mercredi 21 février 2018

Lucibela - Laço Umbilical (Lusafrica)

Lucibela - Laço Umbilical (Lusafrica)

Voilà une voix qui, pour moi, incarne l'âme du Cap-Vert, ou du moins qui exprime un des aspects de sa riche culture musicale qui me touche tout particulièrement.

Originaire de São Nicolau, une des îles du Barlavento au nord de l'archipel (avec Boa Vista, Sal, São Vicente et Santo Antão), la jeune diva Lucibela chante le créole sampadjud, une des deux principales variantes du pays avec le badiu, usité quant à lui plus au sud, dans les îles du Sotavento (Brava, Fogo, Santiago et Maio). Chantant et à l'accentuation délicate, les différences existantes entre les deux dialectes peuvent se comparer à celles que l'on perçoit entre le portugais européen et le brésilien : les voyelles ouvertes de ce dernier et les intonations caressantes qui en découlent, ne se retrouvent pas au Portugal, où la langue y paraît plus rigide, classique et formelle.

Mais revenons-en à Lucibela et à son Laço Umbilical, premier opus qu'elle nous révèle via le label Lusafrica. A l'instar d'Elida Almeida qui signe ici le chaloupé "Mal Amadu" et le mélancolique "Arku da Bedja", elle appartient à une filiation d'artistes décomplexées, qui réactualisent un précieux héritage, légué par leurs illustres aînés, tel que le poète et compositeur engagé Manuel de Novas (dont les chansons ont été interprétées par les légendes Bana, Os Tubarões, Ildo Lobo et Césaria Evora), ou par ceux des générations suivantes, comme Jorge Humberto (auteur de mornas d'une beauté indicible et poignante), Mario Lucio, Betu et Jorge Tavares Silva.

Lucibela explore ainsi le répertoire traditionnel cap-verdien avec une tessiture de voix vibrante, grave et ample, une fluidité déconcertante, qui se prête à merveille à la profondeur émotionnelle de la morna ("Dona Ana") (on devine même une allusion à la samba triste dans "Violeiro"), et à l'élan festif étourdissant de la coladeira ("Profilaxia", "Mi E Dode Na Bô Cabo Verde"), deux styles musicaux endémiques à l'archipel qu'elle défend si bien.

Réalisé par Toy Vieira, qui y déploie des arrangements jazzy raffinés et élégants, Laço Umbilical permet à la vocaliste de tisser un lien charnel avec ce petit pays qu'elle chérie tant, lui offrant une célébration touchante et sincère.

 

Sonia Cat-Berro - Lonely Siren (Shed Music/InOuïe Distribution)

Sonia Cat-Berro - Lonely Siren (Shed Music/InOuïe Distribution)

A l'instar de sa petite sœur, la saxophoniste Lisa Cat-Berro qui s'illustrait l'an dernier au sein du Lady Quartet de Rhoda Scott dans We Free Queens, la chanteuse Sonia est une figure familière de la scène jazz hexagonale. Entourée d'instrumentistes doués, qui ont également joué leur rôle de compositeurs et de mélodistes, elle nous présente sur Shed Music son quatrième opus baptisé Lonely Siren, un recueil de 11 titres touchants et vibrants dont elle a écrit la majorité des textes, confirmant le talent de sa plume d'auteur.
Le pianiste Tony Paeleman, le guitariste Pierre Perchaud, le saxophoniste Christophe Panzani, le contrebassiste Nicolas Moreaux et le batteur Karl Jannuska lui ont en effet élaboré un écrin délicat, au raffinement infini. Des arrangements finement ciselés, où le jazz croise la musique folk et la samba triste, accueillent sa voix captivante qui exprime avec maestria des histoires de l'intime, où l'amour naît, croît puis s'éteint. Incarnant avec finesse et justesse des sentiments universels, Sonia évoque avec douceur et intensité, l'espoir et la mélancolie, la nostalgie et la solitude ou encore l'harmonie et l'amitié.
Reprenant, ici, les thèmes envoutants de la capverdienne Mayra Andrade ("The Return") ou du sambiste carioca Paulinho Da Viola ("Dança Da Solidao"), et là, la sublime chanson 80's "Babooshka" de Kate Bush ou le standard "Scars" de Fran Landesman et Simon Wallace, la vocaliste impose son timbre singulier, généreux, souple et sans faux-semblants, son phrasé fluide et cristallin.

mardi 20 février 2018

Paloma - Rabia (Le Triton/L'Autre Distribution)

Paloma - Rabia (Le Triton/L'Autre Distribution)

