Lucky
Peterson - You Can Always Turn Around (Dreyfus Jazz)
Enfin le blues comme on aime l'entendre, plein de vécu,
d'espoir, de cris et de larmes. Lucky Peterson renaît de ses cendres après une
descente dans l'enfer de la drogue ! Sa traversée du désert, longue et pénible,
lui a sans aucun doute permis de plonger encore un peu plus dans le coeur de
cette musique du Delta et il en revient plus fort et bien meilleur, avec la
voix puissante et vibrante de ces écorchés de la vie. You Can Always Turn
Around est un album qui sonne roots, le guitariste/chanteur et organiste publie
11 reprises toutes plus touchantes et emplies de sincérité les unes que les
autres. De la légende Robert Johnson à l'excellence du jeune chanteur Ray
Lamontagne, le disciple de Jimmy Smith enchaîne les titres comme s'ils étaient
les échos des évènements de sa propre existence. Comme à son habitude, le
bluesman s'amuse à passer de la guitare resonator au piano en passant par les
guitares acoustique et électrique, son génie, comme le prétendent quelques
musiciens l'ayant rencontré, tient en sa faculté à apporter une touche moderne
au blues originel, à rappeler ici les doigtés d'Elton John ou Aretha Franklin
et là, la soul de Ray Charles sur un I Wish I Knew How It Would Feel To Be Free
engagé et grandiose en duo avec son épouse Tamara. A 45 ans Lucky Peterson
signe un de ses plus beaux disques...
Lee
Ritenour's 6 String Theory (Concord
Records/Universal)
Lee Ritenour est l'un des plus talentueux guitaristes de
notre temps malheureusement trop souvent associé au smooth jazz, cette musique
d'ascenseur mal considérée et même dénigrée par quelques puristes. Un bref
retour sur sa carrière montre pourtant toute l'étendue d'un parcours
remarquable, aux côtés de Lena Horne et Tony Bennett à 18 ans, il obtient un
Grammy Award en 1986 et après une quarantaine de disques et plus de 30 titres
bien classés dans les charts, ce musicien de studio nous propose l'aboutissement
de sa carrière, un véritable chef d'oeuvre ! Ce projet qu'il a rêvé et que
Concord Records l'a aidé à réaliser s'intitule 6 String Theory, l'album est un
ravissement tant il est riche et accessible. Accompagné d'une pléiade d'artistes
dont une vingtaine de monstres sacrés de la guitare d'hier et d'aujourd'hui
tels que Mike Stern, BB King, Slash, John Scofield ou encore Steve Lukather,
Lee construit un pont entre les genres et nous ballade allègrement du jazz à la
pop en passant par le blues, le reggae, le rock, la country et la musique
classique. Généreux et admiratif, cet amateur de Gibson influencé par Wes
Montgomery, laisse s'exprimer ses invités de telle manière que le disque entier
reflète passion, sincérité et plaisir. Rarement un casting aussi prestigieux
n'a pu fournir une musique aussi fraîche et réjouissante. George Benson renoue
avec ses premières amours (enfin !) en nous livrant une touchante
interprétation de My One and Only Love tout spécialement arrangée pour
l'occasion. Les bluesmen Keb'Mo et Taj Mahal chantent et jouent un Am I Wrong
ravageur tandis que la légende Pat Martino et son fidèle acolyte Joey
DeFrancesco (à l'orgue hammond) se font rejoindre par le maître d'oeuvre en
personne pour un hommage à Paul Desmond L.P., véloce et élégant. Bref, chaque
morceau est un bijou, les curieux ne seront pas déçus !
