lundi 17 novembre 2014

Master Mix : Red Hot + Arthur Russell (Yep Roc/Differ-ant)

Master Mix : Red Hot + Arthur Russell (Yep Roc/Differ-ant)

Qui était Arthur Russell ?
Assez peu connu de son vivant, le très prolifique compositeur, violoncelliste et chanteur américain qui nous quittait prématurément en 1992 des suites du sida, laisse derrière lui une œuvre musicale expérimentale, notable pour sa variété, sa modernité déviante et sa sensibilité.

Ayant tissé des liens subtiles entre, d’un côté la pop, le disco et la dance music puis le rock new-yorkais, les chants indiens, les percussions vaudous, la poésie contemporaine et la musique minimaliste de l’autre, l’artiste obscur et complexe a toujours su, comme l’a écrit The New Yorker, « relier des contrés à la fois réelles et imaginaires, le rue et les champs, le doux New-York de la bohème et la folie du Studio 54, la pop joyeuse et les possibilités de libération de l’art abstrait. ». « Chez Russell, disco signifiait avant tout dislocation, contorsion, répétition extatique qui conduit au même genre de sensations organiques vertigineuses que chez Fela », écrivait Christophe Conte dans les Inrocks en 2004 lors de la sortie de la compilation The World If Arthur Russell.

Ses diverses collaborations forcent le respect, du poète Allen Ginsberg au Dj Nicky Siano, en passant par Philip Glass et David Byrne, le musicien a mis d’accord toutes les tendances musicales avant-gardistes et a autant stimulé les habitués du dancefloor que les amateurs de musiques underground cérébrales.

C’est au tour de l’organisation Red Hot (luttant contre le sida grâce à la promotion de la culture pop) et du label indépendant Yep Roc Records de publier un nouvel hommage à Arthur Russell. Master Mix : Red Hot + Arthur Russell rassemble 26 covers interprétés par un casting exceptionnel de plus d’une vingtaine d’artistes parmi lesquels on compte Hot Chip, Sufjan Stevens, Devendra Banhart, José Gonzalez ou encore les Scissor Sisters !

Les rythmes disco entrainants et retro-jouissifs (de Tell You par Robyn et de Is It All Over My Face & Tower Of Meaning  par Blood Orange) et l’énergie pop rock (de Planted A Thought par Oh Mercy) alternent avec les ambiances folk méditatives et intimistes (de Glen Hansard dans I Couldn't Say It To Your Face ou de Sam Amidon dans le sublime Lucky Cloud et les textures électroniques hypnotiques de The Revival Hour dans Hiding Your Present From You).

Voici un recueil de qualité présentant l’œuvre d’Arthur Russell sous un jour peut-être plus accessible, une fort belle opportunité de découvrir ou redécouvrir les sonorités aventureuse et clairvoyantes d’un des parrains de la pop actuelle.
 
 
 
 
 


samedi 15 novembre 2014

Lo-Fang - You're The One That I Want





Forcément la comparaison de Lo Fang avec Jeff Buckley sur cette sublime reprise You're The One That I Want peut paraître grossière, et pourtant...

Comment ne pas tomber sous le charme de ces accents folk délicieusement romantiques ou de cette voix angevine, délicate et fragile, sensuelle et lancinante, qui ne cesse de faire écho à l'Hallelujah de la défunte rock star des années 90, un génie bêtement disparu par noyade le 29 Mai 1997?

Comment ne pas penser au chanteur islandais Asgeir et son prodigieux In The Silence, opus en suspension pris dans la glace de Laugarbakki?

Matthew Hemerlein alias Lo-Fang, chanteur et multi-instrumentiste comme l'était Jeff, interprète avec une douceur troublante le succès interplanétaire de John Farrar (guitariste des Shadows) You're The One That I Want. Paru en 1978, il fait partie de la bande originale du film culte Grease et était à l'époque interprété par John Travolta et Olivia Newton-John en personne.