Le prodige de la six cordes, Samuelito, met sa maitrise et la force de son jeu typé au service d'une nouvelle voix du flamenco, la jeune Paloma, issue d'une famille d'artistes exceptionnels. Initiée très tôt à la scène et aux tournées au sein de la formation familiale Herencia, formée par son père, le chanteur Vicente Pradal, et son frère, le pianiste virtuose Rafael Pradal, elle brille par sa fougue, sa maturité et la puissance de sa voix. Toujours à voguer vers de nouveaux horizons, la jeune diva ouvre son répertoire à un tas d'autres sonorités, s'illustrant dans des projets jazz avec le célèbre arrangeur Pierre Bertrand ou le percussionniste argentin Minino Garay, hip-hop, electro et même ragga-dancehall, au sein du label Chinese Man.
Le 03 Mars prochain paraîtra sur Le Triton son premier opus baptisé Rabia, un recueil de 8 chansons exprimant la synthèse de son héritage ("Nana de Sevilla"), de ses influences et de sa sensibilité à fleur de peau ("Fiançailles"). Assistée par un casting de haut vol : Edouard Coquard et Mikael Torren à la batterie, basse et percussions, Edouard Bertrand au piano et fender rhodes, Juan Manuel Cortes aux jaleos et Mederic Collignon au cornet, Paloma nous invite dans son univers singulier et métisse, offrant ici une reprise bouleversante de Jacques Brel "No Me Dejes" ou une interprétation pétillante du standard salsa "El Manisero" (du compositeur cubain Moises Simon), et là une composition personnelle vibrante, intitulée "Rabia", qui donne d'ailleurs son nom à l'album.
Tantôt radieuse et enivrante ("La Paloma"), tantôt tragique et solennelle ("Romance Del Don Boyso"), la cantaora nous berce tout le long du disque, s'imposant malgré ses 25 printemps, comme une référence du genre.

Al Akhareen - Al Akhareen (Les Couleurs du Son/L'Autre Distribution)

Al Akhareen - Al Akhareen (Les Couleurs du Son/L'Autre Distribution)

Accompagnée du rappeur, chanteur, beatboxer et producteur palestinien Osloob, la flûtiste parisienne d'origine syrienne Naïssam Jalal nous embarque dans son nouveau projet baptisé Al Akhareen ("les autres" en arabe). En quête de la pierre philosophale, la formation engagée nous offre une savante combinaison de grooves urbains, de jazz et de sonorités traditionnelles, brisant frontières et conventions à travers une esthétique inédite, façonnée à partir de mots et de notes, puis révélée grâce aux instruments, aux machines, aux flows mélodiques et rythmiques de chacune de ses voix... Le trait d'union singulier entre une musique parfois considérée comme élitiste et la culture hip-hop, plus populaire et ancrée dans le réel...

Le duo y dévoile une approche profonde et poétique de la notion de liberté dans un monde devenu méfiant et inquisiteur. Osloob est né dans un camp de réfugiés au Liban, Naïssam est fille d'immigrés syriens en France, ils expriment à leurs manières le rejet, subissant les lourdes conséquences d'une histoire violente.

L'album est le fruit d'une judicieuse association alignant des invités talentueux comme le saxophoniste Mehdi Chaïb (Fanfaraï Big Band, Jazz Liberatorz, Global Gnawa, ...), l'immense bassiste sénégalais Alune Wade (Marcus Miller, Harold Lopez-Nussa, Fatoumata Diawara, ...), le batteur d'origine guadeloupéenne Aranud Dolmen (Jacques Schwarz-Bart, Mario Canonge, Gregory Privat, ...) et le turntablist Dj Junkaz Lou.

 

lundi 19 février 2018

Jacky Molard Quartet - Mycelium (Innacor/L'Autre Distribution)

Jacky Molard Quartet - Mycelium (Innacor/L'Autre Distribution)

Le violoniste, arrangeur et producteur artistique Jacky Molard, figure emblématique de la scène musicale bretonne de ces 30 dernières années, nous présente son nouvel opus intitulé Mycelium. Enregistré avec la formation qu'il fondait en 2006, quartet composé de la contrebassiste Hélène Labarrière, du saxophoniste Yannick Jory et de l'accordéoniste Janick Martin, ce troisième album aux sonorités celtiques ouvertes sur le monde, rassemble un casting d'invités d'envergure :  François Corneloup au baryton, Albert Marcoeur à la voix et aux percussions, Christophe Marguet  à la batterie, Serge Teyssot-Gay à la guitare et Jean-Michel Veillon aux flûtes. Ces derniers signent l'écriture de 5 des 7 compositions ici présentes, chapeautée bien sûr par le maître d'oeuvre, à qui l'on doit notamment le titre éponyme, aux allures de pièces musicale classique, "Mycélium".
Jacky fait voyager le folklore breton dans des contrées lointaines, à priori bien éloignées de ses racines celtes ("Bolom"). Des consonances orientales invitent ici l'Andalousie ou Afrique du Nord ("Adjihina", "Jabiru") et les passages hypnotiques aux airs tziganes évoquent ailleurs les Balkans ("Précautions d'Usage"). Le jazz, lui aussi, veut imposer son swing dans ce vibrant melting-pot sonore, "Triangle" en est une preuve éclatante.

