La voix fragile et délicate du chanteur-guitariste et
philosophe bahianais Tigana Santana nous
dévoile avec poésie et profondeur sa vision d’un Brésil encré dans ses racines
africaines. Son troisième opus intitulé Tempo
& Magma est un diptyque (Interior
et Anterior) composé de 14 titres touchants et inspirés où
convergent avec subtilité les folklores du Sénégal et de sa terre natale
Salvador de Bahia. Malgré sa jeunesse, l’artiste s’exprime avec la sagesse folk un brin mystique des vieux
routards, on le compare d’ailleurs au regretté Terry Callier avec son timbre grave, doux et suspendu. Imprégné par
le Candomblé, religion vouant un
culte aux orixas et se basant sur la croyance en l’existence d’une âme propre à
la Nature, Tigana déploie une
musique spirituelle, éthérée et essentielle où les rythmes fondateurs de l’Afrique
interprétés par des musiciens sénégalais, maliens et guinéens sont enrichis avec
élégance de ses arpèges de guitare entêtants et de son chant ensorceleur.
Véritable chantre de la culture afro-brésilienne à l’image de l’immense
percussionniste Nana Vasconcelos, notre
griot a choisi dans ce projet d’incarner le Brésil à travers deux personnalités
importantes, la chanteuse de Sao Polo Céu
(que l’on peut entendre dans Nza (The
Universe Created Itself) et There
IsA Balm Gilead /Luzingu) et la prêtresse
du Candomblé Mae Stella Oxossi, dont
l’aura et la pensée habitent Tempo &
Magma tout entier.
Quantic presents The Western Transient - Nordeste (single) (Tru Thoughts Records)
L'excellent Will Holland alias Quantic, fer de lance du désormais mythique label de Brighton Tru Thoughts nous offre une nouvelle pépite extraite de son dernier A New Constellation, un album de jazz instrumentalmâtiné de soul et de funk, qu'il a enregistré à Los Angeles avec son projet The Western Transient. Faisant suite au premier single Creation (East LA), Nordeste nous plonge dans les sonorités issues des traditions musicales brésiliennes de l'état de Pernambouc, où percussions et cuivres sont rejoints par des guitares et des synthés au grain vintage, nous servant un latin jazz du plus bel effet.
Le titre est accompagné de son remix afro-deep-house orchestré par le producteur mexicain David Montoya et d'une version alternative de Lattitude, aux accents jazz classiques et envoutants, spécialement interprétée pour une célèbre station radio de LA.
Le trompettiste hyper-productif Ibrahim Maalouf, qui nous offrait il y a peu ses deux derniers Kalthoum et Red & BlackLight nous invite à présent à redécouvrir une des divas orientales des plus emblématiques de ces dernières années, l'anglo-égyptienne Natacha Atlas. Bien loin des clichés orientalistes que la chanteuse a nourri pendant des années, le duo nous propose avec son sublime Myriad Road un album de jazz délicieusement teinté de reflets orientaux délicats et authentiques. Plus de la moitié de l'opus est interprétée en anglais, mais l'ensemble des 10 titres est pourtant habité de ces ondulations lascives et enivrantes propres au chant maqam, les envolées vocales de Natacha sont parfois reprises par la trompette micro-tonale d'Ibrahim dans un concert de swing élégant, métisse et entêtant.
On reconnait bien sûr l'écriture du musicien libanais, sa patte si sensuelle et inspirée est ici mise au service de la voix étonnante et puissante de l'ancienne égérie d'une scène electro/pop orientale qui ne lui permît finalement jamais de s'épanouir artistiquement. Le trompettiste a réuni pour l'occasion un quintet jazz pensé autour du batteur niçois André Ceccarelli et a convié des guests d'exception telles que le violoncelliste Vincent Ségal (Bumcello) et le tromboniste Robinson Khoury (Uptake).
Myriad Road est donc une renaissance, l'affirmation que Natacha Atlas est une artiste libre désormais extirpée du carcan dans lequel elle s'était enfermée depuis le début des années 90 avec l'ethno techno du fameux Transglobal Underground oule trip-hop du producteur Nitin Sawhney, pionnier de la scène underground asiatique.
Django Reinhardt, Stéphane Grappelli - L'Intégrale du Quintette à cordes du Hot Club de France (Label Ouest/L'Autre Distribution)
Dans une France de l'entre guerre, le guitariste Django Reinhardt et le violoniste Stéphane Grappelli fondent le Quintette du Hot Jazz de France, une formation composée de trois guitares, un violon et une contrebasse mêlant le jazz à la musique manouche. Remportant un succès populaire immédiat, le groupe se produit dans toute l'Europe croisant alors la fine fleur du jazz américain, comme le saxophoniste Coleman Hawkins ou le trompettiste Benny Carter.
L'Intégrale du Quintette à cordes du Hot Club de France rassemble pour la première fois l'ensemble de l'œuvre-phare des deux pionniers européens dans un coffret de 8 volumes répartis en 3 périodes: Les Débuts entre 1934 et 1935, L'Âge D'Or entre 1936 et 1939 et enfin L'Après-Guerre entre 1946 et 1948.
Parmi les 155 enregistrements entièrement remasterisés, on retient forcément les interprétations magistrales de Minor Swing (1937), Nuages (1946) ou Coquette (1946) qui malgré les années n'ont rien perdu de leur superbe.
