L'Etrangleuse - Memories To Come (MSMV/L'Autre Distribution)
A n'en pas douter, l'oreille experte du multi-instrumentiste
anglais John Parish, producteur entre
autres de PJ Harvey, Tracy Chapman ou encore Arno et Dominique A, n'est pas
étrangère à la magie que dégage le second opus de ce surprenant duo lyonnais
nommé L'Etrangleuse (nom trouvé à la
hâte avant le premier concert). Maël
Solètes, guitariste du groupe L'Orchestre
Tout Puissant Marcel Duchamp et Mélanie
Virot, harpiste classique, nous convient dans leur univers musical
singulier traversé de sonorités folks,
rock, afro et électroniques. Dans ce subtil Memories To Come, les riffs d'une guitare convertie à la culture mandingue et les arpèges d'une harpe qui se prend parfois pour une
kora malienne nous plongent dans une vision envoutante de la musique
africaine séculaire (Doesn't Matter,
Drifting Around). L'Etrangleuse nous surprend même a faire sonner ses cordes à l'heure abyssinienne avec sa paisible ouverture Do I et ses reflets éthio jazz. Cependant les ambiances
post-rock et psychédéliques de son premier album réapparaissent dans des
titres comme Noise/Silence ou Who We Are. Si ED nous happe dans sa spirale trip-hop (notamment mise en forme par une section rythmique entièrement réglée et jouée par l'homme orchestre John Parish lui-même), L'Un Languit et Then I Try avec leurs chants fragiles et lancinants nous font prendre de la
hauteur, poussés par leurs cordes enivrantes et atmosphériques. En clôture de ce disque acoustico-électrique séduisant, le sensible Caged Bird, interprété par le chanteur G.W. Sòk, déroule son délicat duvet japonais et nous offre une ballade zen troublante et vibrante.
Le duo de producteurs américains Mood II Swing est une référence incontournable de la scène électronique des années 90 et 00. Après un début douteux, Lem Springsteen et John Ciafone s'orientent vers les sonorités house, deep house et UK garage. Rapidement remarqués pour leurs productions originales sophistiquées et soulful (à l'instar des énormes tubes et désormais classiques Searchin' et Critical), ils remixent les artistes pop emblématiques de l'époque, s'attaquant aussi bien aux accents R&B jouissifs de Lucy Pearl (Don't Mess With My Man), qu'aux reflets gospel/soul des divas Ultra Naté (Free) et Stéphanie Cooke (Holding On To Your Love) ainsi qu'à l'univers pop/folk d'Everything But The Girl (Wrong). Aujourd'hui disparus des écrans radar, l'exigent label new yorkais Strictly Rhythm (jumeau de l'anglais Defected Records) offre aux deux pionniers une rétrospective luxueuse et exhaustive de 33 titres. On y retrouve alors la puissance de leurs rythmiques marquées et entrainantes, martelant un dancefloor captivé par leurs BD massives (accompagnées d'une suite de charleston, snares et claps hypnotiques) et leurs lignes de basse au groove disco assassin.
Med/Blu/Madlib - Bad Neighbor (Fat Beats/Differ-Ant)
L'immense producteur Otis
Jackson Jr alias Madlib (alias Quasimoto, alias Yesterdays New quintet, alias The
Beat Konducta, alias Dj Rels), pierre
angulaire du label californien Stone
ThrowRecords nous propose son
dernier opus intitulé Bad Neighbor,
qu'il a réalisé en collaboration avec les figures emblématiques du hip-hop West Coast alternatif, le MC MED (anciennement Medaphoar) et le rappeur Blu.
Avant même de parler contenu, citons les noms de quelques invités : aux côtés de la légende anglaise du rap hardcore MF Doom ou du pâpe du G-funk le bien nommé Dam-Funk, trônent l'excellent Oh No (frangin de Madlib), l'imposant Phonte
(membre de Little Brother et Foreign Exchange), le crooner soul Meyer Hawthorne ou encore le chanteur
R&B Aloe Blacc.
Pas de doute possible, à l'écoute des instrus lo-fi désarticulées et chaotiques (comme dans Birds, Streets ou Serving), on devine d'emblée
la patte du maître des samplers, claviers et autres MPCs. Madlib impose une fois de plus sa touche de producteur si singulière, mais semble
vouloir se rendre plus digeste pour les néophytes entrant dans son esthétique
sonore organique, brinquebalante et crasseuse où le glitch est un motif prédominant.
