Repéré par Warp en 2008 lors de sa collaboration avec Flying Lotus sur l'album Los Angeles, le producteur américain Sumach Ecks alias Gonjasufi publiait il y a quelques mois Callus, un album barré et oppressant aux sonorités rock, hip-hop, métal, folk, disco et électro. Lui emboitant le pas le 08 Mars dernier, Mandela Effect est une collection de titres inédits et de remixes détonnants orchestrés par une pléiade de références incontournables de la musique underground de ces 20 dernières années, à savoir Beth Gibbons de l'immense Portishead, Daddy G du célèbre Massive Attack, Shabazz Palaces, figure emblématique de la scène hip-hop expérimentale de Seattle, Ras G gravitant dans l'entourage du label Brainfeeder, Anna Wise chanteuse proche du rappeur Kendrick Lamar, King Britt, DJ/producteur de Philadelphie que la réputation précède et bien d'autres artistes de la même trempe...
Les ambiances de ce véritable patchwork electronica hybride et riche en sonorités glitch,demeurent sombres, urgentes, crasseuses et même létales, flirtant ici avec le trip-hop, le dub ou la techno et là, avec le punk ou la cold wave.
On notera la participation du batteur Tony Allen sur le dissonant "Etherwave", moment étrange et indescriptible comme l'est d'ailleurs l'ensemble du répertoire de ce singulier personnage, amateur de soufisme et de chanvre.
La productrice et chanteuse Yasmine Dubois alias Lafawndah publie son second EP baptisé Tan. La jeune artiste qui partage ses origines entre l'Egypte et l'Iran a déposé ses valises à New York après avoir séjourné à Mexico et Téhéran. Elle laisse derrière elle le Paris de son enfance et une France frileuse qui n'a su ni apprécier, ni soutenir son projet musical militant et expérimental.
Signant chez Warp un nouveau recueil de 4 titres barrés fusionnant rythmiques industrielles tranchantes, mélodies pop aux accents world et textes engagés, elle s'entoure pour l'occasion d'un tandem électro aventureux composé de l'américain Aaron Davis Ross alias ADR et de l'anglais James Connolly alias L-Vis 1990,ainsi que de ses collaborateurs en studio Tamer Fahri et Nick Weiss.
Définitivement inclassable, Lafawndah nous fait marcher au pas sur des cadences quasi militaires ponctuées de kicks technoïdes asséchés et de percussions tribales entêtantes d'inspiration turco-persanes. Destinée à embraser le dancefloor, sa pop futuriste prend des allures de folklore soufi electro-psychédélique, un trip sonique brutal, une transe bestiale ponctuée d'impactes de bass et de grime qui s'humanise pourtant grâce à sa voix sensuelle, faisant ici référence à Bjork ou Kate Bush et là à FKA Twigs ou Missy Elliott.
Certains disques se laissent apprivoiser facilement, mais là
avec You’re Dead !, ce n’est
pas si évident ! En effet le beatmaker américain basé à L.A., Steven
Ellison aka Flying Lotus, patron du
label Brainfeeder, nous livre par
l’entremise de la maison anglaise Warp
une mouture sombre et mélancolique, complexe et puissante, sans concession
aucune et libre de tous canons esthétiques. Considéré comme l’un des producteurs
underground les plus en vue de la côte Ouest, FlyLo a fait les choses en grand avec des mois de teasing intensif et l’invitation de guests plus que prestigieuses.
Avant même sa sortie, le disque était déjà acclamé par une critique unanimement
conquise.
You’re Dead !
est-il un disque de hip-hop ?
You’re Dead !
est-il un disque de jazz ?
Ce qui est certain c’est que Flying Lotus aka Captain
Murphy nous offre 38 minutes intenses de psychédélisme, traversé par un tas
d’influences, du free-cosmic-jazz barré et classieux servi par Herbie Hancock (Tesla) et Thundercat (bassiste/chanteur
exubérant et génial régulièrement embarqué dansles aventures de FlyLo) , à la drum & bass jazzy de l’excellent Never Catch Me où Kendrick Lamar déploie un flow époustouflant, en passant par la
soul nébuleuse de Siren Song et Your Potential/The Beyond murmurées par Angel Deradoorian et Niki Randa, ou le hip-hop game boy de Dead Man’s Tetris éclairé par un Snoop Dogg inattendu dans ce genre de
prestations.
La présence d’une team de musiciens prodiges et novateurs comme
les batteurs Deantoni Parks, Justin Brown et Ronald Brunner, le saxophoniste jazz Kamasi Washington, le guitariste death metal Brendon Small, le violoniste/chef d’orchestre Miguel Atwood Ferguson, les claviéristes Brandon Coleman et Taylor
Graves, renforce l’ampleur de cette fusion entre innovation musicale et
virtuosité technique, qu’a voulu initier le producteur californien dans ce « pèlerinage
transcendantal en territoire inconnu, au-delà de la vie ».
