Clément Dodray 5tet - A New Step (Pousse-Pousse Production/Inouie Distribution)
C'est par l'entremise de Pousse-Pousse Production - label et collectif de musiciens fondé en 2014, axé sur la création, la production et la diffusion de projets artistiques dans la sphère du jazz et des musiques improvisées - que le saxophoniste parisien Clément Dodray publiera le 13 Octobre prochain son premier opus baptisé A New Step. Epaulé par Marc Roger au trombone, Sébastien Paindestre au piano, Marion Ruault à la contrebasse et Julien Roger à la batterie, il nous propose un recueil de 9 compositions originales, inspirées par le post-bop des années 60 ("Trane Is Back") et parcourues de quelques notes caribéennes ("Black Mambo"). Y planent les spectres bienveillants des géants Chick Corea, John Coltrane ou Wayne Shorter... Bref, que du bonheur!
Antoine Karacostas Quartet - Frames (We See Music Records/Baco Distribution)
Le pianiste Antoine Karacostas publiera le 27 Octobre prochain son troisième opus baptisé Frames, un recueil de 8 titres, dont 7 compositions inédites et l'arrangement du thème rebetiko "Trava Re Alani" (Va-t'en Salaud), une chanson d'amour traditionnelle. Le folklore grec colore d'ailleurs de notes orientales la palette jazz de l'artiste parisien, nous en parlions déjà lors de la sortie en 2019 du précédent Insulary Tales. Assis devant ses 88 touches, il est également à la manœuvre derrière les consoles de mixage et de masterisation, comme pour le récent By Oneself du guitariste Frederic Favarel.
Enregistré en quartet au Studio Besco en Février dernier, Frames fut en partie inspiré par l'Impressionnisme - et le plus tardif néo-impressionisme - cette esthétique artistique visionnaire et moderniste de la seconde moitié du XIX° siècle, aussi bien picturale que musicale. Le titre "En Pointillé" fait ainsi écho au célèbre courant pointilliste de Seurat et Signac, l'élégant "Sketches" « aux aplats de couleurs musicales qui restent en perpétuel mouvement ».
Dans "Shiny Corners", une petite perle, c'est l'immense Thelonious Monk qui est mis à l'honneur, avec un clin d'œil à son standard "Brillant Corners", publié sur Riverside en 1957, dans l'album au titre éponyme.
Autour d'Antoine, s'expriment ses complices Gabriel Midon à la contrebasse et Pierre Bernier au saxophone ténor, ainsi que son acolyte de la première heure, le batteur Simon Bernierqui le suit dans ses projets depuis 2014.
La délicieuse Ana Layla, chanteuse, auteure et compositrice originaire de Bruxelles, publiait le 2 Juin dernier via le label Jazz Family son premier opus baptisé Introvert And Naked. Épaulée par son complice de longue date, le bassiste et producteur Daniel Romeo, elle s’entoure également d’une garde rapprochée époustouflante où s’illustrent les immenses Eric Legniniaux claviers et Dré Pallemaerts à la batterie. Le quartet est augmenté de nombreux invités parmi lesquels figurent Michel Seba aux percussions, Fanck Deruyter et Olivier Bodson aux cuivres, ou encore Tim Finoulst et Giovanni Rizzuto aux guitares… Taillée pour les répertoires blues et gospel, la voix puissante et entêtante de la diva exprime une sensibilité à fleur de peau. Elle dévoile aussi une fragilité poignante et une sensualité torride que l’on percevait chez l'immense Amy Winehouse et que l’on retrouve, aujourd’hui, dans les chansons de la divine Lady Blackbird. Alternant les couleurs jazzy, les notes funk et soul, les reflets reggae ou latins, Ana et sa fine équipe nous offrent un album généreux de 13 titres accrocheurs et pour certains hypnotiques!
Alessandro Sgobbio - Piano Music 2 (AMP Music & Records)
Le pianiste et compositeur italien Alessandro Sgobbio, que nous avions déjà croisé aux côtés de ses compatriotes le saxophoniste Emiliano Vernizzi (Péricopes+1) et le contrebassiste Mauro Gargano (Feed), nous revient après Piano Music paru en Septembre 2022 avec son envoutant Piano Music 2, un second volume d’expérimentations mélodiques et harmoniques menées en solo, publié par l’excellent label norvégien AMP Music & Records. Ce disque intimiste et contemplatif fut enregistré sur un prestigieux piano Fazioli F278 par Stefano Amerio dans les studios Artesuono de Cavalicco en Italie. Augmentées de nappes électroniques échantillonnées en live dont les sonorités délicates sont pleines de retenue, les 9 compositions alignent des paysages sonores immersifs et méditatifs. Elles sont dédiées à des êtres chers ("Asker" pour son mentor Misha Alperin ou "Keys And Returns" en hommage à la défunte journaliste Shireen Abu Akleh) ou évoquent pour Alessandro des lieux singuliers, chargés de mémoire et d’émotions ("Ilot Chalon" ou "Tula"). Piano Music 2 nous dépeint un univers musical riche et onirique; nous propose un jazz fait d’ambiances évanescentes et de clairs-obscurs minimalistes, où le silence est d’or! On pense aux Gymnopédies et aux Gnossiennes d’Erik Satie, à Philip Glass où aux incursions ambient de Steve Reich…
Les disques que j'écoute inlassablement, les univers sonores qui hantent mon salon et habillent mes soirées, n'ont pas encore de place ici. Alors, comme "il y a un début à tout" je vais ouvrir les festivités avec un opus que m'a fait découvrir une amie il y a 23 ans, l'immense Beyond Skin, un chef d'œuvre étiqueté "asian vibe" que dévoilait Nitin Sawhney le 13 Septembre 1999.