Paolo Fresu Devil Quartet - Carpe Diem (Tuk Music)

Paolo Fresu Devil Quartet - Carpe Diem (Tuk Music)

Le trompettiste enchanteur Paolo Fresu, une fois de plus épaulé par son fameux Devil Quartet - avec qui il publiait en 2013 son précédent Desertico - nous présentera le 23 Février prochain Carpe Diem, un album de jazz aux douces sonorités acoustiques, habité d'une sensualité touchante et d'une tranquillité contagieuse.
Alignées dans un sublime écrin précieusement illustré par l'artiste Barbara Valsecchi, 14 compositions dont 13 originales et une reprise du générique d'"Un posto al sole " - célèbre feuilleton italien diffusé depuis 1996 par la Rai 3 - se succèdent et nous invitent à pénétrer dans l'univers attendrissant et immersif d'une formation envoutante, composée du guitariste sarde Bebo Ferra, du contrebassiste milanais Paolino Dalla Porta et du batteur, également originaire de la ville du fameux Duomo, Stefano Bagnoli.
Depuis son apparition à la fin des années 80, alors membre du fameux quartet d’Aldo Romano, le souffle de Paolo Fresu hante le jazz européen de sa signature sonore tendrement acidulée et de son phrasé court somptueusement délicat (hérité(e)s de ses maîtres, Miles Davis et Chet Baker).
Entouré de ses fidèles complices, il cultive dans Carpe Diem une musique généreuse à l'élégance discrète et délicieuse, où retenue et virtuosité font bon ménage. Si l'atmosphère caressante qu'il dégage était déjà perceptible dans Desertico et des morceaux comme "Ambre" ou "Blame It On My Youth", elle prend ici une toute autre dimension, faisant définitivement passer ce quartet du diable pour une bande de petits Amours romantiques, artisans de ballades nocturnes accrocheuses ("Home" et "Secret Love"), et de titres plus élancés, baignés d'une lumière estivale ("Carpe Diem" et "Un Tema Per Roma").
Comme dit le vieil adage, Chasser le naturel, il revient au galop. Même si dans notre cas, il est plutôt question de trot, les débordements free de "Quam Minimum Credula Postero" et "Dum Loquimur, Fugerit Invida Aetas" ou les atours swing de "Lines", ravivent quelques flammes encore incandescentes, laissées là par malveillance par nos diablotins joueurs.


jeudi 15 février 2018

Alune Wade - African Fast Food (10H10/Sony Music Entertainment)

Alune Wade - African Fast Food (10H10/Sony Music Entertainment)

Impressionnant auprès du pianiste cubain Harold Lopez-Nussa, dans leur projet commun Havana-Paris-Dakar paru en 2015, remarquable la même année dans l'Afrodeezia de Marcus Miller et un an après dans La Comédie des Silences de Fred Soul... Où qu'il intervienne, le bassiste et chanteur sénégalais Alune Wade ne passe pas inaperçu.

Le compositeur désormais installé à Paris nous revient le 23 Février prochain avec un troisième opus en tant que leader, African Fast Food, un recueil de 10 compositions riches et raffinés, exprimant les différentes influences et expériences musicales d'un artiste précieux. Chantant en anglais, français et wolof, s'illustrant à la basse sur des orchestrations aux grooves intenses, d'inspiration afrobeat ("African Fast Food", "Brown Sugar", "Afua"), jazz fusion ("How Many Miles"), oriental jazz ("Pharoah's Dance", "Mame Fallou"), funk mandingue ("Mali Den"), R&B ("La Nuit Des Lombards"), jazz ballad ("Demna") ou encore jazz rock ("Boisterous City"), l'artiste surprend par sa virtuosité, sa subtilité et sa sensibilité, largement marquée par l'Afrique, dans sa pluralité bien sûr (et des artistes avec qui il a d'ailleurs joué : Ismael Lo, Youssou Ndour, Cheick Tidiane Seck, Aziz Sahmaoui,...), mais aussi emprunte du jazz nord-américain de ses idoles Jaco Pastorius, Stanley Clarke et son mentor Marcus Miller, sans oublier les pionniers Charles MingusDuke Ellington, Miles Davis et John Coltrane...

Autour de lui, Alune a réuni un casting internationale 4 étoiles, composé des voix de Kuku et du slameur Oxmo Puccino, du claviériste Leo Genovese, du trompettiste Renaud Gensane, des batteurs Mokhtar Samba et Francisco Mela, du percussionniste Adriano Tenorio DD, du saxophoniste Daniel Blake et de Brian Landrus à la bass clarinet.

Une ode au métissage et à la diversité culturelle...