Antiquarks – KÔ le libre album (Mustradem/InOuie
Distribution)
La compagnie Antiquarks
est à l’initiative depuis sa création il y a une dizaine d’années d’une quinzaine
d’œuvres originales et de plus de 300 performances artistiques, concerts,
spectacles, conférences ou workshop, délivrés en France et à travers le monde.
Le collectif humaniste, tentaculaire et à géométrie variable, nous présente son
dernier projet intitulé KÔ (« corps »
en créole), une œuvre musicale, graphique et poétique se dressant avec vigueur,
humour et folie contre une industrie du disque standardisée et omnipotente.
Offert comme un « humanifeste du
corps ordinaire » sous la forme d’un livret de près de quarante pages, d’un
disque de 8 titres et d’un show anticonformiste et débridé, KÔ convie son public devenu auditeur,
spectateur et lecteur dans un univers singulier où se « rassemblent une
pluralité de mondes musicaux ». La chanteuse tuscarora militante Pura Fé (Western Dark Side) côtoie ainsi la cantatrice de l’orchestre
national de Lyon Sophie Lou (Papageno Papagena), le percussionniste Ismael Mesbahi (Aman) et le danseur/chanteur burkinabé Bouréima Kiénou (Rockya Couba)
dans une musique « interterrestre »
comme le dit l’un des piliers d’Antiquarks,
l’artiste-sociologue chanteur, percussionniste et compositeur, Richard Monségu. Entre les rythmes d’Afrique de l’ouest, le punk/rock (Pigs Bridge), la musique
orientale, le world jazz (Shake It) ou les ambiances créoles (Dyab), KÔ se joue des codes, prend le risque d’être une œuvre foisonnante
et plurielle, sans à priori mais gorgée de convictions.
G!rafe & Bruno Girard - L’Ami que j’Aimais Bien
(Discobole Records)
Quel est donc cet animal étrange, qui, animé par une énergie post-rock, joue une musique
sombre marquée par les mots d’un poète maudit nommé Alain Peters ? G!rafe
est une formation menée par le chanteur Bruno
Girard (membre de Bratsch,
groupe historique français aux influences jazz, tziganes, russes et arméniennes)
et composée du bassiste Théo Girard,
du batteur Eric Groleau, du
guitariste Stéphane Hoareau et du clarinettiste
Nicolas Naudet. Son projet intitulé L’Ami que j’Aimais Bien est un hommage à
l’auteur et musicien réunionnais Alain
Peters, qui fusionnait dans les années 70 psychédélisme, rock et maloya.
Bruno a choisi de dire en français 6
poèmes de l’artiste disparu précocement en 1995, ils expriment tantôt l’espoir puis
le désespoir, tantôt la déception amoureuse et la solitude puis l’injustice
sociale… Bref autant de divagations souvent mélancoliques et parfois amères que
son chant grave et imposant, qui s’apparenterait
presque au slam de Grand Corps Malade, extirpe avec calme
et vigueur d’un amas rocheux en fusion.
Le trombone a toujours été un instrument fascinant, de par
son allure et sa mécanique, mais rarement mis en premier plan. On garde cependant
en mémoire quelques noms illustres comme le jazzman J J Jonhson, l’immortel Fred
Wesley des JB’s, plus récemment le suédois Nils Landgren ou le tout jeune Trombone
Shorty, natif de la Nouvelle Orléans.
Fidel Fourneyron,
originaire d’Albi dans le sud ouest de la France, nous présente son premier
opus solo intitulé High Fidelity.
Bien loin des sentiers battus par ses aînés, le tromboniste virtuose invite son
auditoire à partager l’intimité qui le lie à son instrument, duquel il parvient
à extirper des sonorités inédites et surprenantes. Passionné par les grands
orchestres de swing et amateur de rumba cubaine, c’est véritablement dans les
milieux du jazz moderne, de la musique improvisée et contemporaine qu’il
se fait remarquer. High Fidelity n’a
d’ailleurs rien à voir avec un disque de jazz au sens classique, c’est une
suite de 9 titres pour trombone seul, où bruits, souffles, grincements,
grognements, cris, murmures, monologues et répétitions entêtantes se succèdent,
se chevauchent et se causent, laissant parfois échapper quelques phrasés familiers.
