Sébastien Tellier est l’Artiste par excellence : complexe,
créatif, engagé, provocateur et en rupture avec la culture de masse. Révélé au
monde en 2004 grâce à l’immense tube « La Ritournelle », il
devient rapidement riche (mdr), et plus sérieusement, incontournable avec sa
« crazy pop » nichée entre chanson, électro et jazz. Bien évidemment
« on aime ou on n’aime pas », tantôt considéré comme la bande son
d’un film porno, tantôt taxé de blague italo-disco de mauvais goût, une chose
est sûre « Sexuality », son dernier album sorti en Février
dernier, est un véritable succès critique. « L’homme symphonique du XXI°
siècle » a déclaré que « seul
le cul m’intéresse », et après tout, n’est-ce pas le sexe qui régit
notre société ? Jeff Koons disait que « la sexualité, c’est l’objet
principal de l’art » alors qu’il se représentait en plein exercice avec
son ex-épouse la sulfureuse Cicciolina ; devons-nous juger pour autant
l’intérêt de l’œuvre colossale de ce plasticien qu’à cette seule série de travaux
intitulée « Made In Heaven » ? Et quand bien même
« Sexuality » serait la production la plus aboutie de notre « Chabal
de la chanson » n’est-il pas un album remarquable par son ton décalé, sa
richesse mélodique, ses couleurs symphoniques et synthétiques, sa fausse
légèreté ? Sébastien Tellier est un monument anti-conventionnel, c’est
aussi un homme de goût au look sans pareil : « la barbe pour le
côté mystérieux, les cheveux longs pour le côté féminin, les lunettes noires
pour le côté sophistiqué », une posture atypique et inhabituelle à
découvrir en live…
La guitare manouche est omniprésente dans le paysage
jazzistique hexagonal, elle devient même à la mode auprès du grand public avec
les succès commerciaux de Thomas Dutronc ou Sanseverino. Depuis 1930, les
fameuses notes gypsy jazz de nos deux monstres sacrés que sont Django Reinhardt
et Stéphane Grappelli n'ont de cesse de trouver échos et aujourd'hui, l'un des
musiciens les plus prometteurs de sa génération, Adrien Moignard sort justement
son premier opus solo intitulé All The Way, publié sur le célèbre label Dreyfus
Jazz. Il y est bien sûr question de jazz manouche mais l'expérience, la
virtuosité et la sensibilité du jeune guitariste bousculent les frontières et
on l'écoute interpréter librement des thèmes aussi variés et prestigieux que "La Valse d'Augustine" de
Vladimir Cosma (d’une grande beauté), "Blue In Green" de Miles Davis ou encore "Some Skunk Funk" de Randy Brecker. Les influences du maître Django sont
palpables mais au delà de ça, les autres guitar héros de la note bleue tels que
Georges Benson, Pat Metheny ou encore Biréli Lagrène lui ont permis de
développer un jeu très personnel et métisse. L'énergie et la précision se
rencontrent avec élégance et musicalité, Adrien Moignard âgé de seulement 25
ans n'a plus rien à envier à ses aînés...Son ouverture et sa maturité s'affichent
avec une évidence flagrante lors de ses échanges musicaux avec l'immense
Stochelo Rosenberg, présent dans trois titres de l'album. Bref, Adrien Moignard
est un grand et All The Way une véritable pépite.
Richard
Galliano – Bach (Deutsche Grammophon/Universal Music France)
Premier album de Richard Galliano chez Deutsche Grammophon,
Bach est un projet auquel l'artiste songe depuis déjà longtemps. Enregistré à
Paris à Notre Dame du Liban en Septembre 2009, il est consacré aux premières
amours du disciple d'Astor Piazzola, s'éloignant un temps du jazz et de la New-Musette. En
effet l'accordéoniste jouait déjà les préludes et les fugues de l'immense
compositeur dans son adolescence, son amour pour les partitions du maître ne
datent donc pas d'hier mais de ces pièces pour orgue qu'il interprétait jadis,
il s'oriente désormais davantage vers les concerti pour violons et suites pour violoncelles
et hautbois. Richard a choisi des œuvres repaires du répertoire de Bach comme La Badinerie ou Air et s'y
invite tantôt au bandonéon ou à l'accordina avec toujours à l'esprit le souci
d'émouvoir le public averti ou néophyte et le désir d'exprimer l'universalité
de la musique de J.S. Bach. Considérant son instrument comme « un orgue
portatif et expressif », il propose aux auditeurs une version inédite de
cette grande musique. Bien loin de la mauvaise réputation que l'instrument,
encore souvent associé aux bals musettes, traîne derrière lui, Mr Galliano
défriche de nouveaux territoires à explorer pour tout accordéon et bandonéon
désirant s'aventurer vers de nouveaux horizons musicaux. Album réussi et
élégant !