Steven, en
parlant de son projet, affirme qu’il ne s’agit pas d’aborder le thème de la mort comme une fin mais
plutôt comme un commencement, comme
la célébration de nouvelles aventures. C’est ce moment de transition et de
confusion. Ce n’est pas ‘hey tu es mort’
mais ‘hey tu es mort !’ », la nuance étant dans le point d’exclamation.
L’artwork est
réalisé quant à lui par le graphiste japonais Shintaro Kago, réputé pour ses mangas réservés à des lecteurs
avertis, où il traite de sujets grotesques à grand renfort de pornographie, de
scatologie ou de déformation physique. L’artiste y déploie une série de dessins
gores mais beaux où la mort, la nudité et la torture y sont présentées d’une
manière crue et ultra violente (vivisections, éviscérations…) mais esthétique !
You’re Dead !
fera date dans la carrière de Flying Lotus autant que dans les anal de la musique
électronique.
Le producteur anglais Bibio,
alias Stephen James Wilkinson, sort
son septième opus intitulé « Silver
Wilkinson ». Edité par le prestigieux label indépendant basé à
Sheffield, Warp Records, connu notamment
pour avoir publié Autechre, Aphex Twin, Richie Hawtin, Squarepusher ou Boards
of Canada, le musicien signe là un recueil contemplatif de 11 titres organiques
et lumineux.
Construit sur un mood plutôt chill-out, le disque se dévoile
comme une bande-son délicate et atmosphérique invitant l’auditeur à déambuler
dans des paysages sonores hybrides où les enregistrements de l’eau frémissante
d’une rivière, d’une pluie battante ou d’un courant d’air, du son pittoresque
d’un clocher de village et celui d’un avion qui passe au loin, côtoient les
ambiances electronica, folk, pop et abstract hip-hop… Le tout largement
agrémenté de guitares si chères à notre poète-bidouilleur.
« Silver
Wilkinson », bien que basé sur l’esthétique glitch et l’art du sample,
regorge de douceur et de tendresse. Cette ode à la Nature, où l’humanité belle
et bien présente semble pourtant n’être que de passage, est habitée d’une
poésie champêtre touchante. Bibio a
le chic pour broder avec ses six cordes de fines mélodies envoutantes à l’instar
des magnifiques ballades instrumentales « The First Daffodils » et « Sycamore Silhouetting » ou des pépites folk « Raincoast » et « You Won't Remember... ».
Même si l’ambiance générale du disque invite à la rêverie et
au recueillement, effet amplifié par la voix éthérée et le chant langoureux du
musicien, on y trouve tout de même une perle afro-pop tonique et ensoleillée,
« À tout à l’heure ». Véritable
bouffée de chaleur et d’insouciance à l’image du succès « Lovers’ Carvings » paru dans
« Ambivalence Avenue » en
2009, « l’enregistrement du morceau a commencé dans son jardin par une
magnifique journée ensoleillée […] avec une guitare à 12 cordes, un sampler
MPC, un micro et un enregistreur cassette. […] Maintenant, quand il réécoute
l’intro, il entend le soleil et le jardin, pour lui c’est comme une
photographie de ce moment. ».
Cette idée d’instantané gravé sur la pellicule, de bribes de réalité retranscrites
en langage musicale rappelle bien sûr les recherches picturales des impressionnistes
qui tentèrent au XIX° siècle, par la couleur et la touche, de traduire la beauté
fugace d’un instant volé et l’émotion ressenti face à un rayon de soleil, un
reflet, une scène pittoresque empruntée au quotidien… Avec « You », Stephen exploite pleinement ses talents de beatmaker et l’on
retrouve les sonorités electro glitch-hop à l’anglaise prônées par les écuries Warp et Ninja Tune. Plus loin, dans « Business Park », il explore l’univers pop des années 80 et sa
suite de synthés vintage, puis distille une deep house en apesanteur dans
« Look at Orion », avec
son lot de samples de voix mis au ralenti par un magnétophone torturé.
Pour pleinement
apprécier « Silver Wilkinson »,
une seule écoute ne suffira pas. En effet, s’il semble impénétrable au premier
abord avec ses expérimentations sonores, la richesse du disque se dévoile
progressivement. La voix feutrée au timbre intimiste du multi-instrumentiste, ses
field recordings, sa guitare, ses
mélodies enivrantes et ses claviers vrombissants nous accompagnent dans un
dédale d’images, de couleurs, de sensations et d’émotions menant droit vers un
ailleurs printanier, arboré et plein de vie. Le magicien manie l’éphémère et la
légèreté à la perfection.