jeudi 19 août 2021

Kira Skov - Spirit Tree (UVM Distribution/Stunt Records)

Kira Skov - Spirit Tree (UVM Distribution/Stunt Records)

La chanteuse, auteure, compositrice et guitariste danoise Kira Skov, nous revenait le 14 Mai dernier avec Spirit Tree, un album de duos poétique et touchant, élaboré en pleine pandémie du COVID19 et pensé comme un véritable projet participatif, où s'illustrent des artistes emblématiques des scènes indépendantes rock et folk. Après avoir enregistré les bandes son en direct à Copenhague avec ses complices musiciens, Kira les a adressé à quelques grands noms de la chanson qu'elle admire tout particulièrement, tels que Bonnie "Prince" Billy, John Parish, Bill Callahan ou encore Mark Lanegan. Ces derniers, avec d'autres invités tout aussi précieux et incontournables (Jenny Wilson, Mette Lindberg, Lionel Liminana, Marie Fisker, Stine Gron et Steen Jorgensen), ont généreusement imprégné ce disque tendre et captivant de leurs voix singulières, si émouvantes et sensuelles. Le résultat sonne comme une évidence, malgré la distance qui a séparé les protagonistes lors de la réalisation de l'opus. Les ambiances immersives, dominées par les jeux de cordes pincées ou frottées, y sont délicieusement  fragiles et intimistes. Les arrangements somptueux et étrangement familiers de ces 14 compositions sont habités de sonorités majoritairement acoustiques, mais quelques nuances électriques s'y mêlent avec une bienveillance parfaitement équilibrée, dessinant les contours d'un univers musical des plus raffinés. Présenté dans un petit livret cartonné très finement illustré en noir et blanc par la dessinatrice Mette Geisler, Spirit Tree est un objet qui tombe à point nommé, en cette période trouble, incertaine et anxiogène.

De la haute couture!



mercredi 23 juin 2021

Gaël Faye - Lundi Méchant (Excuse My French)

Gaël Faye - Lundi Méchant (Excuse My French)

La poésie urbaine et chaloupée de Gaël Faye, son flow entêtant et son verbe incisif, sont une fois de plus à l'ouvrage dans ce nouvel opus, que l'auteur-compositeur-interprète, rappeur et écrivain franco-rwandais, publiait le 06 Novembre dernier sur le label indépendant Excuse My French

Nommé dans la catégorie « Album de l'année » des Victoires de la musique 2021, ce second effort baptisé Lundi Méchant, rassemble 14 titres, tous écrits par l'artiste à l'exception de "Seuls et vaincus", poème vibrant composé par l'ancienne garde des Sceaux, Christiane Taubira. Reprenant le nom des soirées festives et anticonformistes du 5 SUR 5 - une boîte de nuit emblématique du quartier populaire et cosmopolite de Bwiza (à Bujumbura, capitale économique du Burundi) - Gaël Faye nous invite à se soustraire à l'ordre établi et d'avancer à contre courant. « Se rendre aux "Lundi Méchant" c’est faire un pied de nez à la société moderne qui encadre l’individu dans des horaires et des carcans qui voudraient que l’on attende sagement le week-end pour s’amuser. »

Fuyant la guerre civile du Burundi et le génocide des Tutsis au Rwanda, il débarque à Paris en 1995 et découvre dans l'écriture et le hip-hop un exutoire à sa douleur et à sa colère. Face à cet exil forcé, au déracinement et à la perte de ses repères, il se reconstruit, poursuit des études dans la finance puis part deux ans pour la City, dans les bureaux d'un fonds d'investissement. La musique prendra finalement le dessus et son premier opus solo Pili Pili sur un croissant au beurre - enregistré entre Bujumbura et Paris - paraîtra finalement en 2014 sur le prestigieux Motown France.

Enfant du hip-hop ayant intégré les leçons d'Afrika Bambaataa, Nas, Rakim ("NYC") ou encore Questlove, grand admirateur des montres sacrés de la chanson françaiseBrel, Brassens et Gainsbourg, mais également fasciné par l'acteur et militant des droits civiques new-yorkais Harry Belafonte, il nous livre une œuvre optimiste et "anti-morosité", à cheval entre l'Afrique des Grands Lacs et la France, entre la danse de "Chalouper" et la tendresse folk de "Kwibuka". Nourrie d'influences musicales plurielles, sa musique engagée ("Lundi méchant") laisse échapper les rythmiques irrésistibles du semba angolais ou de la rumba congolaise, ainsi que les mélodies pop  envoutantes ("Kerozen"), qu'élaborent avec lui ses fidèles complices, le musicien Guillaume Poncelet et le producteur Louxor

A plusieurs reprises, Gaël a choisi de s'entourer d'invités prestigieux, histoire d'offrir encore davantage de couleurs et de nuances à ses textes. S'y côtoient ainsi Harry Belafonte (apparaissant dans "JITL", une adaptation de son succès intemporel "Jump In The Line"et Jacob Banks (crooner nigérian installé à Birmingham), la diva franco-canadienne Mélissa Laveaux ou encore le chanteur et guitariste rwandais/congolais Samuel Kamanzi. Le timbre de voix du slameur, à la fois doux ("Histoire d'Amour", "Zanzibar") et rageur ("Lueurs"), capte l'auditoire et fait mouche à chaque mot, cherchant tour à tour à émouvoir, à interpeller - sur des thèmes sensibles et parfois autobiographiques ("C'est Cool""Respire") - ou à faire danser ("Boomer", )... 

