jeudi 29 octobre 2015

Antiquarks – KÔ le libre album (Mustradem/InOuie Distribution)


Antiquarks – KÔ le libre album (Mustradem/InOuie Distribution)

La compagnie Antiquarks est à l’initiative depuis sa création il y a une dizaine d’années d’une quinzaine d’œuvres originales et de plus de 300 performances artistiques, concerts, spectacles, conférences ou workshop, délivrés en France et à travers le monde. Le collectif humaniste, tentaculaire et à géométrie variable, nous présente son dernier projet intitulé (« corps » en créole), une œuvre musicale, graphique et poétique se dressant avec vigueur, humour et folie contre une industrie du disque standardisée et omnipotente.

Offert comme un « humanifeste du corps ordinaire » sous la forme d’un livret de près de quarante pages, d’un disque de 8 titres et d’un show anticonformiste et débridé, convie son public devenu auditeur, spectateur et lecteur dans un univers singulier où se « rassemblent une pluralité de mondes musicaux ». La chanteuse tuscarora militante Pura Fé (Western Dark Side) côtoie ainsi la cantatrice de l’orchestre national de Lyon Sophie Lou (Papageno Papagena), le percussionniste Ismael Mesbahi (Aman) et le danseur/chanteur burkinabé Bouréima Kiénou (Rockya Couba) dans une musique « interterrestre » comme le dit l’un des piliers d’Antiquarks, l’artiste-sociologue chanteur, percussionniste et compositeur, Richard Monségu. Entre les rythmes d’Afrique de l’ouest, le punk/rock (Pigs Bridge), la musique orientale, le world jazz (Shake It) ou les ambiances créoles (Dyab), se joue des codes, prend le risque d’être une œuvre foisonnante et plurielle, sans à priori mais gorgée de convictions.

G!rafe & Bruno Girard - L’Ami que j’Aimais Bien (Discobole Records)


G!rafe & Bruno Girard - L’Ami que j’Aimais Bien (Discobole Records)

Quel est donc cet animal étrange, qui, animé par une énergie post-rock, joue une musique sombre marquée par les mots d’un poète maudit nommé Alain Peters ? G!rafe est une formation menée par le chanteur Bruno Girard (membre de Bratsch, groupe historique français aux influences jazz, tziganes, russes et arméniennes) et composée du bassiste Théo Girard, du batteur Eric Groleau, du guitariste Stéphane Hoareau et du clarinettiste Nicolas Naudet. Son projet intitulé L’Ami que j’Aimais Bien est un hommage à l’auteur et musicien réunionnais Alain Peters, qui fusionnait dans les années 70 psychédélisme, rock et maloya. Bruno a choisi de dire en français 6 poèmes de l’artiste disparu précocement en 1995, ils expriment tantôt l’espoir puis le désespoir, tantôt la déception amoureuse et la solitude puis l’injustice sociale… Bref autant de divagations souvent mélancoliques et parfois amères que son chant grave et imposant, qui s’apparenterait presque au slam de Grand Corps Malade, extirpe avec calme et vigueur d’un amas rocheux en fusion.

mercredi 28 octobre 2015

Fidel Fourneyron - High Fidelity (Umlaut Records)


Fidel Fourneyron - High Fidelity (Umlaut Records)

Le trombone a toujours été un instrument fascinant, de par son allure et sa mécanique, mais rarement mis en premier plan. On garde cependant en mémoire quelques noms illustres comme le jazzman J J Jonhson, l’immortel Fred Wesley des JB’s, plus récemment le suédois Nils Landgren ou le tout jeune Trombone Shorty, natif de la Nouvelle Orléans.

Fidel Fourneyron, originaire d’Albi dans le sud ouest de la France, nous présente son premier opus solo intitulé High Fidelity. Bien loin des sentiers battus par ses aînés, le tromboniste virtuose invite son auditoire à partager l’intimité qui le lie à son instrument, duquel il parvient à extirper des sonorités inédites et surprenantes. Passionné par les grands orchestres de swing et amateur de rumba cubaine, c’est véritablement dans les milieux du jazz moderne, de la musique improvisée et contemporaine qu’il se fait remarquer. High Fidelity n’a d’ailleurs rien à voir avec un disque de jazz au sens classique, c’est une suite de 9 titres pour trombone seul, où bruits, souffles, grincements, grognements, cris, murmures, monologues et répétitions entêtantes se succèdent, se chevauchent et se causent, laissant parfois échapper quelques phrasés familiers.

