Hiatus
Kaiyote – Tawk Tomahawk (Flying Buddha Music/Sony Masterworks)
Comme quoi une ballade chez son disquaire réserve encore des
surprises… Une pochette étrange montrant le dessin d’un coyote gueule
grand-ouverte (façon esprit vengeur de la Princesse Mononoké d’Hayao Miyazaki),
le regard jaune et menaçant, derrière deux grues représentées en origami le
narguant avec un serpentin rouge… Une couverture assez énigmatique mais plutôt
efficace car la curiosité me met le casque à l’oreille… Puis là, deuxième effet Kiss Cool…
Né sous l’impulsion de la chanteuse, guitariste et
songwriter Nai Palm, Hiatus Kaiyote
est la vision futuriste d’une Soul
éclairée, cultivée, généreuse et organique. Rejoint par le bassiste Paul Bender, le touche-à-tout Perrin Moss et le claviériste Simon Mavin, l’alchimie opère et le
projet prend forme attirant comme un aimant le soutien des plus grands comme le
batteur chevelu des Roots, Questlove ou le Dj anglais Gilles Peterson (BBC
Radio 6 Music).
L’album « Tawk Tomahawk » est paru pour la première
fois en 2012 sur Bandcamp, il débarque cette année sous la signature Flying
Buddha du label Sony Masterworks.
Le quartet australien basé à Melbourne est parvenu à extraire
la « substantifique moelle » du courant NuSoul, dont les mètres
étalons furent mis en place dés les 90’s par les immenses Erikah Badu, Bilal et
autres Raphael Saadiq ou Music Soulchild. Mais son génie est
d’avoir autant puisé son répertoire musical dans l’opéra que dans les musiques
urbaines et électroniques. En effet, le titre « Malika » est tiré
de Lakmé composé par le français Léo
Delibes à la fin du XIX° siècle, il s’inspire de ce fameux air immortalisé
entres autres par Natalie Dessay : « Le Duo des Fleurs ». On
note par ailleurs que l’instru du morceau est un montage abstract hip-hop des plus délectables (à rapprocher des travaux du
producteur américain Flying Lotus),
avec les lignes de basse clé-de-voûte de Bender
soutenant l’ensemble par son groove imparable.
En ouverture, c’est le très atmosphérique et mystérieux « Mobius
Streak » (le fameux ruban rouge de la pochette ?) qui nous mène en
bateau entre ballade électro-soul et
ambient experimentale. Nai Palm y dévoile une voix touchante, approchant celle d’une Lauryn Hill dans ses meilleures heures, tandis que les claviers de Simon Mavin nous enivrent et nous
transportent vers des contrées délicatement syncopées par le broken beat éblouissant de Perrin Moss.
« The World It Softly Lulls » nous offre ensuite une
ambiance néo-soul feutrée où D’Angelo pourrait facilement y poser ses mots doux et son groove
sensuel façon « Spanish Joint ». La chanteuse choisi pourtant d’y
imposer un flow tranchant et
revendicatif, un slam tempétueux sur
une rythmique funk éthérée aux
accents de guitare jazz.
Un interlude instrumental interstellaire « Leap
Frog » nous fait glisser vers « Malika » puis
« Ocelot » et « Boom Child », deux courtes plages aux beats
hip-hop brutaux et crasseux (pas
bien éloignées de certaines productions de Madlib).
« Lace Skull » déverse ensuite sa Soul électrisante et tumultueuse,
s’amorçant avec un arpège de guitare et quelques accords de piano puis se
terminant par un déferlement psychédélique.
C’est Jay Dilla
(RIP), énorme producteur de Détroit, qui semble avoir tissé les trames de ces
trop brefs « Rainbow Rhodes » et « Sphynx Gate », où Fender
Rhodes, MPC, choeurs et basses font leur office dans ces célébrations légères
et groovy à la musique promue par des labels tels que Stone Throw Records et
Okayplayer.
Enfin « Nakamara » vient clore ce pur bijou. Un
titre coloré et nusoul en puissance, sans boîte à rythme ni nappe électronique,
du groove à l’état brut, faisant directement allusion à l’identité australienne
du groupe. Le rappeur QTip (des
Tribe Called Quest) fait une apparition dans une version exclusive présente
dans la toute récente ré-édition du disque.
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