Gentleman’s Dub Club - The Big Smoke (Easy Star
Records)
Le combo anglais baptisé Gentleman’s Dub Club nous présente chez Easy Star Records son dernier obus sonique composé de 11 titres et intitulé
The Big Smoke. Ses 9 musiciens
réputés pour l’énergie qu’ils dégagent en concert se sont rencontrés en 2006 à
Leeds, après sept années d'une tournée mondiale parait leur premier essai FOURtyFOUR suivi de deux EPs très bien
accueillis par la scène bass music
britannique. Avec ce second opus la formation nous convie une nouvelle fois
dans son trip dub, imbibé d’influences reggae et ska. Les
ambiances planantes et cuivrées gavées de reverbes et d’echos sont bien sûr au
rendez-vous, ainsi que le chanteur Natty
sur un One Night Only très roots et le jeune saxophoniste Josh Arcoleo dans un Nocturnal à la rythmique 2 Tone tranchante.
Rien de mieux pour commencer sa journée que d’écouter le
nouveau projet aux sonorités world/est-africaines
du multi-instrumentiste de Los Angeles Dexter
Story, véritable chantre de la
culture jazz et hip-hop underground américaine. Ayant autant croisé le fer
avec Wynton Marsalis et Kamasi Washington qu’avec Madlib et Les Nubians, le
producteur aux multiples casquettes s’est aussi frotté au marketing de
l’industrie musicale en travaillant notamment pour Def Jam et Bad Boys Records.
Après Seasons
paru en Février 2013 chez Kindred
Spirits, un premier album soul aux accents jazzy, funky et R&B, le
musicien cinquantenaire (qui emprunte son nom d’artiste à l’illustre
saxophoniste Dexter Gordon) nous
présente son second opus baptisé Wondem,
dans lequel il ré-explore depuis son home studio californien les rythmes
africains qui l’ont indélébilement marqué lorsqu’il était le batteur puis
l’arrangeur du trompettiste Todd Simon et
de son Ensemble Ethio-Cali. En effet,
les ambiances « éthiopiques » inspirées du maître Mulatu Astatké transparaissent à
travers des titres comme Lalibela, Sidet Eskermeche (où est convié le
chanteur Yared Teshale) ainsi que Saba, tout trois étant habités par les
entrelacs psychédéliques déployés par les guitares et les cuivres éthio-jazz.
Mais Wondem, qui
se traduit par « frère » en amharique, ne se résume pas qu’à une
incursion dans l’Addis Abeba des années 70, le joyeux A New Day par exemple nous immerge dans la pop moderne du sud de l’Ethiopie tandis que Be My Habesha nous invite au Nord du Mali, où les alchimistes de
Tinariwen ont imaginé la musique assouf,
un habile mélange de musique touareg, de
rock et de blues.
Changamuka ensuite,
et la voix soul racée de Godfrey at
Large alias Dustin Warren nous plonge
dans une Afrique éprise du son sophistiqué de la Motown, alors de Miguel Atwood–Ferguson et Mark de Clive Lowe arrangent et
interprètent la mélodie arabisante
et presque kitch de Mowa, un hommage
au chanteur/joueur de oud soudanais Mohammed Wardi. Le Soudan est toujours à
l’honneur dans le coloré Without An
Adress sublimement interprété par la chanteuse retro pop originaire de Khartoum Alsarah.
Merkato Star et
ses rythmes tournoyants et intenses nous hypnotisent à la manière d’une transe
soufie, alors que l’orchestration de la pièce instrumentale Xamar renoue avec la vision
est-africaine du jazz-funk des 70’s,
atmosphère déjà présente dans Changamuka
mais qui semble être ici passée au crible d’un Fela Kuti apaisé.
Dans Eastern Prayer,
les vocalises suaves et vaporeuses de Nia
Andrews sont accompagnées d’une instrumentation délicate où chœurs aériens
où steel drums de trinidad, congas afro-cubaines et kalimbas ouest-africaines
s’unissent pour accueillir une guitare au touché afro-caribéen.