Le jeune américain, qui enseigna la musique à des enfants sur Baltimore, publiait le 25 Février 2014 son premier projet electro-pop baptisé Blue Film, en Octobre dernier il était choisi par le producteur de film australien Baz Luhrmann pour participer au nouveau clip publicitaire de Chanel N°5, dont le rôle principale est tenu par l'actrice brésilienne Gisele Bündchen.

Lo-Fang est inspiré par le cinéma et notamment par Le Grand Bleu de Luc Besson. Il joue tous les instruments présents sur le disque, guitare, violon, violoncelle, claviers... L'artiste y distille, avec une mélancolie contagieuse, des arrangements riches et aériens (ou aquatiques!) influencés par ces périples autour du monde, du Cambodge jusqu'en Islande en passant par Nashville et Londres.

Le producteur et compositeur basé à Los Angeles est enrôlé par Lorde dans sa tournée US, il s'apprête ainsi à franchir une étape supplémentaire dans sa carrière, lui qui à 5 ans entamait une formation musicale classique avant de se passionner pour le jazz puis de voguer vers d'autres horizons. Préoccupé par l'arrangement des cordes, qui plantent l'atmosphère primordiale de son travail et qu'il exprime par la particule Lo de son nom d'artiste, Matthew symbolise l'aspect électronique de ses productions par Fang, deux entités maintenues en équilibre et servant d'écrin à des histoires subtiles, parfois autobiographiques ou parfois inspirées de ses observations.

Belle découverte!

Et pour le plaisir...: Jeff Buckley et Asgeir

 

vendredi 7 novembre 2014

Omara Portuondo - Magia Negra - The Beginning (World Village/Harmonia Mundi)

Omara Portuondo - Magia Negra - The Beginning (World Village/Harmonia Mundi)

La légende vivante de Cuba Omara Portuondo nous revient après 3 ans d'absence avec son magistral Magia Negra - The Beginning. Enregistré pour la première fois en 1958 pour le label Velvet, alors que la chanteuse faisait encore partie du groupe féminin Cuarteto de Aida, ce disque de jeunesse rendait hommage à la musique sud-américaine, avec ses thèmes populaires comme Besame Mucho (boléro composé en 1941 par la chanteuse mexicaine Consuelo Vélazquez) et au jazz américain, avec Magia Negra (originellement intitulé That Old Black Magic, écrit par Johnny Mercer et composé par Harold Arlen en 1942) et Caravana (reprenant le célèbre standard Caravan de la fin des années 30, écrit par Irving Mills sur une composition de Duke Ellington).

Au début des années 50, la jeune Omara créait d'ailleurs, avec son quatuor féminin formé de sa sœur Haydée et ses partenaires Elena Burke et Moraima Secada, un courant musical métis baptisé filin (ou feeling), inspiré bien sûr du son cubain (ou rumba) et autres boléros, mais aussi du swing grandiose et classieux des divas Ella Fitzgerald ou Sarah Vaughan.

Placée sous le feu des projecteurs en 1996 grâce au projet Buena Vista Social Club du guitariste Ry Cooder, Omara relance sa carrière et le grand publique (re)découvre alors une artiste majeure de la scène jazz de Cuba. N'oublions pas que l'immense Nat King Cole, le compositeur Jorge Drexler, le groupe Los Van Van et plus récemment les chanteurs brésiliens Maria Bethania et Chico Buarque, les bassistes Richard Bona et Avishai Cohen, le pianiste Chucho Valdes ou encore le percussionniste Trilok Gurtu [...] l'ont tous croisés au moins une fois en concert ou lors de séances d'enregistrements.

Malgré un grand nombre de scènes (Olympia de Paris, Carnegie Hall de New-York), d'albums solo et de collaborations prestigieuses étalées sur plus d'une trentaine d'années, elle se faisait de plus en plus rare, la politique de Fidel n'ayant pas facilité les choses.

À tout juste 84 ans, cette grande dame du jazz et de la culture caribéenne semble détenir le secret de la longévité. De retour en studio pour cette nouvelle mouture de Magia Negra - The Beginning, "la novia del filin" retrouve l'équipe avec laquelle elle avait gravé en 2011 Omara & Chucho. Rolando Luna est au piano, Gaston Joya à la contrebasse, Rodeny Barreto à la batterie, Andres Coayo aux percussions, Alexandre Abreu à la trompette et Juan Manuel Ceruto au saxophone ténor et à la flûte.