Sashird Lao - Open The Box (Le Chant Du Monde/Harmonia
Mundi)
L'étonnante formation ancrée sur la côte d'azur sort son
troisième opus intitulé Open The Box. Véritable coffre au trésor, l'album
déborde d'énergie funky alimentée par du body drumming, des percussions
vocales, quelques loops, un chant puissant et une section cuivre boostée aux
rythmes world, hip-hop et R&B.
Sashird Lao est une entité complexe faite de jazz, de musiques
du monde, de chanson et de sonorités urbaines. À l'origine il y avait trois
cuivres, puis les voix, les percussions et quelques machines ont fait leur
apparition. Yona Yacoub, qui incarne l'âme féminine du trio s'impose comme une
chanteuse soliste aux multiples facettes. Son goût pour le R&B donnent à sa
voix une tonalité chaude et groovy, quelques envolées lyriques portées par ses
racines orientales enivrent furieusement au détour d'une ritournelle soufflée
au sax ou d'un coup de balai passé sur sa caisse claire. Fred Luzignant est
quant à lui le Mr Trombone de la formation, professeur de musique il aime
autant partager sa passion avec ses élèves qu'avec les musiciens qu'il a
accompagné et rencontré sur la route du jazz. Il mène avec Yona quelques
aventures dont Yona Y. Lee, projet electro-R&B, puis s'engage dans Sashird
Lao au côté d'un troisième larron, le saxophoniste-flutiste-bassiste vocal,
David Amar. Ce denier est tombé tout jeune dans la marmite du Be-bop,
autodidacte il quitte ses études de droit et se consacre à la musique qu'il
enseigne et joue an passant allègrement du jazz (qu'il chante) au funk, ou du
reggae au R&B. Logiquement embarqué dans la caravane de Sashird Lao, il poursuit
avec ses deux comparses depuis 2004 une quête musicale unique sous l'influence
de Bobby Mc Ferrin et de ses expérimentations vocales extrêmes. Sans à priori
et sans complexe, ce groupe de multi instrumentistes s'amuse à manipuler,
décomposer, découper, ressouder les genres musicaux au gré de leurs expériences,
de leurs voyages et de leurs envies. Le swing est bien sûr le ciment du projet,
la base de toutes les rencontres, il y est jouissif et communicatif. Dans les
deux premiers disques, les reprises inattendues de quelques standards (de Rollins,
Mingus, Ellington ou même Louis Prima) côtoyaient des compositions originales
parfois décalées et pleines d'humour du "seul trio instrumental de jazz
vocal au monde". Les grooves urbains, qui ont bercé nos trois jeunes
aventuriers sont également de la partie dans une surprenante alchimie alliant
orientalisme et soul/funk et ce dernier disque en est la preuve...Faisant suite
aux albums plus jazzy Watsdis sorti en 2005 et 3 Secrets paru en 2008, Open The
Box se veut plus ouvert sur le monde : le français que l'on entendait chanté sur
les très bons titres "Tout en Dodelinant" ou "Pas le Temps"
laisse définitivement place à l'anglais, plus universel, avec les excellents "Baby'Lone" ou encore "Burnin
Soul", à l'Indi Lao (dialectehybride imaginaire) sur "Kalimandji So" et à l'égyptien dans
"Badawar". Ouverture et danse, sont sans doute deux notions qui définissent
bien la direction musicale que semble emprunter Sashird Lao nous incitant
davantage à se dandiner, à se balancer en rythme sur un swing métisse à
géométrie variable. Cette fameuse boîte est désormais entrouverte, il ne vous
reste plus qu'à explorer les richesses qu'elle renferme...Bonne écoute à tous.
