Via Dakar & Via Kinshasa
(Syllart Productions/Discograph)
L'Afrique est encore et depuis toujours une source
intarissable d'inspiration et d'expérimentation. La musique est son fluide
vital et même si le continent a été exsanguiné au cours de son histoire, la
culture du métissage a su compenser les ravages d'un passé noirci par
l'esclavage et la colonisation. Syllart Productions épaulées par Discograph
rendent de nouveau hommage à cet étonnant laboratoire de créations musicales
qui a réconcilié dès les années 40 la musique africaine et ses cousines
afro-cubaines et caribéennes. Faisant suite à la collection African Pearls qui
compilait déjà les sons d'inspiration nord et sud-américaine de l'Afrique
moderne des 70's, Afrolatin vient compléter cette immersion dans ces phénomènes
de fusions musicales fascinantes de l'Afrique atlantique avec ses deux premiers
volets dédiés aux capitales Dakar (Sénégal) et Kinshasa (Congo). Entre
réinterprétations et arrangements traditionnels, la vivacité de cet élan artistique
n'a d'égal que le nombre incommensurable de 45 tours qui restent encore à
découvrir dans les caves des innombrables radios africaines. En format double
CD, Via Dakar et Via Kinshasa sont deux nouvelles pierres apportées à
l'édifice...
Frank
Woeste - Double You (Just Looking/World Village)
Né en Allemagne et élevé dans une jam session familiale qui
durera jusqu'à ses classes au Conservatoire de Brême, le jeune pianiste Frank
Woeste pense qu'"être jazzman, c'est un état d'esprit, celui du
chercheur". Dans les traces de ses maîtres à penser, Miles, Monk ou
Hendrix, ce spécialiste du Fender Rhodes assume ses écarts et ses incursions
entre les répertoires du jazz, du rock et de la pop. Débarqué en France en
1997, il se fait rapidement remarquer pour ses expérimentations inspirées au
piano, très polyvalent et toujours respectueux des compositions qu'il
interprète, il s'entoure logiquement de la crème du jazz français et c'est
d'ailleurs avec ses fidèles acolytes qu'il sort aujourd'hui son quatrième album
intitulé W-Double You. Accompagné de Jérôme Regard à la contrebasse et de
Mathieu Chazarenc à la batterie, il est rejoint par Sylvain Rifflet à la
clarinette, Magic Malik à la flûte (ainsi qu'au chant !) et François Bonhomme
au Cor. Frank y explore le théme du contrepoint, superposant ses lignes
mélodiques, main droite et main gauche se partagent les honneurs entre rigueur
de la composition et liberté de l'improvisation. A noter l'étonnante
performance vocale de Malik Mezzadri dans Minimal Animal et Minimal Animal II,
deux morceaux habités d'une atmosphère étrange, travaillée en clair/obscur par
un orfèvre qui mérite toute notre attention.
Dorsaf Hamdani – Princesses du Chant Arabe (Accords
Croisés/Harmonia Mundi)
Chanteuse et musicologue tunisienne, Dorsaf Hamdani fait
partie de cette nouvelle génération d’artistes qui n’a pas peur d’afficher ses
sensibilités, ses opinions et de s’affirmer en tant que femme libre et
indépendante. De formation classique, la jeune artiste va s’épanouir sur scène
et enrichir sa palette au gré des rencontres et collaborations qu’elle savoure
particulièrement. Adepte du Malouf, son art est immergé dans la culture
arabo-andalouse et ses traditionnelles Noubas. Ici, elle chante le répertoire
des 3 divas incontestables du Moyen-Orient : Oum Kalsoum, Fairouz et
Asmahan, qui toutes trois ont su à leur manière tisser des liens entre
classicisme et modernité. Dorsaf est parvenue à capter l’unicité de chacune et
nous transmet modestement l’héritage des 3 Princesses du Chant Arabe, entourée
d’une petite formation traditionnelle : Oud, violon, qanun, ney, tar et
darbouka. Une approche sensible et délicate de la grande musique orientale
donnant ses lettres de noblesse au titre d’Interprète.
Pop californienne empreinte d’africanisme, de tropicalisme
et d’orientalisme, la musique de Fool’s Gold rassemble sans complexe tout un
tas d’influences stylistiques colorées dont le seul et unique but est de donner
un véritable son au mot bonheur ! Ce duo israélien installé à Los Angeles
est entouré de musiciens issus des 4 coins du monde, il publie son second opus
intitulé « Leave No Trace ». A l’instar de ses cousins les immenses
Vampire Weekend, leur écoute est une véritable cure de soleil, une aventure en
terre africaine, moyen-orientale et caribéenne présentée sous la forme d’un
carnet de voyage musical. Luke Top (basse / chant) et Amir Kenan (claviers /
percussions), têtes pensantes du collectif Fool’s Gold, se sont énormément
servis d’internet pour construire leur vocable musical et après un premier
disque remarqué et salué, le challenge était de maintenir leur public en
haleine…ils ont donc incorporé quelques accents 80’s et autres passages synthés
endiablés en abandonnant en partie l’hébreu au profit de l’anglais, ce qui rend
ce « Leave No Trace » plus abordable et accessible. Toujours aussi
dansant, la recette fait mouche et l’esprit festif demeure avec en arrière plan
quelques petites dissonances et autres petits riens charmeurs qui donnent à ce
disque accrocheur un brin de fraîcheur et de spontanéité bienvenue en ces temps
de crise.
