, à Sting, à Joni Mitchell, à Ricky Lee Jones…»

Magique !



jeudi 12 novembre 2015

David Krakauer – The Big Picture (Label Bleu/L’Autre Distribution)


David Krakauer – The Big Picture (Label Bleu/L’Autre Distribution)

Le dernier projet mené par le clarinettiste David Krakauer nommé The Big Picture se propose de revisiter des thèmes de musiques de films célèbres composés par les géants du genre, les mélodies immuables de Nicola Piovani (dans Life Is Beautiful), Randy Newman (dans Avalon) ou Mel Brooks (dans The Producers), trônent ainsi aux côtés de titres tout aussi emblématiques légués par Sidney Bechet (Si Tu Vois Ma Mère du film Midnight In Paris de Woody Allen, véritable idole pour le musicien), Serguei Prokofiev (March From The Love Of Three Oranges) ou encore Johnny Green (Body And Soul). Mêlant comme à son habitude les sonorités de la musique classique au jazz et au klezmer, l’artiste novateur explore l’identité juive à travers le cinéma moderne américain.

Willkommen, extrait du film Cabaret de Bob Fosse, ouvre The Big Picture et donne le ton, évoquant avec une légèreté apparente et un swing communicatif la montée du fascisme dans les années 30. David aime jouer avec la charge émotionnelle que dégagent ces mélodies touchantes, confrontant souvent l’horreur au comique (Keep It Gay), le déracinement à l’espoir (The Family)… Entouré d’un quintet efficace et réactif, il rend hommage aux icônes juives américaines comme Barbara Streisand dans People tiré de Funny Girl ou Roman Polansky avec Moving From The Ghetto issu du cultissime The Pianist.

A noter la participation dans l’excellent réarrangement de Si Tu Vois Ma Mère, de la contrebassiste Nikki Parrott (Michel Legrand, Randy Brecker, Clarke Terry…), de la guitariste Sheryl Bailey (Richard Bona, Irene Cara…) et du Dj Keepalive.
 

Das Kapital - Kind Of Red (Label Bleu/L’Autre Distribution)


Das Kapital - Kind Of Red (Label Bleu/L’Autre Distribution)

A une époque où l’idée d’Union Européenne n’a jamais autant été remise en question, le trio jazz Das Kapital nous offre un bel exemple de cohabitation et de collaboration entre nationalités voisines. En effet le saxophoniste allemand Daniel Herdmann, le batteur français Edward Perraud et le guitariste danois Hasse Poulsen ont composé l’opus à part égal, 9 titres qui dégagent une énergie communicatrice qui n’est pas uniquement puisée dans le jazz, mais largement enrichie de sonorités folk, rock et pop.

L’évènement déclencheur de ce troisième disque Kind Of Red est un concert de Wayne Shorter donné à Berlin fin 2012, les musiciens se sont imprégnés de sa maîtrise du temps, de la clarté de son jeu, de l’évidence de ses variations et de son art du dialogue. Et comme l’aura de Miles Davis est à jamais accolée à la sienne, il semblait logique au trio de faire un clin d’œil au Kind Of Bue du trompettiste…

Les mélodies sont accrocheuses à l’instar de l’ouverture intitulée Webstern et écrite par le percussionniste nantais, les cordes métalliques et les peux tendues aux timbres étouffés créent une atmosphère acoustique plutôt intimiste, une ballade cependant animée par le lyrisme structuré du sax et l’envolée rageuse de la guitare électrique.

Claudia’s Choice nous plonge dans une ambiance bien différente, aquatique et légèrement dissonante, d’une lenteur étourdissante…

Iris, après une minute d’une ritournelle hypnotique, est porté par un thème de western interprété par Hasse à grands renforts de vibrato… Puis se termine en douceur sous le souffle apaisant de Daniel.

Ce dernier est d’ailleurs à l’origine du sombre Macht Nix, In Der Mitte Ist Noch Platz, on y retrouve les impressions ressenties durant l’écoute de Claudia’s Choice, des accords de guitare plaqués qui s’éternisent, parsemés de quelques coups de cymbales et de quelques notes de sax ébauchant une mélodie brutale et saccadée.

Just Like That se rapproche davantage d’un jazz plus rassurant et d’un swing plus balisé, sax et guitare échangent autour d’une assise rythmique au tempo soutenu.

Pour sa deuxième composition Jenseits Von Gut Und Böse (titre d’un ouvrage de Nietzsche Par delà Le Bien et Le Mal : Prélude d’une Philosophie de l’Avenir), Daniel Erdmann conçoit une longue introduction rythmée par un tic tac abrutissant, puis laisse les accords folk de la guitare prendre le relais, le saxophoniste entame alors une improvisation de près de 2 minutes.

Hasse nous offre ensuite son blues acoustique et dissonant How Long, So Low, une plage musicale dépouillée mais expressive à l’image de l’étrange ballade Nothing Will Ever Be Enough Again, où le silence est d’or et la retenue de rigueur !

L’énergique Au fond des yeux aux airs d’hymne pop/rock de l’époque Woodstock rompt le silence et le calme apparent de King Of Red avec son déploiement de couleurs criardes et saturées…

Bref, Das Kapital accouche d’un disque barré, parfois fluide et parfois complexe, il repose sur l’écoute et le partage des dessins mélodiques de ses trois protagonistes et sur leurs intuitions à remplir les espaces de chaque morceau.