Molly
Johnson – The Molly Johnson Songbook (A440/Universal Music Classics & Jazz France)
La chanteuse de jazz d’origine canadienne publie sa première
compilation rassemblant 14 succès ayant ponctué les 11 dernières années de sa
carrière et deux titres encore jamais parus. En 4 albums, Molly Johnson est
devenue une référence incontournable dans le milieu des voix féminines à
l’instar de Norah Jones, Diana Krall ou encore Cassandra Wison… Son répertoire
est formé de compositions originales « Melody », « Lucky » et
de standards comme « Summertime », « Lush Life »ou « I Love You, Porgy ». Avant le
jazz, la diva était plutôt branchée fusion funk/rock avec entre autre le
quintette The Infidels, puis la fièvre soul et R&B l’a finalement gagné
jusqu’à ce qu’elle publie en 2000 son premier opus classé jazz
intitulé sobrement Molly Johnson. Que dire de sa voix ? Unique et
granuleuse, sexy et touchante, profondément blues, une singularité qui évoque
l’ambiance sombre et feutrée des clubs de jazz, elle effleure l’intime avec
classe et grâce…Lorsqu’on la compare, à raison, à Billy Holiday, elle rétorque
« Je ne suis pas Billy, je suis à cause de Billy »… Ce qui en dit
long sur le personnage, une femme fière et honnête. Outre ce timbre enroué
allié à une diction limpide et un vibrato discret, elle a en commun avec la
Lady Day sa prise de position pour les grandes causes, le Sida pour l’une et le
racisme (« Strange Fruit ») pour l’autre. Engagée, belle et
talentueuse, Molly est une grande dame et son Songbook est un précieux présent
qu’elle nous adresse…
Second album du français installé à Marseille Richard Pavon
aka Finca, « Do you Feel My Bone ? » est un condensé d’énergie
electro/pop métissé de beats et de mélodies tropicales, le tout réalisé avec
une guitare électrique, des synthés vintage et un ordinateur… Sorti en Novembre
dernier à hauteur de 69 exemplaires sur le micro-label Rack.u Records (qui prétend
ne pas faire de bénéfices sur l’édition de ses artistes méconnus), l’album se compose
de 10 titres éclectiques et plutôt barrés. De ce pur produit home-studio se dégage
une tripotée de références musicales allant du rock psyché à la techno 90’s en
passant par les percussions caribéennes, la guitare malienne ou encore la pop
colorée des Vampire Weekend… Parfois noisy comme le titre « Coregraphy (Do
You Feel My Bone ?) » ou bien lounge et deep avec « Escape/Never
Escape », la palette de Finca se nourrit d’une culture mondiale. Lescurieux l’écouteront sur Bandcamp et pourront
le télécharger légalement sur les bonnes plateformes…
Chapelier Fou – Invisible (Ici, d’Ailleurs…/Differ-ant)
Multi-instrumentiste combinant les sonorités pop,
électroniques et classiques, Louis Warynski aka Chapelier Fou a su créer un
univers musical singulier classé electronica-acoustique. Sa sphère est peuplée
d’éléments sonores empruntés ça et là au répertoire de la Grande musique avec
des arrangements pour instruments à cordes (et notamment le violon qui est son instrument
de prédilection), à celui de la musique électronique avec quelques incursions
expérimentales barrées programmées grâce à ses machines (boîtes à rythmes,
samplers et autres…)et enfin à celui de
la pop avecses mélodies accrocheuses et
raffinées tissées grâce à quelques synthés vintage, une guitare et parfois une
voix… Le messin enchanteur nous présente son nouvel opus intitulé sobrement
« Invisible ». Il opère en solo, dressant autour de lui un dispositif
électro-acoustique complexe géré par son fidèle ordinateur, mais il arrive
parfois que des anges s’invitent sur un titre comme Matt Elliott dans le mystérieux
et envoutant « Moth, Flame ». Des bruits captés et bouclés font office
de rythmique organique, une guitare fait sonnerdeux cordes sur des mots déprimés et emplis de mélancolie monotone, puis
plus loin un clavier et un violon viennent alléger l’atmosphère et la
complainte lourde et assommante devient une ballade romantique et
cinématographique. Ailleurs c’est Gérald Kurdian qui nous enivre lors d’une
promenade 80’s aux forts accents synthétiques. Le génie du Chapelier Fou réside
dans sa capacité a intégrer dans un même morceau toute une palette d’émotions
et de couleurs qui finissent le plus souvent par déstabiliser l’auditeur sans
jamais le perdre en route, l’équilibre parfait qu’il obtient grâce à sa rigueur
d’écriture et de composition maintient en haleine. De subtiles mélodies que
l’on a l’impression de connaître depuis toujours s’immiscent profondément dans
notre imaginaire et convoquent alors des images fantastiques de paysages
fantasmés habitées d’êtres monstrueux et féériques (« Cyclope & Othello »,
« Le Tricot »)… Ce disque, « Invisible », loin de se
dérober à notre regard, dévoile au contraire toute sa beauté fragile et glacée,
à l’instar de « Fritz Lang », le titre le plus réussi de l’album, il
est hybride, à la croisée des mondes analogiques et numériques. Un pur plaisir
d’écoute pour celles et ceux qui parviendront à trouver le passage secret…
Dusty Kid – Beyond That Hill (Boxer Recordings/Kompakt
Distribution)
Paolo Alberto aka Dusty Kid est un jeune musicien italien
qui avait surpris et enthousiasmé le public et la critique avec son premier
opus résolument minimal, publié il y a trois ans « A Raver’s Diary ».
