Pura Fé –
Sacred Seed (Nueva Onda Records/Harmonia Mundi)
Pura Féest une chanteuse américaine
issue d’un peuple amérindien nommé Tuscanora.
Artiste complète, activiste écologiste militant pour la survie de son
patrimoine culturel, elle publie sur le label français Nueva Onda Records son cinquième opus baptisé Sacred Seed. Influencée par le blues
de Charley Patton ou Taj Mahal (Spirit In
The Sky), la musique folk de Joni
Mitchell (My People My Land), le jazz de Duke Ellington (In A Sentimental Mood) et la soul de la Motown (Hiyo Stireh), Pura Fé nous
livre un recueil de 12 titres largement
imprégnés du chant et des rythmes des Native Peoples (Pigeon Dance), « ayant fait partie de l’évolution de la
musique américaine ». A noter la participation des français Jean Jacques Milteau à l’harmonica et Mathis Haug aux guitares et à la production.
Redi Hasa & Maria Mazzotta – Ura (Finis Terre/Orkhêstra)
Voulant bâtir des passerelles
entre la musique populaire d’Italie du sud et le folklore des balkans, la
chanteuse Maria Mazzotta et le
violoncelliste Redi Hasa en revisitent
les fondamentaux,de manière
singulière et profondément moderne, y intégrant des ingrédients empruntés à la musique de chambre et au jazz. Le duo formé en 2010 nous
présente leur dernier projet baptisé Ura
(se traduisant par « pont » en albanais). Véritable voyage sonore, on y (re)découvre par
exemple un traditionnel de la région des Pouilles Maria, sublimé par un dialogue de cordes complices tissées entre
les deux virtuoses et l’enivrant Ederlezi,
un classique du folklore rom, imprégné de l’expressivité
naturelle du violoncelle et de la fluidité cristalline d’une voix au vibrato
maîtrisé à la perfection. Tous deux parviennent en effet à traduire en mélodies
et en rythmes tous les paysages, toutes les couleurs et les émotions que dégage
leur univers onirique, bâti à partir de leurs racines respectives.
Un acte sidérant perpétré contre un symbole de la liberté de penser et de s'exprimer... Les mots aujourd'hui ne seront malheureusement pas à la hauteur... Mais demain l'intelligence, l'humour et la caricature devront reprendre leur combat contre l'obscurantisme !
Le sirventès est un texte en vers chanté par les troubadours
du XIII° siècle en Provence,il s’agit
d’une poésiecontestatrice à caractère satirique s’en prenant aux puissants et à
l’église de l’époque. L’art poétique du
Trobar, redécouvert au XIX° par des auteurs tels que Mistral ou Mallarmé,
nous est présenté ici par Manu Théron,
considéré comme un pilier du renouveau musical de l’héritage occitan. Le chanteur est accompagné du joueur de oud et arrangeur
Grégory Dargent ainsi que du percussionniste
Youssef Hbeisch. S’inspirant des
mélodies médiévales originales, le trio nous livre un recueil de 10 poèmes incisifs et enragés du Pays d’Oc,
extraits du patrimoine populaire d’une société rebelle.
Eperdument… nous
plonge dans l’ivresse et la beauté du chant
persan, bien loin de l’influence musicale occidentale audible dans le
paysage sonore contemporain en Iran. Le chanteur virtuose Alireza Ghrorbani et le jeune compositeur Saman Samimi nous présentent 9 titres enivrants, où la poésie des grands maîtres soufis alliée
à la richesse de la musique classique
persane aborde le thème de l’amour et des vertiges qu’il engendre. Les
textes de poètes mystiques médiévaux comme Rûmi
ou Abusa’id Abolkhayr figurent aux
côtés de ceux, plus modernes, d’Aaref
Qazvini ou Fereydun Moshiri.
1000 ans d’histoire sont ainsi réunis dans un recueil de chants d’amour transcendés,
interprétés avec brio par une voix enracinée dans la tradition et désireuse de partager
un patrimoine essentiel.
Ci-dessous en live au Théatre de l'Atelier en Octobre 2010, avec Dorsaf Hamdani sur un extrait de son précédent album intitulé Ivresses :
D'Angelo And The Vanguard - Black Messiah (RCA Records) L’immense multi-instrumentisteMichael Eugene Archeralias D’Angelo marquait indélébilement l’histoire de la black music lorsqu'en 2000 paraissait sur Virgin Recordsle mythique Woodoo(classé par le magazine Rolling Stone parmi les 500 meilleurs albums de tous les temps). 5 ans plus tôt, son premier disque intitulé Brown Sugarcontribuait déjà à lancer, avec des œuvres telles que l’Urban Hang Suite de Maxwell en 1996, un nouveau genre musical baptisé néo soul, croisant l’héritage des maîtres de la soul avec le hip-hop, le funk, la house, le jazz et le R&B.Emergeait alors une famille de jeunes artistes talentueux et novateurs tels qu’Omar, ErykahBadu, Raphael Saadiq, Eric Benét, Angie Stone et Musiq Soulchild pour ne citer qu’eux, supportée par les monstres sacrés du hip-hop et du jazz de Détroit et de Philadelphie commeles Djs/producteurs Jay Dilla et Dj Premier, Ali Shaheed Muhammad (des TribeCalledQuest) ou encore le trompettiste Roy Hargrove.
