mercredi 2 décembre 2015

Strictly Mood II Swing : The Definitive Collection (Strictly Rhythm)

Strictly Mood II Swing (Strictly Rhythm)


Le duo de producteurs américains Mood II Swing est une référence incontournable de la scène électronique des années 90 et 00. Après un début douteux, Lem Springsteen et John Ciafone s'orientent vers les sonorités housedeep house et UK garage. Rapidement remarqués pour leurs productions originales sophistiquées et soulful (à l'instar des énormes tubes et désormais classiques Searchin' et Critical), ils remixent les artistes pop emblématiques de l'époque, s'attaquant aussi bien aux accents R&B jouissifs de Lucy Pearl (Don't Mess With My Man), qu'aux reflets gospel/soul des divas Ultra Naté (Free) et Stéphanie Cooke (Holding On To Your Love) ainsi qu'à l'univers pop/folk d'Everything But The Girl (Wrong). Aujourd'hui disparus des écrans radar, l'exigent label new yorkais Strictly Rhythm (jumeau de l'anglais Defected Records) offre aux deux pionniers une rétrospective luxueuse et exhaustive de 33 titres. On y retrouve alors la puissance de leurs rythmiques marquées et entrainantes, martelant un dancefloor captivé par leurs BD massives (accompagnées d'une suite de charleston, snares et claps hypnotiques) et leurs lignes de basse au groove disco assassin.

 

Med/Blu/Madlib - Bad Neighbor (Fat Beats/Differ-Ant)

Med/Blu/Madlib - Bad Neighbor (Fat Beats/Differ-Ant)

L'immense producteur Otis Jackson Jr alias Madlib (alias Quasimoto, alias Yesterdays New quintet, alias The Beat Konducta, alias Dj Rels), pierre angulaire du label californien Stone Throw Records nous propose son dernier opus intitulé Bad Neighbor, qu'il a réalisé en collaboration avec les figures emblématiques du hip-hop West Coast alternatif, le MC MED (anciennement Medaphoar) et le rappeur Blu.

Avant même de parler contenu, citons les noms de quelques invités : aux côtés de la légende anglaise du rap hardcore MF Doom ou du pâpe du G-funk le bien nommé Dam-Funk, trônent l'excellent Oh No (frangin de Madlib), l'imposant Phonte (membre de Little Brother et Foreign Exchange), le crooner soul Meyer Hawthorne ou encore le chanteur R&B Aloe Blacc.

Pas de doute possible, à l'écoute des instrus lo-fi désarticulées et chaotiques (comme dans Birds,  Streets ou Serving), on devine d'emblée la patte du maître des samplers, claviers et autres MPCs. Madlib impose une fois de plus sa touche de producteur si singulière, mais semble vouloir se rendre plus digeste pour les néophytes entrant dans son esthétique sonore organique, brinquebalante et crasseuse où le glitch est un motif prédominant.

En effet avec le premier single, Knock Knock, il nous immerge  d'entrée dans une vague funky des plus moites et accrocheuses, empruntée au I'll Be With You de Bernie Worrell (Parliament, Funkadelic), où la diction de MF Doom semble ressusciter le flow sensuel et posé de Notorius BIG. Ce Penchant pour les sonorités raw funk se remarque aussi dans les reflets soul 70's de The Buzz , les accents jazzy (délivrés par la divine Jimetta Rose) de Burgundi Whip ou bien avec les clins d'œil au gangsta rap des années 2000 de Drive In et du délicat Finer Things (où intervient Likewise). Ces tracks participent, avec leurs samples catchy triés sur le volet et leurs loops au groove contagieux, à rendre ce Bad Neighbor séduisant et redoutablement efficace.
Les addictifs The Stroll (avec AMG au mic) et Peroxide comptent aussi parmi les réussites de l'opus avec leurs beats bien lourds et leurs mélodies accrocheuses, il se pourrait bien qu'ils soient les deux bombes de la galette.
Madlib nous entraîne dans ses vestiges soniques de la blaxploitation, accompagné de Blu, Med et leurs invités de marque, il réconcilie le hip-hop underground et son vieux frère old school.

 

lundi 30 novembre 2015

Abd Al Malik - Scarifications (Pias)


Abd Al Malik - Scarifications (Pias)

Abd Al Malik est l'artiste de tous les paradoxes. Accumulant depuis plusieurs années un palmarès de récompenses assez impressionnant, le poète est "lyricalement un stremon" aussi bien capable de citer dans la même phrase Balavoine, Opération Dragon, Amy Winehouse et Albert Camus que d'écrire et réaliser son propre film, ou bien d'admirer Brel, Darc, Téléphone et Radiohead tout en rêvant en secret de bosser en studio avec Quincy Jones et l'équipe de Thriller du King Of Pop Michael Jackson.

