Sarah
Murcia – Never Mind The Future (Ayler Records/Orkhestrâ)
Lorsque le jazz se
penche sur l’album précurseur de la déferlante punk-rock, cela donne un disque forcément abrasif et expérimental, aux
accents free-jazz, rock, cabaret et no wave. Le sulfureux Never
Mind The Bollocks, Here’s The Sex Pistols, demeurant l’unique enregistrement
studio des anglais Sex Pistols, est décortiqué
et réinterprété par la contrebassiste Sarah
Murcia entourée de Caroline. Fondée
en 2001 avec le batteur Franck Vaillant,
le saxophoniste Olivier Py et le
guitariste Gilles Coronado, la
formation invite le crooner/performeur Mark
Tompkins (acteur, danseur, compositeur, chorégraphe et metteur en scène
américain) et le pianiste parisien Benoît
Belbecq. Baptisé Never Mind The
Future, le cover reprend le ton provocateur, engagé et dissonant du
projet original à la différence que le sextet joue, chante et improvise sans approximation
et avec métier. Forcément plus raffinée, profonde et élégante, cette vision du
classique antisocial et nihiliste de 1977 ne perd cependant rien en efficacité
et en fraîcheur.
Grand Pianoramax – Soundwave (Mental Groove Records/La
Baleine)
Je découvrais le projet Grand
Pianoramax lors de la sortie de son précédent Till There's Nothing Left chez Obliqsound, le trio mené par le
claviériste genevois Léo Tardin
publiait alors son 4° opus post-jazz fusionnant
les sonorités trip-hop, art-rock et
hip-hop. Dans ce nouvel effort plus lumineux et décontracté, baptisé Soundwave, le virtuose des claviers
(Fender Rhodes, synthés analogiques) a voulu restituer le groove, l'énergie et la fraîcheur du live, semant ici
et là quelques séduisants reflets 70's hérités
des expérimentations jazz/funk d'Herbie Hancock ou de George Duke. Produit
par le puissant batteur Dom Burkhalter
et enregistré dans son studio zurichois, l'album se joue des codes et affiche dorénavant
un lyrisme moins sombre, moins lisse et plus accessible… Une nouvelle approche un
brin pop en somme, assurément plus « moelleuse
et dansante » ! "No Doubt"
résume assez bien cette nouvelle direction entreprise par le groupe avec son côté disco monté sur une rythmique inhabituelle
à 7 temps. Le spoken-word de
l'américain Black Craker se calle à
merveille sur ces instrus sophistiquées hybrides, imposant son flow unique et vénéneux au sein de ce Cerbère suisseconçu voilà plus de 10 ans.
Chlorine Free – Flexible EP (Dunose Productions/L'Autre
Distribution)
Ce qui frappe dès l'ouverture de Flexible, dernier EP du collectif français Chlorine Free, ce sont les lignes de basse, aussi bien celle
délivrée par le synthétiser que celle de la guitare basse, ponctuées de ces
slaps marcusiens que le leader Virgile
Lorach use avec virtuosité.
Le groove contagieux
de "Tuesday", emmené par le
clavinet de David Monet manié façon Stevie Wonder dans Superstition, se renforce par la batterie funky racée et minimaliste de Michael Escande tout droit sortie de chez Motown, jusqu'à ce que le trombone de Benoît Giffard et le chant soul de Jalley nous fassent prendre de la hauteur pour nous jeter dans le
vide moins de 20 mn plus tard, à la clôture du 5° titre "Bass Beam", une fusion
électro/funk/jazz barrée, digne des expérimentations warpiennes de Squarepusher.
"Around
Sixteenth", le second track nous en donne un avant goût avec son beat futuriste et synthétique sur
lequel le Rhodes de Romain Clerc-Renaud
et la flute traversière de Yann
"Crazy" Flute (qui me rappelle un peu l'immense Magic Malik) se baladent en roulant les
mécaniques, à la recherche du Miles
Davis des dernières heures, celui de Tutu
par exemple, composé et arrangé par Marcus
Miller.
Dans "Juggling",
Chlorine Free renoue avec le hip-hop hybride qu'il nous offrait en
2014 dans Le Fish avec Raashan Ahmad,
Soweto Kinch et Nya à la voix. C'est
d'ailleurs ce dernier qui intervient ici, inondant le morceau un brin jazzy de sa voix chaude, douce
et posée comme l'aurait fait un Q Tip
entouré de sa tribu.
Définitivement électronique,
"Flexible 215" illustre un aspect
plus sombre et expérimental de
l'identité musicale de cap'tain Chlorine
alias V. Lorach, en écoutant son breakbeat torturé on pourrait assez
bien l'imaginer devant ses machines, comme possédé par l'esprit d'Aphex Twin…
L'EP est disponible uniquement
en version physique au format vinyle, une audace revendiquée et assumée !