En effet avec le premier single, Knock Knock, il nous immerge d'entrée dans une vague funky des plus moites et accrocheuses, empruntée au I'll Be With You de Bernie Worrell (Parliament, Funkadelic), où la diction de MF Doom semble ressusciter le flow sensuel et posé de Notorius BIG. Ce Penchant pour les sonorités raw funk se remarque aussi dans les reflets soul 70's de The Buzz , les accents jazzy (délivrés par la divine Jimetta Rose) de Burgundi Whip ou bien avec les clins d'œil au gangsta rap des années 2000 de Drive In et du délicat Finer Things (où intervient Likewise). Ces tracks participent, avec leurs samples catchy triés sur le volet et leurs loops au groove contagieux, à rendre ce Bad Neighbor séduisant et redoutablement efficace.
Les addictifs The Stroll (avec AMG au mic) et Peroxide comptent aussi parmi les réussites de l'opus avec leurs beats bien lourds et leurs mélodies accrocheuses, il se pourrait bien qu'ils soient les deux bombes de la galette.
Madlib nous entraîne dans ses vestiges soniques de la blaxploitation, accompagné de Blu, Med et leurs invités de marque, il réconcilie le hip-hop underground et son vieux frère old school.
Abd Al Malik est l'artiste de tous les paradoxes.
Accumulant depuis plusieurs années un palmarès de récompenses assez
impressionnant, le poète est "lyricalement un stremon" aussi
bien capable de citer dans la même phrase Balavoine, Opération Dragon,
AmyWinehouse et Albert Camus que d'écrire et réaliser son
propre film, ou bien d'admirer Brel, Darc, Téléphone et Radiohead
tout en rêvant en secret de bosser en studio avec Quincy Jones et
l'équipe de Thriller du King Of Pop Michael Jackson.
Originaire de Strasbourg, le rappeur éclectique fan de Malcolm
X, Gil Scott Heron et The Last Poets dépoussière et rafraîchit l'image d'un hip-hop français souvent
sclérosé et décérébré, en y injectant avec son slam fracassant des textes
sophistiqués, parfois engagés et toujours raffinés.
Le premier effort solo nommé Le Face à Face des Coeurs,
sort en mars 2004, il est alors considéré comme un élan d'amour face la
haine...
Gibraltar, second opus, paru en 2006 assoit
véritablement l'artiste dans le paysage musical hexagonale, son rap
riche et son "flow de dingue" le projettent même en tête
des charts notamment grâce au titre éponyme. Il marque aussi la rencontre d'Abd
Al Malik avec le compositeur et pianiste de Jacques Brel, Gérard
Jouannest, et de son épouse Juliette Greco, icône de la chanson
française (qui croisa la route de Gainsbourg, Miles Davis ou Brassens)
devenue complice de l'héritier des pionniers du rap US "old
school" Big Daddy Kane et Rakim.
Après l'écriture et la réalisation de son premier long
métrage autobiographique intitulé Qu'Allah Bénisse la France (diffusé
en salle en 2014), au cours duquel il fait la connaissance du producteur/DJ
français Laurent Garnier,il publie son cinquième
album baptisé Scarifications... 5 ans qu'il se faisait attendre,
depuis Château Rouge en 2010 enregistré avec Chilly Gonzales...
Et forcément il devait être à la hauteur!
La complicité liant le pâpe de la techno françaiseau rappeur est
d'emblée frappante, avec Bilal (frère et partenaire de studio
du slameur philosophe), ils forment un combo incisif et redoutable. Les
ambiances de Scarifications sont parfois sombres et pesantes voire
inquiétantes, l'artiste y fait son introspection et nous raconte son adolescence
de dealer et de voleur à la tir, marquée au fer rouge par la violence de
son quartier de Neuhof et la mort de ses amis victimes
d'overdose. Ce disque très personnel est la confidence urgente, rageuse et
fascinante d'un homme conscient de ses failles; mais renforcé par ses
erreurs il se dresse fièrement dans "ce monde qui est une
tombe". Le slam d'Abd Al Malik y laisse sa peau au profit d'un rap
underground pressant et tranchant.
Les pulsations digitales de Garnier plongent l'auditeur dans
l'obscurité, ses nappes de synthés et de drone glaçants et ses
rythmiquesdubstep l'enveloppent mais ne l'étreignent pas.