Originaire de Strasbourg, le rappeur éclectique fan de Malcolm X, Gil Scott Heron et The Last Poets dépoussière et rafraîchit l'image d'un hip-hop français souvent sclérosé et décérébré, en y injectant avec son slam fracassant des textes sophistiqués, parfois engagés et toujours raffinés.

 Le premier effort solo nommé Le Face à Face des Coeurs, sort en mars 2004, il est alors considéré comme un élan d'amour face la haine...

 Gibraltar, second opus, paru en 2006 assoit véritablement l'artiste dans le paysage musical hexagonale, son rap riche et son "flow de dingue" le projettent même en tête des charts notamment grâce au titre éponyme. Il marque aussi la rencontre d'Abd Al Malik avec le compositeur et pianiste de Jacques Brel, Gérard Jouannest, et de son épouse Juliette Greco, icône de la chanson française (qui croisa la route de Gainsbourg, Miles Davis ou Brassens) devenue complice de l'héritier des pionniers du rap US "old school" Big Daddy Kane et Rakim.

 Après l'écriture et la réalisation de son premier long métrage autobiographique intitulé Qu'Allah Bénisse la France (diffusé en salle en 2014), au cours duquel il fait la connaissance du producteur/DJ français Laurent Garnier, il publie son cinquième album baptisé Scarifications... 5 ans qu'il se faisait attendre, depuis Château Rouge en 2010 enregistré avec Chilly Gonzales... Et forcément il devait être à la hauteur! 

La complicité liant le pâpe de la techno française au rappeur est d'emblée frappante, avec Bilal (frère et partenaire de studio du slameur philosophe), ils forment un combo incisif et redoutable. Les ambiances de Scarifications sont parfois sombres et pesantes voire inquiétantes, l'artiste y fait son introspection et nous raconte son adolescence de dealer et de voleur à la tir, marquée au fer rouge par la violence de son quartier de Neuhof et la mort de ses amis victimes d'overdose. Ce disque très personnel est la confidence urgente, rageuse et fascinante d'un homme conscient de ses failles; mais renforcé par ses erreurs il se dresse fièrement dans "ce monde qui est une tombe". Le slam d'Abd Al Malik y laisse sa peau au profit d'un rap underground pressant et tranchant.

Les pulsations digitales de Garnier plongent l'auditeur dans l'obscurité, ses nappes de synthés et de drone glaçants et ses rythmiques dubstep l'enveloppent mais ne l'étreignent pas. Ces instrus fracturées sont aux antipodes des productions électro pop mainstream positives et superficielles, les beats y sont lourds et assommants autant que les mots qui écorchent et atteignent leur cible en pleine tête. Les quartiers chauds de Strasbourg battent aux rythmes de la techno de Détroit, un  accord osé qui fonctionne mais qui intrigue!
 


Paroles et Musiques : Abd Al Malik – Bilal – Laurent Garnier

PAROLES :

C’est soit le deal soit c’est l’usine
Grandir dans un monde ou l’altérité est assassine
Diplômé de la rue une autre vie estudiantine
La même couleur mais pas le destin de Lamartine
Si on s’arrête un instant que nous enseigne-t-on
On s’en sort si on le veut vraiment
J’ai poussé ma réflexion le soleil était absent
Je me suis fait pluie en attendant
Mais tout prend l’eau trop de mecs nous bassinnent
C’est comme dans Matrix le règne des machines
Du rap ne subsiste que le bacchique
La mort de Pavlos Fyssas est-elle un hic
Mais rien n’est illogique de la crise naissent tous les fascismes
Classique l’Histoire ne se répète pas mais rime
Abîme toujours les mêmes drôles de mise en abîme
Effets miroirs toutes les vies comestibles
Ghettos Ter Ter et guerres intestines
Je suis né dans le pays de la guillotine
Muslim et Noir de peau qu’est-ce qui me détermine
Qu’est-ce qui se joue dans ma poitrine
Mon cœur cesse de battre parfois c’est la routine
Est-ce donc ça qui discrimine
Je n’entérine aucune nouvelle doctrine
Ne suis-je pas un enfant de la république
Hun Hun de la République
Lyricalement j’suis un stremon
J’suis un stremon…

Michael Felberbaum – Lego (Fresh Sound New Talent/Socadisc)


Michael Felberbaum – Lego (Fresh Sound New Talent/Socadisc)

Le guitariste italo-américain Michael Felberbaum nous présente son cinquième opus jazz baptisé Lego. Entouré du pianiste Pierre de Bethmann, du bassiste Simon Tailleu et du batteur Karl Jannuska, il nous invite à pénétrer son puzzle sonore sophistiqué qui, pièces après pièces, dévoile une identité musicale complexe au lyrisme économe mais hypnotique voire psychédélique. S'il fallait décrire son jeu, il faudrait alors le confronter à celui des deux maîtres de la guitare jazz moderne, Jim Hall d'un côté et John Scofield de l'autre. Deux techniques aux sonorités opposées, l'une est sensuelle, délicate et fluide, l'autre plus rugueuse et bluesy. Malgré cette dualité et une élaboration savante de ses 9 compositions faites de motifs rythmiques et mélodiques qui s'entrelacent et se superposent, Michael a su insuffler des nuances rassurantes et captivantes de groove (Variations), de bossa nova (Now), de blues et de rock (Mint) voire même quelques reflets andalous, dans sa ballade poignante Nostalgia.