En Mars prochain paraîtra chez Soul Heaven la compilation annuelle intitulée The Sound Of Soul Heaven Miami. Voilà plus de 15 ans que le label
distille ses pépites house teintées de
soul, de disco, de funk et de jazz orchestrées par la crème des producteurs
internationaux tels que Frankie Knuckles, Jazzy Jeff, Osunlade, Kerry Chandler
ou bien Ron Carroll, Terry Hunter et bien sûr l’un des piliers de la scène house vocale, Louie Vega (moitié du
mythique duo MAW avec Kenny Dope).
The Sound Of Soul
Heaven Miami 2016 rassemble 40 bombes prêtes à iradier de leurs ondes soulful les dancefloors
sensibles aux ambiances brulantes d’une deep-house
au groove enivrant et aux nappes de claviers sensuelles et sucrées.
On y retrouve
entre autres les classiques du genre comme "Envision (Yoruba Soul Mix)"
de Osunlade, "Don’t Stop"
de Soul Vision ou encore "Given
Me Joy" de Marc Evans, ainsi
que les nouveautés comme "Too Much Information" remixé par Laolu de Dele Sosimi Afrobeat Orchestra, "Afrodisiac" de Grey Area et l'énorme Take It Easy de Gershon
Jackson retaillé par Eli Escobar…
Defected In
The House Miami 2016 (Defected Records)
Comme à chaque fois depuis une dizaine d’années, le label
anglais Defected Recordspublie sa
compilation Defected In The House Miami,
délivrant une série de titres électroniques
qui donneront le ton et marqueront le pas sur les dancefloors estivaux férus de
sonorités undergrounds. L’édition
2016, à paraître fin Février, promet de nous abreuver comme à l’accoutumé de ce
qui se fait de mieux en matière de house
music, qu’elle affiche autant des tendances
deep ou soulful que tech ou tribal. Y seront représentés les plus talentueux DJs/producteurs
actuels, dont Riva Starr, Sonny Fodera, Tim Deluxe, Pino Arduini& Javier Bollag, Man Without AClue,Worthy ou encore le
nouveau venu Grey Area.
Defected In The House
Miami 2016 sera disponible en version cd dans un triple album mixé ou bien
en téléchargement avec 45 morceaux en version maxi… De l’or en barre !
Se sentant ni véritablement français ni complètement grec,
le pianiste Stéphane Tsapis a trouvé
les mots justes en s’interrogeant sur les limites de son identité musicale :
« Et si mon pays était entre les deux ? Et si je vivais dans cet
ailleurs qui n’existe que dans ma tête… ? »
En écoutant son dernier projet intitulé Border Lines, on prend toute la mesure de cette quête légitime.
Accompagné de ses fidèles acolytes le contrebassiste Marc Buronfosse et le batteur Arnaud
Biscay, ce professeur de création musicale pour l’image au Conservatoire de
Paris, explore, dénoue et relie avec fluidité et tendresse des mélodies traditionnelles de la Grèce d’hier
et d’aujourd’hui au jazz et son
potentiel fédérateur. Entre standards
revisités et titres originaux,
sur lesquels veille le directeur artistique Arthur Simonini, le trio déploie une palette sonore délicate brouillant
les pistes et les codes, effaçant les frontières et harmonisant les
tempéraments.
Comme il est agréable et stimulant de découvrir de nouveaux
talents, des artistes inconnus jusqu’au moment où leur univers musical
singulier se dévoile au cours d’une première écoute… Le guitariste d’origine grecque
David Voulga produit à 41 ans son tout
premier opus baptisé Inner Child. Il
nous offre 10 compositions radieuses
nous invitant à voyager au gré de ses sonorités
afro-cubaines ("So Yellow"
ou "Mongo Clave"), sénégalaises ("Bee Love" et "Saint-Louis,
Sénégal"), brésiliennes ("Elis") et gréco-turques ("Kourabiedes", "Albassia")
dans un jazz coloré, gorgé de tendresse et de chaleuroù le groove s'exhibe allègrement ("Abeba") gonflant parfois même
le torse comme dans le très funky"The 27th".
Le quintet que David
a monté pour l'occasion - et avec qui il
a répété dans une yourte mongole en pleine nature - est constitué du
pianiste Christophe Cravero, du
bassiste Kevin Reveyrand, du batteur
Frédéric Huriez et du
percussionniste Gilbert Anastase, on
remarquera entre autres quelques invités notables comme Didier Ithursary à l'accordion et Frédéric Couderc au sax et flutes... Tous y occupent une place
déterminante, provenant d’horizons bien distincts, ils créent une alchimie parfaite entre « structure
et organicité, composition très étudiée et improvisation libérée ».