14 longues années de doute auront été nécessairesàD’Angelo pour parvenir à s’extirper de sa maudite et douloureuse traversée du désert. Marqué dans sa chaire par un accident de voiture et brisé par des affaires de drogue et d’alcool, le chanteur a sombré ! Lui qui cultivait une image de sexe symbole bodybuildé (on se souvient de sa prestation dans le clip Untitled (How Does It Feel)) est apparu bouffi et bedonnant sur les clichés volés par la presse people, il a fuit les studios d'enregistrement et déserté la scène (à quelques rares exceptions près) coupant alors les ponts avec son public.
Black Messiahétait bien sûr attendu au détour! Les fans, tout d'abord, espéraient de nouvelles chansons, loin d'être satisfaits par les compilationsThe Soul Of D’Angelo (en 2006) par Dj Ameldabee et The Best So Far (en 2008).Les critiques, ensuite, dubitatives sur un éventuel retour, attendaient un peu plus que ses quelques apparitions disséminées ça et là, comme en 2002 dans l’excellente reprise de Fela Kuti Water No GetEnemy ou encore dans Imagine en 2006 avec Dr Dre et SnoopDogg… En effet, nous nous demandions tous comment ce prodige, dont le retour était souhaité comme celui du messie, allait penser son post-Woodoo ? Comment allait-il renouveler sa palette musicale et quelles directions allait-il prendre ? Quels sujets allait-il aborder ?
Épaulé par son fidèle ami et confident, le batteur des Roots Ahmir ?uestlove Thompson, des précieux Q-TipetKendra Fosterà l’écriture, et entouré de son orchestre The Vanguard - composé du mythique James Gadson (Bill Withers, Herbie Hancock…) et de Chris Daddy Dave (José James, Meshell Ndégéocello…) à la batterie, puis de PinoPalladino à la basse (The RH Factor, Adele…) -,D' alias Real R&B Jesus s’est laissé guider par ses convictions et son talent en revenant des ténèbres avec un instantanée brûlant et sombre d’une société américaine gangrénée par les haines raciales et les injustices sociales.
Lui qui excellait aux claviers (le piano étant son premier instrument) est apparu armé d'une guitare sur Woodoo, mais visant la perfection il a étudié ces dernières années avec le guitariste et producteur Jesse Johnson, apparu entre autres aux côtés de Prince, Janet Jackson, Paula Abdul et même Les Rita Mitsouko. Ses influences ont nettement déteint sur un D'Angelo reconnaissant! Sa musique, moins policée, a évoluée logiquement, sonnant parfois de manière chaotique et désaccordée, cherchant une brèche à travers le groove chamanique de George Clinton et Bootsy Collins, les racines diaboliques d'un bluescorrosif et le message politique pugnace mais classieux deWhat's Going On insufflé par Marvin Gaye ou de We The People Who Are Darker Than Blue par Curtis Mayfield. Le son de Black Messiah demeure ainsi magistral et riche, vivace, protéiforme et bouillant !
Ain't That Easy ouvre l'album, nous immergeant d'emblée dans des sonorités psyché/funk où le timbre distordu de la guitare électrique nous fait penser à JimiHendrix, tandis que la voix gémissante et profondément soul convoque les spectres d'Al Green et Sly Stone. Il s'agit d'une chanson d'amour où le musicien se livre et implore, refusant de céder aux difficultés : "I'm gonna keep you / Safe from evil opinion", "I need the comfort of your lovin' / To bring out the best in me".
L'hostile 1000 Deaths nous noie ensuite sous une déferlante de beats tonitruants où les coups de baguettes accompagnent, en introduction, un sample de sermon sur Jésus enregistré en mauvaise qualité, et plus loin une voix torturée semblant hurler son texte couvert de larsens à travers un mégaphone défectueux. Ce morceau coup-de-gueule pourrait à lui seul illustrer ce que ?uestlove pense de Black Messiah : un "Apolypse Now of black music".