mardi 24 novembre 2015

Philippe Petrucciani & Nathalie Blanc – Remember Petrucciani (Jazz Village/Harmoia Mundi)


Philippe Petrucciani & Nathalie Blanc – Remember Petrucciani (Jazz Village/Harmoia Mundi)


Magnifique célébration d'un pianiste surdoué que ce tendre Remember Petrucciani. Philippe, guitariste et compositeur tombé tout jeune dans la marmite du jazz avec ses frangins Michel et Louis (contrebassiste), revisite le répertoire de son frère disparu à New York voilà plus de 15 ans, accompagné de la chanteuse Nathalie Blanc, une habituée de la famille. Cette dernière a écrit des paroles pour 12 titres initialement instrumentaux, qu'elle interprète avec élégance et maîtrise sur les arrangements soignés et soyeux du guitariste au swing subtile des plus classieux. L'album nous invite à redécouvrir des thèmes emblématiques du pianiste de génie parés d'une voix envoutante, de textes personnels et d'orchestrations intimistes. Renforcés par une excellente section de cuivres (Bosso, Cantini et Castellani), les fidèles acolytes Dominique Di Piazza à la basse (remplacé à la contrebasse par Michel Zenino) et Manhu Roche à la batterie sont eux aussi embarqués dans l'aventure menée humblement par un Philippe Petrucciani fin mélodiste et rythmicien aguerri.

dimanche 22 novembre 2015

Fresh Sounds from Les Chroniques de Hiko (November 15 Week 03)

Juste un petit tour du côté des dernières actualités musicales abordées dans mon blog Les Chroniques de Hiko... Olivier Bogé, Claptone, Thierry Maillard, Anne Carleton, Fred Pallem & Le Sare du Tympan, Madlib, Oxmo Puccino, Jonathan Orland & Nicola Cruz.


vendredi 20 novembre 2015

Thierry Maillard – The Kingdom of Arwen (Naïve)


Thierry Maillard – The Kingdom of Arwen (Naïve)

Il y a des disques qui mettent l’eau à la bouche avant même de les avoir joué, The Kingdom of Arwen, dernier opus du pianiste Thierry Maillard, en fait partie avec son casting bluffant parmi lequel se dégagent quelques invités prestigieux aux couleurs musicales singulières : le guitariste Nguyên Lê, le percussionniste Minino Garay ou le joueur de doudouk Didier Malherbe.

Mais loin d’être arrivés au bout de nos surprises, lorsque Hiéroglyphes s’ouvre avec la cacophonie du Prague Concert Philharmonic qui s’échauffe, on entrevoit alors le projet chers au compositeur de rassembler dans 12 pièces épiques au lyrisme grandiloquent, un trio jazz et un orchestre symphonique. Certes le concept n’est pas nouveau, mais la particularité de ce dernier est d’y avoir adjoint une section d’instruments ethniques. Entouré de Dominique Di Piazza à la basse et de Yoann Schmidt à la batterie, l’arrangeur n’en n’est pas à son coup d’essai puisque l’an dernier il publiait The Alchemist, enregistré avec un Orchestre de Chambre et des musiciens appartenant à la sphère world music. 

En toute logique l’étape suivante devait être  son Kingdom of Arwen et qui d’autre que Jan Kucera aurait été plus à même de diriger l’orchestre ?

Ainsi jazz, musique classique et musique du monde s’entremêlent avec maestria dans une épopée fascinante dont les références sont aussi bien puisées chez Tolkien ou Franck Zappa (Zappa) que dans l’Antiquité grecque (The Legend of Sparta’s King) égyptienne (Sphynx Part.1 et Part.2) ou le folklore scandinave (Le Monde des Elfes).

Flûte chinoise, arménienne (doudouk) et irlandaise (whistle par Neil Gerstenberg), luth grec (baglama par Taylan Arikan) percussions, violoncelle (par Olivia Gay) et guitare électrique… Un ensemble qu’il faut accorder avec la rigueur d’un orchestre symphonique et la créativité d’une formation de jazz. Il s’avère que malgré tout ce petit monde à s’occuper, il manquait à Thierry un instrument plus organique, la voix céleste de Marta Klouckova s’imposa alors à lui dans Sphinx Part.1, qui nous emmène en Orient ou en terre Celte, difficile d’y accoler une étiquette.