Ferran Savall – « Mireu El Nostre Mar »
(AliaVox/Naïve)
Issu d’une famille de célèbres musiciens catalans, Ferran
Savall a baigné dans l’exigent répertoire de la musique baroque dès son plus
jeune âge. Son père Jordi Savall (musicien devenu l’un des moteurs de cette
musique ancienne) et sa mère Montserrat Figueras (chanteuse lyrique soprano)lui transmettent
le vice et à 7 ans Ferran s’essaye au piano et au violon, aujourd’hui il se
partage entre la guitare, le théorbe (une sorte de luth à double manche du XVI°
siècle) et le chant. Sa solide formation musicale lui permet donc d’accompagner
ses parents, mais très vite le jeune prodige développe un univers très
personnel et passe allègrement du baroque au jazz, au blues ou au funk. Â 30
ans, cet éclectisme devient enfin palpable sur son premier opus intitulé
« Mireu El Nostre Mar ». Ce dernier révèle une sensibilité à fleur de
lèvres révélée par un chant doux et profond où le jeune chanteur
« s’impose la recherche d’une voix naturelle et spontanée ». Inspiré
des anciennes mélodies catalanes, Ferran accompagné de son fidèle partenaire,
le guitariste Mario Mas, n’hésite pas à s’approprier les musiques d’ailleurs notamment
sud-américaines (avec l’enivrant morceau La Perla) proposant ainsi une sorte de
tradition réinventée et revisitée grâce à l’« influence multiculturelle
qu’il reçoit de notre temps ». Un artiste qui mérite une écoute
attentive !
FEMI KUTI
& THE POSITIVE FORCE – Theatre Lino Venture le 21 Novembre 2008
Nous pouvions nous attendre à un concert exceptionnel le 21
Novembre dernier avec, à l’affiche du théâtre Lino Ventura, Femi Kuti et son
Positive Force. Mais le cadeau qu’a offert le fils du « Black
President » à un auditoire enivré fut, plus qu’une simple prestation, un
véritable show digne d’une soirée au Shrine à Lagos. Accompagné d’une section
rythmique impressionnante (batteur, percussionniste, clavier, bassiste et
guitariste), d’une section cuivre endiablée (composée de 5 souffleurs solistes
en puissance) et de ses 3 danseuses (chantant aussi les chœurs)le « Prince de l’Afro Beat » en
personne a interprété avec une énergie débordante une musique engagée et
réaliste dopée au funk. En tournée pour la sortie de son dernier opus
« Day By Day », la formation a interprété les principaux titres de
l’album sans une seule interruption accompagnant ainsi la chaleur et l’ivresse
des spectateurs mutés pour l’occasion en danseurs afro. Avec une générosité et
une force rares, Femi a chanté les souffrances de son peuple au Nigéria, il a
évoqué la vie à Lagos et fit un clin d’œil au black president of the U.S.A
récemment élu. Posant son saxophone pour sa trompette, Femi a chanté, crié,
murmuré, parlé, il a aussi joué de l’orgue et a dansé, montrant sans réserve
l’étendue de son savoir-faire… Terminant son spectacle sur un « Water
No Get Enemy » enflammé, il revint pour le rappel en laissant entrevoir
quelques bribes de son prochain disque. Une pure merveille…
Femi Kuti est la voix d’une Afrique unie luttant et dénonçant
la corruption, la dictature et la violence d’états policiers réduisant les
peuples à une misère inconcevable, à l’instar du Nigéria, sa patrie. Comme son
père Fela,
il porte haut le flambeau de l’Afrobeat qu’il a métissé, au gré de
ses influences, de Jazz, de Juju (musique yoruba moderne née au Nigéria), de
High-Life (musique afro-européenne née au Ghana), de Funk, puis agrémenté de sonorités
Hip-Hop et électroniques. Son nouvel opus Day By Day, disponible chez LabelMaison et distribué par Pias, est le cinquième album du « Prince de l’Afrobeat », il nous
offre 12 titres d’une énergie débordante avec un rythme afro aux pulsions
hypnotiques et des textes engagés dans lesquels il témoigne et rend compte de
la situation en Afrique. Il interroge aussi le monde et nous demande « comment le continent le plus riche peut-il
accueillir une population si
pauvre ? » et déclare dans le morceau Day by Day que « Jour
après jour, nuit après nuit, nous travaillons et nous prions pour le règne de
la paix». Aux côtés de son groupe Positive
Force et de toute une pléiade d’artistes comme Keziah Jones, Camille, Julia
Starr (songwriter australienne), Sébastien Martel ou encore son fils Madé, Femi
a déposé son saxophone et s’est armé d’une trompette ; Day
By Day s’inscrit comme un disque d’ouverture, vers nous, le monde et
tout ceux qui veulent entrer en lutte pacifique contre l’oppression et le chaos.
L’influence de Fela Kuti, père de l’Afrobeat, est énorme et son rayonnement a
largement dépassé les frontières de l’Afrique (exemple « The Souljazz
Orchestra » au Canada), son fils poursuit et fait évoluer son œuvre en
transmettant sa vision d’un monde meilleur. Un disque indispensable !