Pour clore Wondem,
Dexter Story nous offre le
romantique et spirituel Yene Konjo
dans lequel sa voix profonde, douce et veloutée est mise en valeur par les
claviers de l’expert Mark de Clive-Lowe
dont la présence inonde l’ensemble de l’album.
Encore un succès en perspective pour le label anglais Soundway Records de Miles Cleret qui publiait, il y a peu, l’excellent
projet Ibibio Sound Machine.
Francesco
Bearzatti & Tinissima 4tet - This Machine Kills Fascists (CAM Jazz/Harmonia
Mundi)
Dans la continuité de ses biographies musicales dédiées en
2008 à la militante révolutionnaire Tina Modotti (actrice, mannequin et photographe
italienne du début du XX° siècle), en 2010 à l’icône afro-américaine Malcolm X
puis en 2013 au pianiste génial Thelonious Monk (dans un projet fusionnant la
musique de Monk aux standards du rock), le saxophoniste jazz Francesco Bearzatti nous présente
aujourd’hui This Machine Kills Fascists,
un hommage au chanteur guitariste américain Woody Guthrie, musicien de country et activiste intellectuel dont
la pensée influença la folk des protest songs dans les 60’s.
Accompagné de l’excellent trompettiste Giovanni Falzone, du bassiste Danilo
Gallo et du batteur Zeno De Rossi,
Franceso forme le Tinissima 4tet et invite sur un titre
dédié aux anarchistes Sacco And Vanzetti
(tous deux condamnés en 1927 à la chaise électrique par la justice américaine) la
chanteuse Petra Magoni qui vocalise
telle une chanteuse d’opéra une mélodie à glacer le sang. L’artiste originaire
de Pordenone dans la région du Frioul-Vénétie Julienne a composé 10 des 11
morceaux de l’album, This Land Is Your
Land étant un classique de Woody Guthrie
écrit en 1940.
Le Tinissima 4tet
déploie un jazz au swing tantôt langoureux
et mélancolique (Okemah - ville
natale de Guthrie dans l’Oklahoma, When U Left), tantôt effréné et déluré (Hobo Rag, Witch Hunt) se heurtant ici et là aux sonorités cuivrées de la Nouvelle Orléans (This Land Is Your Land) ainsi qu’à celles de la country mexicaine (Long Train Running).
Kenny
Wheeler & John Taylor – On The Way To Two (CAM Jazz/Harmonia Mundi)
Tous deux disparus il y a peu, le pianiste anglais John Taylor et le trompettiste canadien
Kenny Wheeler se retrouvent dans un
enregistrement inédit de 2005, capté au Bauer Studios en Allemagne. Le label Italien
CAM jazz a eu la bonne idée de
publier leur renversant On The Way To
Two où la complicité des deux partenaires de longue date se dévoile avec
une élégance et une sensibilité rare. C’est d’outre tombe que le pianiste nous adressait
en septembre dernier, soit 2 mois après sa disparition sur scène lors du
festival Saveurs Jazz près d’Angers, son disque posthume 2081, malgré la son trépas soudain, il a eu l’occasion de rendre un
dernier hommage à son ami Kenny (décédé
en septembre 2014) dans une note touchante figurant en préface du livret de leur
album. Les deux géants du jazz moderne
européen, qui formaient le célèbre Azimuth
avec la chanteuse Norma Winston, y élaborent
une musique acoustique sophistiquée, alliant une force mélodique captivante à
une virtuosité soupesée. Composé de 9 compositions originales et d’une reprise
de Billy Strayhorn A Flower Is A Lovesome
Thing, On The Way To Two est une
aire de jeux dans laquelle naît une conversation animée, où les instruments sont
poussés dans leurs retranchements sans jamais se brusquer ou se contredire. Des
thèmes complexes (Canter #2, Fedora ou Close To Mars) alternent avec de courts passages improvisés (Sketch No.1, Sketch No.2, Sketch No.3),
imposant sans lyrisme démonstratif ni épreuve de force, une musicalité fluide
et naturelle.