A découvrir...!




vendredi 18 juin 2021

Jean-Marie Machado - Majakka (La Buissonne/Harmonia Mundi)

Jean-Marie Machado - Majakka (La Buissonne/Harmonia Mundi)

Né à Tanger et ayant passé son enfance au Maroc, Jean-Marie Machado s'est toujours efforcé d'associer son jazz (auquel il s'initie très tôt en autodidacte) à d'autres cultures, d'autres esthétiques et d'autres langages, le faisant sans cesse dialoguer avec les folklores latins, la musique improvisée et la tradition classique

Le pianiste, toujours en quête d'exploration, nous revient avec Majakka (le phare en finnois), un nouvel opus enregistré en Septembre 2020 au studio La Buissonne avec le percussionniste Keyvan Chemirani, le saxophoniste Jean-Charles Richard et le violoncelliste Vincent Segal. Le recueil rassemble 10 compositions lumineuses qui, pour la plupart, ont jalonné son parcours de musicien prolifique, ponctuant une œuvre plurielle et sophistiquée, ouverte sur le monde et cultivant les échanges. Ces titres, élaborés pour de précédents projets, partagent les mêmes couleurs et s'orientent inexorablement vers une même tendance, celle de croiser les notes bleues de l'artiste aux sonorités du bassin méditerranéen et du Brésil, ou encore de les enrichir de pulsations inspirées d'Orient

Parmi eux, figurent tout de même 3 morceaux inédits, spécialement écrits pour le quartet. Ils témoignent d'un changement dans la vie personnelle du compositeur, mais soulèvent également l'épineuse question de l'urgence climatique, dont les stigmates sont de plus en plus perceptibles. Imaginés dans un contexte de crise sanitaire pour le moins perturbé et perturbant, "Les Pierres Noires", "La Mer des Pluies" et "Outra Terra" invitent donc à la réflexion et à une prise de conscience.

«Les mélodies, les sons, les timbres, les rythmes, le nom évocateur des pièces... tout est riche et généreux sur Majakka. Poétique, ciselé, tantôt en rondeur délicate, tantôt en grande ferveur.»




mercredi 16 juin 2021

Tristan Mélia piano solo - Mistake Romance (Jazz Family/Socadisc)

 Tristan Mélia piano solo - Mistake Romance (Jazz Family/Socadisc)

Succédant à No Problem, disque paru en 2019 et enregistré en trio avec le batteur Cédrick Bec et le contrebassiste Thomas BramerieMistake Romance nous propose une immersion encore plus profonde dans l'univers musical du jeune pianiste Tristan Mélia. Agé d'à peine 24 ans, le jazzman ayant fait ses classes au Conservatoire des Alpes-de-Haute-Provence nous présente ce deuxième album en piano solo, un exercice périlleux qu'il a mené de front avec sa vision du monde positive et optimiste, ainsi que quelques idées éparses, ayant muries au gré de ses improvisations.

Alignant 12 morceaux, dont 6 compositions inédites et 6 reprises de standards du jazz, l'artiste exprime avec brio ses influences les plus notables (de Frédéric Chopin à Bill Evans ou de Thelonious Monk à Keith Jarrett en passant par Fats Waller), son goût particulier pour la mélodie ("The Essential") et sa sensibilité à fleur de peau. Ses ballades au romantisme exacerbé ("Smile", "The Nearness Of You""Piano des Souvenirs"), sa valse entêtante ("Mistake Romance") et son stride énergique ("Ready to Go"), ou bien son bebop inspiré ("Someday My Prince Will Come", "Soul Eyes") et sa berceuse pleine de tendresse ("Enfance"), font de Mistake Romance un recueil émouvant et envoutant, dégageant de belles vibrations.



lundi 14 juin 2021

Simon Denizart - Elli Miller Maboungou - Nomad (Laborie Jazz/Socadisc/Idol)

 Simon Denizart - Elli Miller Maboungou - Nomad (Laborie Jazz/Socadisc/Idol)

Simon Denizart dut traverser de difficiles épreuves et parcourir de nombreux territoires (le Texas, la Californie, le Canada, la France et le Maroc) pour enfin donner vie à Nomad, un nouvel opus que le pianiste originaire de Créteil et installé à Montréal publiait le 23 Avril dernier sur Laborie Jazz

Façonné en duo avec la solide et précieuse complicité du percussionniste canadien Elli Miller Maboungou, le disque - d'une rare intensité - célèbre une rencontre insolite entre deux instruments historiquement, géographiquement et culturellement éloignés l'un de l'autre: le piano et la calebasse. Il est également chargé en émotions et riche de souvenirs accumulés pendant une période de 14 mois, au cours de laquelle le compositeur a pu gouter aux saveurs d'une vie nomade, nourrie de voyages et de rencontres.