Omara a aussi sollicité plusieurs invités spéciaux. On note en effet et non des moindres, le compositeur et chanteur brésilien Yvan Lins qui intervient à ses côtés sur le touchant No Puedo Ser Feliz. El Micha, célèbre chanteur de reggaeton, associe quant à lui sa voix à celle du conteur Luis Carbonell (disparu en Mai dernier) sur le titre au groove urbain Oguere, se transformant presque en ballade hip-hop. Des voix féminines contribuent aussi à apporter une touche de modernité à l'album. Nous pouvons ainsi écouter la voix de sa petite-fille Rossio Jimenez sur une Noche Cubana langoureuse.

Pour sa tournée internationale, Omara s'entoure d'une pléiade de jeunes artistes tout aussi talentueux, comme les chanteuses cap-verdiennes Lura et Mayra Andrade ou bien la somptueuse section rythmique du pianiste cubain de génie Roberto Fonseca, rassemblant son trio composé de Joel Hierrezuelo aux percussions, Ramsés Rodríguez à la batterie et Yandy Martinez à la basse.

Autant dire qu'elle n'est pas encore prête à rendre son micro !

 

vendredi 31 octobre 2014

Misia – Delikatessen cafe Concierto (Verycords/Warner Music France)


Misia – Delikatessen cafe Concierto (Verycords/Warner Music France)

Diva anticonformiste du fado, la chanteuse portugaise Susana Maria Alfonso de Aguiar ou Misia, nous livre son dernier opus intitulé Delikatessen Cafe Concierto. La tracklist capte d’emblée notre attention avec des guests aussi prestigieuses que surprenantes, la rockstar Iggy Pop par exemple intervient avec une profondeur insoupçonnée dans une reprise touchante de La Chanson d’Hélène et la brésilienne Adriana Calcanhotto partage le sublime texte du délicat Que Sera. Boléros, tangos, chansons espagnoles, françaises et portugaises… Misia joue avec les mots, les styles et les époques, réinterprétant des thèmes qu’elle qualifie de « kitsch et cinématographiques », fonctionnant comme les plats « d’un repas magique et chaotique ».

Nicolas Hillali*****

 
 

jeudi 30 octobre 2014

Théophilus London – Vibes (Warner Bros. Records)


Théophilus London – Vibes (Warner Bros. Records)

Malgré tous ses dehors blingbling et son orgueil démesuré, le patron mégalo de G.O.O.D. Music Kanye West a vu juste en s’intéressant au nouveau projet du jeune prodige originaire de Trinidad, Théophilus London. En effet le rappeur newyorkais publie Vibes, un disque aux influences multiples, allant de la soul anglaise façon Omar dans le sublime Water Me, à la synthpop de Neu Law, en passant par le hip-hop alternatif de Can’t Stop, le new jack swing façon Boyz II Men de Figure It Out, l’électro french touch de Tribes et la pop’n’B expérimentale façon Prince de Heartbreaker ou Need Somebody.

L’artiste affirme avoir passé deux années à réaliser ce second disque, un long chemin parsemé de tâtonnements et de questionnements, mais récompensé au final par un son classieux plus abouti et prometteur.

Théophilus a réuni autour de lui des invités intéressants puisque la légende de la Motown Léon Ware y côtoie des signatures de Ninja Tune Jessie Boykins III et de Bromance Le Club Cheval et Brodinski, le producteur exécutif K.W. en personne, la chanteuse française Soko, ou encore Devonte Hynes de Lightspeed Champion ! On note aussi la participation du couturier Karl Lagerfeld pour la direction artistique… Rien que ça !