Sara Tavares – « Alive In Lisboa » (World
Connection)
Issue d’une famille d’immigrés Cap-Verdiens installés au Portugal,
Sara Tavares a débuté sa carrière comme chanteuse et compositrice Gospel, Soul
et Funk. Propulsée dès ses 16 ans dans l’arène artistique au rayon pop/world,
elle trouvera rapidement sa voie en alliant la black music nord-américaine de
ses premières amours aux rythmes issues de l’archipel de ses origines (le coladeira
rendu célèbre par Cesaria Evora, le funana…). Fière de ses racines africaines,
la musique de Sara est le fruit d’un subtil métissage qu’elle revendique comme
culture à part entière. Elle chante en anglais, créole, et bien sûr en
portugais, parle de l’estime de soi, de la différence, de l’identité de sa
génération perdue qui cherche une terre d’accueil entre l’Europe et l’Afrique. « Alive
In Lisboa » retrace le parcours de la diva-guitariste dans un séduisant
triptyque rassemblant ses meilleurs travaux depuis 10 ans, « Mi Ma
Bô » sorti en 1999, l’excellent « Balancê » paru en 2005 et un DVD
live enregistré en Mars 2007 lors d’un concert donné dans sa ville d’adoption,
Lisbonne. Une pensée toute particulière pour l’album acoustique Balancê, cette
petite merveille recèle un trésor de beauté et d’équilibre absolu entre la
douceur d’une voix suave et harmonieuse et le groove chaloupé et entraînant des
ondes Cap-Verdiennes. Admirative des cultures brésilienne et afro-américaine,
Sara Tavares célèbre la mixité et la richesse d’une diaspora qui construit son
patrimoine sur des fondations africaines en s’interrogeant sur un problème
central: l’intégration. Le titre Planeta Sukri (enregistré avec le grand Boy Gé
Mendes) est une sucrerie à gouter absolument…
Les frères Godillo et leur fanfare déjantée et sur vitaminée
nous invitent à bord de la Santa Macairo
Orkestar pour un voyage atypique à travers un syncrétisme original des
folklores de l’Europe de l’Est, de la Jamaïque et de la Nouvelle-Orléans. Coloré
et poétique « Paparazaï », enregistré fin 2007 par Emilio,Mario,
Esteban, Giuseppe Miguel et Bernardo, nous propose un métissage survolté des
cultures entre ska, musique des Balkans et jazz New Orleans,agrémenté d’un zeste d’esprit punk, le tout
servi façon bastringue. A l’écoute de ce disque on se surprend à imaginer ces
scènes de vie quotidienne anarchiques et décalées que dépeint si bien Emir
Kusturica, une des personnalités avec qui la Santa Macairo
Orkestar a partagé la scène. C’est d’ailleurs en live et dans ses
collaborations que la formation montre son génie du mélange et sa souplesse à
enjamber les frontières musicales, les Wampas, Bertignac, Israel Vibration,
Mardi Gras Brass Band, High Tone ou encore Kaly Live Dub pour ne citer qu’eux,
ont déjà succombé à ses avances fiévreuses et enivrantes. La Santa Macairo Orkestar donne
son bal, c’est décalé, populaire et dansant.
Une nouvelle diva se dévoile enfin au grand jour et illumine
de son charisme et de son charme incomparable le paysage musical français.
Présente sur scène depuis déjà plusieurs années, Sandra Nkaké, jeune parisienne
d’origine camerounaise, fit parler plus largement d’elle lors de sa
collaboration avec l’artiste français Booster sur l’excellentissime titre
« Sex Friend », playlisté par radio Nova l’année dernière. Un public
séduit par son sens du groove et sa sensualité ravageuse découvre alors une
artiste atypique, anticonformiste, sincère et généreuse. La silhouette de Grace
Jones et une voix qui mêle l’intensité d’Abbey Lincoln à la virtuosité de Bobby
Mc Ferrin ou d’Al Jarreau, participent à créer, autour de la chanteuse, une
aura émotionnelle toute particulière. Sandra attire, attise même, sa timidité
s’efface dès qu’il s’agit de partager, de donner pour donner
(« Happy »). Son premier opus intitulé « Mansaadi » (petite
mère) est un hommage à sa défunte mère (« Mansaadi »), un éloge à
l’amour (« Time Healed Me ») et aussi un clin d’œil à ses racines
africaines (« I Miss My Land » « Souffles »).
Longtemps déchirée entre le Cameroun et la France, « la petite
blanche » comme on la désignait là-bas, est en quête d’africanité, la
sienne et pas celle qu’on veut lui donner (« Stay True »). Le titre
« La Mauvaise Réputation » écrit par George Brassens, semble donc
avoir était taillé pour la sculpturale Sandra qui l’interprète d’une façon très
personnelle sur un rythme joué en beat box minimaliste. Le morceau résume à mon
sens un album profondément soul (« A New Shore ») qui visite sans
vergogne le funk (« Yayaya »), la pop, le jazz (« I’ve Been
Loving You ») et le gospel (« The Way You Walk »). Sandra Nkaké
s’affirme en femme libre, sensible et instinctive, ni noire ni blanche, mais
les deux à la fois…Une merveille !