Ces instrus fracturées sont aux antipodes des productions électro
pop mainstream positives et superficielles, les beats y sont lourds et
assommants autant que les mots qui écorchent et atteignent leur
cible en pleine tête. Les quartiers chauds de Strasbourg battent aux rythmes de la techno de Détroit, un accord osé qui fonctionne mais qui intrigue!
Paroles et Musiques : Abd Al Malik – Bilal – Laurent Garnier
PAROLES :
C’est soit le deal soit c’est l’usine Grandir dans un monde ou l’altérité est assassine Diplômé de la rue une autre vie estudiantine La même couleur mais pas le destin de Lamartine Si on s’arrête un instant que nous enseigne-t-on On s’en sort si on le veut vraiment J’ai poussé ma réflexion le soleil était absent Je me suis fait pluie en attendant Mais tout prend l’eau trop de mecs nous bassinnent C’est comme dans Matrix le règne des machines Du rap ne subsiste que le bacchique La mort de Pavlos Fyssas est-elle un hic Mais rien n’est illogique de la crise naissent tous les fascismes Classique l’Histoire ne se répète pas mais rime Abîme toujours les mêmes drôles de mise en abîme Effets miroirs toutes les vies comestibles Ghettos Ter Ter et guerres intestines Je suis né dans le pays de la guillotine Muslim et Noir de peau qu’est-ce qui me détermine Qu’est-ce qui se joue dans ma poitrine Mon cœur cesse de battre parfois c’est la routine Est-ce donc ça qui discrimine Je n’entérine aucune nouvelle doctrine Ne suis-je pas un enfant de la république Hun Hun de la République Lyricalement j’suis un stremon J’suis un stremon…
Michael
Felberbaum – Lego (Fresh Sound New Talent/Socadisc)
Le guitariste italo-américain Michael Felberbaum nous présente son cinquième opusjazz baptisé Lego. Entouré du pianiste Pierre
de Bethmann, du bassiste Simon
Tailleu et du batteur Karl Jannuska,
il nous invite à pénétrer son puzzle sonore
sophistiqué qui, pièces après pièces, dévoile une identité musicale complexe
au lyrisme économe mais hypnotique voire
psychédélique. S'il fallait décrire son jeu, il faudrait alors le
confronter à celui des deux maîtres de la guitare jazz moderne, Jim Hall d'un côté et John Scofield de l'autre. Deux techniques
aux sonorités opposées, l'une est sensuelle, délicate et fluide, l'autre plus
rugueuse et bluesy. Malgré cette dualité et une élaboration savante de ses 9 compositions faites de motifs rythmiques et
mélodiques qui s'entrelacent et se superposent, Michael a su insuffler des nuances rassurantes et captivantes de groove (Variations), de bossa nova
(Now), de blues et de rock (Mint) voire
même quelques reflets andalous, dans
sa ballade poignante Nostalgia.
Magnifique célébration d'un pianiste surdoué que ce tendre Remember Petrucciani. Philippe, guitariste et compositeur
tombé tout jeune dans la marmite du jazz
avec ses frangins Michel et Louis (contrebassiste), revisite le
répertoire de son frère disparu à New York voilà plus de 15 ans, accompagné de
la chanteuse Nathalie Blanc, une
habituée de la famille. Cette dernière a écrit des paroles pour 12 titres
initialement instrumentaux, qu'elle interprète avec élégance et maîtrise sur les arrangements
soignés et soyeux du guitariste au swing
subtile des plus classieux. L'album nous invite à redécouvrir des thèmes
emblématiques du pianiste de génie parés d'une voix envoutante, de textes
personnels et d'orchestrations intimistes. Renforcés par une excellente section
de cuivres (Bosso, Cantini et Castellani), les fidèles acolytes Dominique Di Piazza à la basse (remplacé à la contrebasse par Michel Zenino) et Manhu Roche à la batterie sont eux aussi embarqués dans l'aventure menée
humblement par un Philippe Petrucciani
fin mélodiste et rythmicien aguerri.
Juste un petit tour du côté des dernières actualités musicales abordées dans mon blog Les Chroniques de Hiko... Olivier Bogé, Claptone, Thierry Maillard, Anne Carleton, Fred Pallem & Le Sare du Tympan, Madlib, Oxmo Puccino, Jonathan Orland & Nicola Cruz.