D'origine indienne, le DJ, producteur et compositeur londonien a grandi à Rochester, dans une Angleterre des années 70 et 80 rongée par la violence et le racisme. Initié très tôt à la musique, il apprend à jouer du piano, de la guitare, de la cithare et des tabla. Alors qu'il mène des études de droit à Liverpool, il s'essaye à la scène au côté de son ami claviériste James Taylor et le suit le temps d'unetournée estivale dans son projet jazz funk: The James Taylor Quartet. Puis, au début des années 90, le multi-instrumentiste se lance en solo avec Spirit Dance, publié sur son tout jeune label World Circuit. Suivront les excellents Migration, puis Displacing The Priest en 1996, avant que n'arrive le premier coup d'éclat de Nitin Sawhney, ce fameux Beyond Skin, couronné de succès dès sa sortie.
Combinant ses influences asiatiques ("Serpents", "Anthem Without Nation") au jazz ("Tides"), en passant par le hip-hop ("Pilgrim"), la drum and bass ("Nadia")ou encore le flamenco ("Homelands"), le compositeur engagé y affirme une identité musicale underground et plurielle, mariant arrangements orchestraux, chants et instruments traditionnels, pulsations et textures électroniques ("Nostalgia"), le tout en prônant des valeurs de tolérance et de paix, en vantant le multiculturalisme ("Immigrant") et la spiritualité, puis en s'impliquant politiquement...
Mais le moulage angoissant d'un visage pétrifié lançant un cri de désespoir et de souffrance - visible sur la pochette - indique un certain malaise et en effet, le thème principal de Beyond Skin n'invite ni à la gaieté ni à l'optimisme. Y plane le spectre menaçant de l'arme atomique. La magnifique ouverture "Broken Skin", abordant les tensions entre deux frères ennemis, l'Inde et le Pakistan, résonne comme un étrange écho à la guerre en Ukraine, déclenchée suite à l'agression russe en Mars 2022. La chanteuse Sanchita Farruque est conviéeà s'exprimer sur ce morceau downtempo entêtant, ponctué d'arrangements de cordes et de nappes de Wurlitzer.
Les cordes, qu'elles soient frottées, frappées ou pincées, sont omniprésentes dans Beyond Skin, elles établissent un équilibre subtil, une lien magique entre programmations électroniques et orchestrations acoustiques. Les percussions et notamment les tabla ("The Conference") occupent aussi une place importante dans l'univers sonore organique et ouvert sur le monde du producteur.
Dans la tendre complainte "Letting Go", la chanteuse Tina Grace nous demande de lâcher prise dans un décors musical immersif et inspirant, avec pour fil conducteur les arpèges délicats de la guitare acoustique de Nitin. Plus loin, ses accords et ses riffs gipsy nous enflamment tandis que la voix sensuelle et bienveillante de la chanteuse Nina Miranda nous fait songer au sable de Copacabana. Ailleurs encore, c'est au piano et dans un répertoire aux couleurs nettement plus jazzy que l'artiste nous emmène avec ses ritournelles hypnotiques. On notera d'ailleurs la précieuse contribution du contrebassiste Andy Hamill, avec la rondeur et la douceur réconfortante de ses lignes.
La chanteuse Swati Natekar, les chanteurs Jayanta Bose et Devinder Vikyat Singh ou encore le joueur de flute bansuri Ronu Majumdar apportent également, chacun avec leur spécificité et leur authenticité, ce supplément d'âme si universaliste et fédérateur que dégage un Beyond skin véritablementvibrant et troublant de beauté.
Le 24 Février 2023 paraissait sur le label londonien Far Out Recordings le premier opus au titre éponyme du compositeur, arrangeur et multi-instrumentiste carioca Tunico. Jazzman dans l’âme, ayant assimilé avec brio les folklores du Brésil et notamment ceux du Nordeste comme le maracatu et le forró, Antonio Secchin alias Tunico y dévoile un univers instrumental prodigieusement captivant, inventif et coloré, dans la veine des disques qu’ont produit ses illustres aînés du Quarteto Novo, de Tamba Trio ou de Banda Black Rio… L’artiste, fils du peintre Guilherme Secchin dont une œuvre figure sur la pochette de Tunico, marie en effet la folie samba-funk de la fin des années 70 (“Galope”) à un latin jazz réactualisé,résolument moderne et inspiré (“Saudade do Sucupira”). L’énergie et la chaleur cuivrée de “Sambola”, la rythmique débridée, trépidante et électrisante de “Solar Das Hortências”, laissent parfois place à des mélodies et des harmonies plus aériennes voire contemplatives, les délicieux “Decolagem” et “O Que Virá” l’expriment à merveille.
Ayant enregistré à Rio entouré par un casting de musiciens épatants, le brillant guitariste acoustique et saxophoniste soprano averti, signe-là un recueil de 6 compositions entêtantes aux atmosphères radieuses, hypnotiques et terriblement accrocheuses… Goûtez et vous verrez!
Captain Sparks & Royal Compagny - Objectif Lune (EP)
Pour son second EP paru le 12 Mai dernier et baptisé Objectif Lune, le collectif rouennais Captain Sparks & Royal Compagny poursuit ses incursions hip-hop cuivrées et festives, à travers 6 chansons enflammées et engagées définitivement taillées pour la scène. Avec son flow urgent et corrosif, le chanteur Antoine "Sparks" Rigaud raconte la vie avec punch, colère, nostalgie, tendresse et espoir. Sur des instrumentales largement mâtinées de notes latines, mais aussi manouches et électro, il mène sa troupe en fanfare avec une énergie débordante et à la fin, on en redemande!