The Charade prolonge l'expérience psychédélique de D'Angelo, le mirage d'une sitar se fait même entendre au milieu d'un songe qu'aurait pu imaginer Prince en personne. Mais attention au contenu, le texte est militant, il s'insurge et dénonce la condition des noirs dans la société américaine :"All we wanted was a chance to talk, 'stead we only got outlined in chalk / Feet have bled a million miles we've walked, revealing at the end of the day, the charade"!
Sugah Daddy nous réconcilie enfin avec l'univers chaud, sexuel et groovy de l'ange déchu, on retrouve en effet ses accords de piano flirtant avec les arrangements cuivrés du maître Roy Hargrove, la rythmique de guitare y est funky à souhait... Bref tous les ingrédients d'un futur succès sont réunis !
Le premier single est baptiséReally Love, ce titre torride aux saveurs hispaniques est beaucoup moins anticonformiste que la première moitié du disque. Le guitariste Mark Hammond y signe une délicate intro à la guitare classique, invitant l'auditeur dans une ballade sensuelle aux accents acoustiques. Le chanteur y déploie tout son savoir-faire de crooner-lover, pinçant chaque mot du bout des lèvres en les laissant se faire caresser par une ligne de basse voluptueuse et des cordes langoureuses : "When you touch me there / When you make me tingle / When our nectars mingle / I'm in really love with you". Un appel à la luxure...
Back To The Future (Part I) a le parfum de ces instants de lucidité et de solitude où l'on fait le point sur sa vie sans aigreur ni rancune (presqu'avec humour), optimisme et groove ronflant sont de rigueur !
A l'instar de The Charade,Till It's Done (Tutu) est un constat, moins féroce il nous pose simplement la question de savoir si un jour l'humanité prendra réellement conscience de ses maux et des ses méfaits: "Carbon pollution is heating up the air / Do we really know? Do we even care?".
Avec Prayer,D'Angelo évoque sa foi, la spiritualité ayant surement joué un rôle sans sa reconstruction : "But you got to pray, you got pray / Oh you got to pray for redemption / Lord, keep me away from temptation / Deliver us from evil, oh yeah" Sans doute la pépite de Black Messiah avec son swing communicatif et sa walking bass orchestrée par un Pino au sommet de son art, Betray My Heart exprime tous le génie de D' alias The New Prince résultant d'un syncrétisme singulier des rythmes africains, de la musique afro-américaine, du désir et de l'amour. Qui ne voudrait pas être l'auteur de cette déclaration si douce et fleure bleue ? Et qui n'y succomberait pas? : "As the day must have its sun / And the night must have its moon / Sure as both must rise and fall / I'll be there to see you through / Just as long as there is time / I will never leave your side / And if ever that you feel / That my love is not sincere".
Toujours sur le thème de l'amour, The Door nous mène au bord des rives du Missippi, berceau du blues...
Back To The Future (Part II) nous rappelle que malgré les épreuves la vie suit son cours et que seule demeure la mémoire du passé, à nous d'en faire quelque chose de positif afin de s'en sortir peut-être grandi! "The seasons may come and your luck may just run out / And all that you'll have is a memory, oh" La magie de D'Angelo réside dans le fait de dire si peu en nous faisant vibrer si fort...
Enfin Another Life clôt cet épique monument érigé en hommage à la soul music, grandiose et vibrant il invite les Delfonics à la table de Marvin Gaye pour un dernier festin de roi avec comme sujet de conversation : l'amour d'une femme "I just wanna take you with me / To secret rooms in the mansions of my mind / Shower you with all that you need".
C'est certain, D' alias Modern Day Marvin Gayeaccouche d’un nouveau chef d’œuvre soulaux sonorités expérimentales, vintages, rugueuses et brutales, survolé d’une voix toujours aussi ensorceleuse. L'Apollon noir qui posait à moitié-nu devant les objectifs est désormais quarantenaire, il troque ses abdos contre les costumes moins bling-bling du bluesman écorché et du Mr P-Funk abrasif. L'accent est mis sur le contenu, les messages politiques alternent avec les histoires d'amour, de perte et de trahison, l'apparent désordre d'une ébauche brossée sur une toile de jute trouve sa place au côté d'une étoffe délicate brodée de fil d'or.
Au-delà du simple renouveau musical, Black Messiah se veut être un écho à l’actualité, notamment aux évènements tragiques que connurent les villes deFerguson(avec le décès du jeune Michael Brown, abattu par un policier inexpérimenté) et de New-York (où Eric Garner perdit la vie sous les coups inconscients des forces de l’ordre). Il est un cri de révolte, sauvage et violent, celui d'un Phénix renaissant de ses cendres et voulant apporter sa pierre à un édifice ébranlé par ses vieux démons...