A noter que l'initiative a été chaleureusement accueillie par les dignes héritiers de ces deux mastodontes du jazz manouche, Biréli Lagrène, Thomas Dutronc ou Didier Lockwood figurent déjà parmi les fans du projet.
Gilad Hekselman – Homes (Jazz Village/Harmonia
Mundi)
Tombé au hasard de mes déambulations youtubiennes sur le
superbe clip de sa reprise de Last Train Home composé par Pat Metheny, je
découvrais alors un jeune jazzman en passe de devenir un géant ! D’origine
israélienne et installé à New-York depuis une dizaine d’année, le guitariste Gilad Hekselman baptisé le « Petit Prince » de la six cordes
publie son 5° opus intitulé Homes et
enregistré avec ses fidèles complices le contrebassiste Joe Martin (pilier du Mingus Big Band) et le batteur Marcus Gilmore (petit fils et disciple
du mythique Roy Haynes). Remarqué aux côtés de grands noms tels que Chris
Potter, John Scofield ou encore Esperanza Spalding, il invite sur 2 titres une
autre star du jazz nord américain, le batteur de Brad Mehldau, Jeff Ballard.
Ce qui frappe dès l’ouverture du disque avec le prélude
éponyme Homes, c’est l’élégance et la
rondeur du son de sa guitare. La fluidité du jeu de Gilad et la sophistication de son phrasé évoquent immanquablement
le touché de Jim Hall, tandis que sa
puissance mélodique le rapproche de Pat
Metheny, un mentor à qui il empreinte un Last Train Home aux contours dépouillés et gracieux.
C’est à un magnifique voyage que nous convie le trio, un
trip dans le temps et dans l’espace vers des destinations et des époques aussi
diverses qu’exotiques, Parisian
Thoroughfare (de Bud Powell) nous
transporte au temps du bebop des
années 50 à New York, alors que le titre fleuve Cosmic Patience nous replonge dans le jazz fusion des années 70 avec ses reflets psychédéliques… Le touchant Samba Em Preludio, écrit en 1962 par Baden Powell, nous bouleverse sur un air de bossa nova sublimé et magnifié par le guitariste au doigté magique
et Keedee, mené d’une main droite de
maître par Jeff Ballard, ballade son
thème enjoué sur une polyrythmie africaine
inspirée.
Homes est LA sensation de cette fin d’année 2015 !
Alan
Stivell – Amzer (Seasons) (World Village/Harmonia Mundi)
A vrai dire, j’abordais l’écoute de ce disque à reculons… La
musique celtique n’étant pas
forcément ma panacée. Seulement voilà, le 24ième opus d’Alan Stivell intitulé Amzer ne se résume pas à cette
classification, il s’agit d’une œuvre bien plus complexe aux ramifications
multiples. Plongé dans un univers sonore
organique et intimiste, l’auditeur se laisse rapidement séduire par les textures acoustiques et électroniques
apaisantes plantées par le septuagénaire. Et c’est contemplatif et reposé
qu’il entreprend son immersion dans un conte
musical avant-folk aux reflets world, dédié aux poètes et à la Nature
bienveillante, où le temps rythmé par les saisons se déploie sereinement,
illustré par des bruissements
expérimentaux, des chants d’oiseaux,
des flûtes et des cordes enivrantes,
des percussions discrètes et des voix comme suspendues en apesanteur. La
poésie y tient une place prédominante,
Alan rapproche pour la première fois
sa culture bretonne, façonnée jadis dans les chants traditionnels gallois,
irlandais et écossais, de la « zénitude »
japonaise, 3 haïkus de printemps sont d’ailleurs récités en ouverture. Armé de
sa harpe néo-celtique et toujours
animé par le développement technologique, il s’interroge dans plusieurs langues
et en utilisant des sons purs,
archaïques et futuristes, sur le temps qui passe (Amzer en breton), sur l’évolution d’un monde semé de conflits et d’horreurs.
Renault Garcia-Fons
& Dorantes - Paseo a Dos (E-motive Records/L'Autre Distribution)
Le contrebassiste Renault
Garcia-Fons nous revient avec un nouveau projet intitulé Paseo a Dos. Comme l’indique le titre,
il s’agit d’une collaboration menée étroitement avec le pianiste sévillan David PeñaDorantes, artiste virtuose perpétuant la tradition du flamenco héritée de la fameuse dynastie
des musiciens gitans andalous, appelée Peña de Lebrija. Comme dans son précédent Linea Del Sur, Renault
tisse avec brio et sophistication des liens entre les cultures, il nous invite
avec son complice à partager la lumière radieuse de la méditerranée et de l’Amérique
latine. Avec ou sans son archet, en frottant ou en pinçant les 5 cordes de
son instrument, il empreinte tour à tour les sonorités du luth arabe, de la
guitare espagnole ou du violon tzigane. Dorantes
se sert du piano « comme d’une machine à écrire sur l’air », il
élabore un jeu plus complexe et orchestral que le flamenco pur, à la lisière du jazz et de la musique
classique, tout en gardant la fougue sanguine de ses origines. Le duo nous
livre un opus puissant et sensuel, fruit d’une entente née sur scène et enfin
gravée sur disque.