Vibes est une réussite difficilement définissable tant son instigateur a les idées larges. Les conseils de Kanye l’ont aiguillé vers un flow plus mélodique, des sonorités plus fashion et pop, mais surtout vers un art de l’entertainment plus averti ! Espérons juste pour le futur, que Theophilus n’ait pas définitivement vendu son âme au diable.
 

mercredi 29 octobre 2014

Djessou Mory Kanté – River Strings – Maninka Guitar (Sterns Music/Harmonia Mundi)


Djessou Mory Kanté – River Strings – Maninka Guitar (Sterns Music/Harmonia Mundi)

16 années et un tas de tournées et de collaborations se sont écoulés depuis la parution du premier opus du guitariste guinéen Djessou Mory Kanté. L’artiste est issu d’une longue lignée de griots au même titre que les célèbres familles Diabaté ou Kouyaté. Intitulé Guitare Sèche, on pouvait y écouter le musicien virtuose interpréter quelques grands classiques du répertoire mandingue. Avec River Strings – Maninka Guitar, le petit frère de l’illustre Kanté Manfila (RIP) poursuit sa célébration de la tradition musicale de l’Afrique de l’Ouest en nous offrant 13 titres instrumentaux enjoués et envoutants parmi lesquels on retrouve Coucou et Laban, composés par les chantres de la culture mandingue, feu son grand frère et l’illustre Salif Keita. C’est chez ce dernier d’ailleurs, au studio Moffou à Bamako, qu’il enregistra ce disque.

lundi 27 octobre 2014

Ben Sidran – Blue Camus (Bonsai Music/Harmonia Mundi)


Ben Sidran – Blue Camus (Bonsai Music/Harmonia Mundi)

Le jazzman américain Ben Sidran, diplômé en littérature anglaise et docteur en musicologie, nous livre son nouvel opus intitulé Blue Camus. Faisant suite à plus d’une trentaine de disques parus depuis 1970 en tant que sideman ou leader, le pianiste, professeur, journaliste et animateur télé/radio s’attèle à nous présenter un projet inspiré du roman L’Etranger de l’écrivain français Albert Camus (Blue Camus), de la fable La Ferme des Animaux de l’anglais George Orwell (‘A’ Is For Alligator) et du recueil de poèmes Poète à New-York de l’espagnol Frederico Garcia Lorca (The King Of Harlem). Le choix de ses 3 œuvres majeures de la littérature engagée datant du début des années 40 (Ben naquit un 14 aout 1943) indique sans équivoque les prises de positions du personnage qui reprenait en 2009 les textes de Bob Dylan dans Dylan Different ou qui expliquait en 2012 dans son livre There Was A Fire : Jews, Music and the American Dream, l’influence juive dans la musique américaine !

Lui qui a collaboré avec les plus grands noms du jazz et du rock américain, des Rolling Stones à Wynton Marsalis en passant par Steve Miller (Ben est d’ailleurs l’auteur d’un de ses tubes Space Cowboy), Eric Clapton, Gill Evans, Bobby Mc Ferrin ou encore Herbie Hancock, enregistre avec Blue Camus un disque aux tonalités jazz/blues, influencé par le pianiste/chanteur Mose Allison connu pour sa fusion entre la musique aux trois accords et le be-bop.

Notre érudit, loin de vouloir faire une musique intellectuelle et inaccessible, trouve donc sa voix et sa voie « en racontant des histoires sur de la musique qui groove ». En effet le gentleman charmeur entouré pour l’occasion de son fils Léo à la batterie et des frères Peterson, Ricky à l’orgue hammond et Billy à la basse, parle, chante, improvise et joue avec les mots et les idées non sans humour, et toujours avec un esprit critique aiguisé. Il ballade sa voix suave et attachante sur des mélodies jazzy où swing et décontraction font bon ménage.

Dans Wake Me It’s Over, allusion aux aventures d’Alice au Pays des Merveilles de l’ambigue Lewis Carroll, Ben Sidran se fait crooner délicat à l’instar d’Al Jarreau tandis que sur Dee’s Dilema du pianiste Mal Waldron (unique reprise de l’album) il rend hommage au saxophoniste Jackie McLean avec un groove ravageur et communicatif.
À 71 ans, Ben Sidran, artiste complet et discret, parvient une nouvelle fois à nous surprendre par sa jeunesse et sa fraîcheur !