Affichant des sonorités captivantes empreintes de jazz, de pop, de hip-hop, de musique classique, de world et d'électro, Nomad alterne les ambiances épiques aux arrangements hypnotiques ("Oldfield 2.0") et les moments aériens aux orchestrations plus intimistes ("Zoha"). A l'image des sublimes et énergiques "Last Night In Houston", "Lost In Chegaga" et "Square Viger"groove et poésie se marient à merveille, il déploie une vaste palette sonore pleine de surprises et de réminiscences musicales. Orient et Occident, Nord et Sud s'enlacent et se complètent en totale harmonie, invitant à la réflexion ("Nomad"), à la divagation ("Manon") et même à la danse...

Un petit clin d'œil m'a particulièrement interpellé à l'écoute de "Manon". En effet, peu après sa troisième minute, il m'a semblé reconnaitre l'air d'un titre - à priori - aux antipodes du jazz de Simon, une ritournelle extraite du morceau de Bouga composé en 2000 par Akhenaton, "Belsunce Breakdown", chanson faisant partie de la B.O. du film Comme Un Aimant...



vendredi 11 juin 2021

Thierry Peala & Verioca Lherm - A Tania Maria Journey (Edyson Production/Inoui Distribution)

Thierry Peala & Verioca Lherm - A Tania Maria Journey (Edyson Production/Inoui Distribution)

Débordant d'authenticité et de virtuosité dans son interprétation d'un répertoire incontournable de la musique brésilienne, l'exceptionnel duo français mené par Verioca Lherm et Thierry Peala, nous présente son premier opus baptisé A Tania Maria Journey. Célébrant les 20 ans de leur rencontre à l'occasion, justement, d'un concert que la diva nordestine donnait à l'Olympia en Février 2001, le tandem a choisi 13 compositions parmi les plus emblématiques du catalogue de la pianiste, les arrangeant avec brio pour deux voix, une guitare et de discrètes percussions... Un dépouillement acoustique touchant, chargé de vibrations latines accrocheuses et pleines de chaleur.

Accompagnés sur 6 morceaux par l'excellent percussionniste paoliste Edmundo Carneiro, Verioca et Thierry sont parvenus à nous restituer tout le génie de Tania Maria, après s'être imprégnés de son énergie communicative et de sa poésie tropicale ponctuée de notes bleues.

Mariant subtilement depuis le début des années 70 le jazz, la pop et le blues au choro, à la bossa et à la samba, Tania a largement su s'imposer dans le paysage de la MPB (musica popular brasileira) marquant notamment les esprit avec une technique de scat éblouissante et une manière singulière de siffler sur ses mélodies délicieusement chaloupées. 

Il fallait donc bien des musiciens hors paire pour rendre hommage comme il se doit à une grande dame de la chanson. Il fallait également un talent certain pour transposer sa musique "pianistique" à la guitare (le jeu de cordes de Verioca rappelle souvent celui de Joao Bosco) et s'exprimer avec autant d'aisance et de naturel en portugais comme en anglais...

Belle découverte!





mercredi 9 juin 2021

Mauro Gargano - Feed (Diggin Music/Absilone Socadisc)

 Mauro Gargano - Feed (Diggin Music/Absilone Socadisc)

Après Nuages paru l'an dernier, le contrebassiste italien Mauro Gargano nous revient avec Feed, un projet mené en trio avec le pianiste Alessandro Sgobbio et le batteur Christophe Marguet.

Composés entre Avril et Septembre 2020,  les 8 titres de l'album reflètent une volonté de renouvellement qu'a ressenti l'artiste pendant cette triste période, marquée par une "socialité plus que limitée". Fasciné par la combinaison piano, contrebasse et batterie des immenses Bill Evans, Oscar Peterson, Keith Jarrett, Brad Meldhau ou encore Enrico Pieranunzi, Mauro se l'est appropriée tout en souhaitant s'écarter des sentiers battus; un peu comme l'ont fait The Bad Plus, The Necks, Vijay Iyer et Pat Metheny...

En effet, voulant souligner l'actualité sociale brulante ("Ilva's Dilemma") - où une véritable crise psychologique due, entre autre, aux confinements successifs pointe le bout de son nez ("Full Brain", "Keep Distance") - le jazzman a étendu son propos musical en l'ouvrant à d'autres influences. La musique classique moderne (de Sergueï Prokofiev) et le rock progressif ("Look Beyond The Window") flirtent ainsi avec les folklores de sa région natale du sud de l'Italie, le free d'Ornette Coleman ("Lost Wishes"), les improvisations savantes ("The Secret Garden") et les métriques impaires ("Full Brain").

Un disque d'une grande richesse, qui se dévoile un peu plus à chaque écoute...