mardi 27 octobre 2015

Gentleman’s Dub Club - The Big Smoke (Easy Star Records)


Gentleman’s Dub Club - The Big Smoke (Easy Star Records)

Le combo anglais baptisé Gentleman’s Dub Club nous présente chez Easy Star Records son dernier obus sonique composé de 11 titres et intitulé The Big Smoke. Ses 9 musiciens réputés pour l’énergie qu’ils dégagent en concert se sont rencontrés en 2006 à Leeds, après sept années d'une tournée mondiale parait leur premier essai FOURtyFOUR suivi de deux EPs très bien accueillis par la scène bass music britannique. Avec ce second opus la formation nous convie une nouvelle fois dans son trip dub, imbibé d’influences reggae et ska. Les ambiances planantes et cuivrées gavées de reverbes et d’echos sont bien sûr au rendez-vous, ainsi que le chanteur Natty sur un One Night Only très roots et le jeune saxophoniste Josh Arcoleo dans un Nocturnal à la rythmique 2 Tone tranchante.

 
 

Dexter Story – Wondem (Soundway Records)


Dexter Story – Wondem (Soundway Records)

Rien de mieux pour commencer sa journée que d’écouter le nouveau projet aux sonorités world/est-africaines du multi-instrumentiste de Los Angeles Dexter Story, véritable chantre de la culture jazz et hip-hop underground américaine. Ayant autant croisé le fer avec Wynton Marsalis et Kamasi Washington qu’avec Madlib et Les Nubians, le producteur aux multiples casquettes s’est aussi frotté au marketing de l’industrie musicale en travaillant notamment pour Def Jam et Bad Boys Records.

Après Seasons paru en Février 2013 chez Kindred Spirits, un premier album soul aux accents jazzy, funky et R&B, le musicien cinquantenaire (qui emprunte son nom d’artiste à l’illustre saxophoniste Dexter Gordon) nous présente son second opus baptisé Wondem, dans lequel il ré-explore depuis son home studio californien les rythmes africains qui l’ont indélébilement marqué lorsqu’il était le batteur puis l’arrangeur du trompettiste Todd Simon et de son Ensemble Ethio-Cali. En effet, les ambiances « éthiopiques » inspirées du maître Mulatu Astatké transparaissent à travers des titres comme Lalibela, Sidet Eskermeche (où est convié le chanteur Yared Teshale) ainsi que Saba, tout trois étant habités par les entrelacs psychédéliques déployés par les guitares et les cuivres éthio-jazz.

Mais Wondem, qui se traduit par « frère » en amharique, ne se résume pas qu’à une incursion dans l’Addis Abeba des années 70, le joyeux A New Day par exemple nous immerge dans la pop moderne du sud de l’Ethiopie tandis que Be My Habesha nous invite au Nord du Mali, où les alchimistes de Tinariwen ont imaginé la musique assouf, un habile mélange de musique touareg, de rock et de blues.

Changamuka ensuite, et la voix soul racée de Godfrey at Large alias Dustin Warren nous plonge dans une Afrique éprise du son sophistiqué de la Motown, alors de Miguel Atwood–Ferguson et Mark de Clive Lowe arrangent et interprètent la mélodie arabisante et presque kitch de Mowa, un hommage au chanteur/joueur de oud soudanais Mohammed Wardi. Le Soudan est toujours à l’honneur dans le coloré Without An Adress sublimement interprété par la chanteuse retro pop originaire de Khartoum Alsarah.

Merkato Star et ses rythmes tournoyants et intenses nous hypnotisent à la manière d’une transe soufie, alors que l’orchestration de la pièce instrumentale Xamar renoue avec la vision est-africaine du jazz-funk des 70’s, atmosphère déjà présente dans Changamuka mais qui semble être ici passée au crible d’un Fela Kuti apaisé.

Dans Eastern Prayer, les vocalises suaves et vaporeuses de Nia Andrews sont accompagnées d’une instrumentation délicate où chœurs aériens où steel drums de trinidad, congas afro-cubaines et kalimbas ouest-africaines s’unissent pour accueillir une guitare au touché afro-caribéen.

Pour clore Wondem, Dexter Story nous offre le romantique et spirituel Yene Konjo dans lequel sa voix profonde, douce et veloutée est mise en valeur par les claviers de l’expert Mark de Clive-Lowe dont la présence inonde l’ensemble de l’album.

Encore un succès en perspective pour le label anglais Soundway Records de Miles Cleret qui publiait, il y a peu, l’excellent projet Ibibio Sound Machine.


vendredi 23 octobre 2015

Francesco Bearzatti & Tinissima 4tet - This Machine Kills Fascists (CAM Jazz/Harmonia Mundi)


Francesco Bearzatti & Tinissima 4tet - This Machine Kills Fascists (CAM Jazz/Harmonia Mundi)

Dans la continuité de ses biographies musicales dédiées en 2008 à la militante révolutionnaire Tina Modotti (actrice, mannequin et photographe italienne du début du XX° siècle), en 2010 à l’icône afro-américaine Malcolm X puis en 2013 au pianiste génial Thelonious Monk (dans un projet fusionnant la musique de Monk aux standards du rock), le saxophoniste jazz Francesco Bearzatti nous présente aujourd’hui This Machine Kills Fascists, un hommage au chanteur guitariste américain Woody Guthrie, musicien de country et activiste intellectuel dont la pensée influença la folk des protest songs dans les 60’s.

Accompagné de l’excellent trompettiste Giovanni Falzone, du bassiste Danilo Gallo et du batteur Zeno De Rossi, Franceso forme le Tinissima 4tet et invite sur un titre dédié aux anarchistes Sacco And Vanzetti (tous deux condamnés en 1927 à la chaise électrique par la justice américaine) la chanteuse Petra Magoni qui vocalise telle une chanteuse d’opéra une mélodie à glacer le sang. L’artiste originaire de Pordenone dans la région du Frioul-Vénétie Julienne a composé 10 des 11 morceaux de l’album, This Land Is Your Land étant un classique de Woody Guthrie écrit en 1940.

Le Tinissima 4tet déploie un jazz au swing tantôt langoureux et mélancolique (Okemah - ville natale de Guthrie dans l’Oklahoma, When U Left), tantôt effréné et déluré (Hobo Rag, Witch Hunt) se heurtant ici et là aux sonorités cuivrées de la Nouvelle Orléans (This Land Is Your Land) ainsi qu’à celles de la country mexicaine (Long Train Running).

jeudi 22 octobre 2015

Kenny Wheeler & John Taylor – On The Way To Two (CAM Jazz/Harmonia Mundi)


Kenny Wheeler & John Taylor – On The Way To Two (CAM Jazz/Harmonia Mundi)

 
Tous deux disparus il y a peu, le pianiste anglais John Taylor et le trompettiste canadien Kenny Wheeler se retrouvent dans un enregistrement inédit de 2005, capté au Bauer Studios en Allemagne. Le label Italien CAM jazz a eu la bonne idée de publier leur renversant On The Way To Two où la complicité des deux partenaires de longue date se dévoile avec une élégance et une sensibilité rare. C’est d’outre tombe que le pianiste nous adressait en septembre dernier, soit 2 mois après sa disparition sur scène lors du festival Saveurs Jazz près d’Angers, son disque posthume 2081, malgré la son trépas soudain, il a eu l’occasion de rendre un dernier hommage à son ami Kenny (décédé en septembre 2014) dans une note touchante figurant en préface du livret de leur album. Les deux géants du jazz moderne européen, qui formaient le célèbre Azimuth avec la chanteuse Norma Winston, y élaborent une musique acoustique sophistiquée, alliant une force mélodique captivante à une virtuosité soupesée. Composé de 9 compositions originales et d’une reprise de Billy Strayhorn A Flower Is A Lovesome Thing, On The Way To Two est une aire de jeux dans laquelle naît une conversation animée, où les instruments sont poussés dans leurs retranchements sans jamais se brusquer ou se contredire. Des thèmes complexes (Canter #2, Fedora ou Close To Mars) alternent avec de courts passages improvisés (Sketch No.1, Sketch No.2, Sketch No.3), imposant sans lyrisme démonstratif ni épreuve de force, une musicalité fluide et naturelle.