Il nous revenait en Novembre dernier avec son second disque « Beyond That
Hill » que le producteur a pensé comme une suite logique à son debut
album. Composé de 8 titres et offrant 80 mn de sonorités électroniques
technoïdes tantôt percutantes et entraînantes, tantôt aériennes et hypnotiques,
ce deuxième volet nous expose, tout en finesse, la force et l’immense potentiel
de la machine qui quand elle est contrôlée avec goût pour la mélodie et
ambition de soulever le dancefloor, réalise des merveilles. Ouvrant avec son
très deep « Nora Nights », Dusty Kid choisit de nous envelopper
ensuite dans une nappe psychédélique tournoyante avec « Jknoussa » et
son synthé hallucinogène. Souvent considérée comme glaciale et synthétique, la
techno est un genre fourretout où les différents styles sont légions, mais à
l’instar de Gui Borratto, Dusty Kid sait trouver les accords et les beats qui
réchauffent et font planer, tout en gardant une attention particulière au
groove et aux vibrations, éléments sacrés dans ses compositions. Dans le
morceau Argia, la ligne de basse grasse et puissante nous propulse dans
l’univers techno de Détroit, 14 mn de bonheur ! Puis survient un écart
pop/folk bien venu et bien senti avec un « Chentu Mizas » enchanteur,
dansant et bougrement efficace où voix, guitares et harmonica finissent par
déboucher sur « Beyond That Hill », une interlude atmosphérique sans
aucun beat, une descente vertigineuse vers la bombe techno
« Polybobo », monstrueuse, agressive, sombre et robotique.
« Cheyenne » nous raccompagne ensuite ou plutôt nous ramasse presque
inanimés avec ses sons de guitares plus rassurants pour nous conduire droit
vers les 23mn32 de chill out offert par le dernier titre « That
Hug », magnifique et profond. Bref Paolo nous invite au voyage en terre
artificielle, Beyond That Hill est notre guide et son message est universel…
Lee Fields
and The Expressions – Faithful Man (Truth & Soul/Differ-ant)
Lee Fields…! Vous le connaissez…Mais oui, c’est ce chanteur charismatique
qui ressemble comme deux gouttes d’eau à James Brown et qui a interprété une
bonne partie des succès funky produits par le Dj/producteur français Martin
Solveig dans ses albums Hedonist (2005) et C’est la vie (2008). Les titres
« Jealousy », « Everybody », « I Want You » ou
encore « Superficial » portent sa marque inimitable et résonnent
encore sur les dancefloor grâce à cette voix rauque et tendre à la fois, qu’il
allie à son énergie décapante. Ce grand Monsieur de la Soul Music est originaire
d’un petit village de Caroline du Nord, il sort son premier single « Bewildered / Tell Her I Love Her » en 1969. Après 43 ans de carrière, dont une longue traversée
du désert, des collaborations prestigieuses (Kool And The Gang, Little Royal…)
et des albums de qualité, on ne compte plus ses flirts avec la funk, le blues
lo-fi et autres sonorités old school. Lee Fields n’est pas seulement un enfant
de la black music des 60’s ou un ersatz du son R&B Vintage très en vogue en
ce moment, il EST la Soul : un diamant brute que l’on redécouvre aujourd’hui
avec une petite merveille intitulée « Faithful Man ». Le vétéran
s’est entouré pour l’occasion des producteurs émérites du label de Brooklyn Truth
& Soul, habitués à signer des pépites que l’on compare souvent aux
productions de la Motown. Little JB, comme certains le surnommaient dans les
années 70 grâce à sa ressemblance frappante avec le Godfather Of Soul, cultive
sa puissance vocale depuis l’enfance où les gospels des chœurs de l’église de
Wilson l’ont peu à peu poussé vers les flammes diaboliques d’Eddie Floyd et les
sonorités brûlantes du label Stax Records. Accompagné de son band The
Expressions, la formation nous rappelle les 2 pionniers légendaires de
Philadelphie : The Delfonics et The Stylistics. Enracinée dans ce terreau endémique
aux U.S., celui de cette musique noire qui influence encore aujourd’hui le paysage de la variété, de la pop et autres
sons urbains du monde entier, elle nous donne une vision authentique de ses
années 60 et 70, prolifiques et mythiques. Alternant les rythmiques vitaminées
(« I Still Got It ») et les ballades envoutantes (« Whish You
Were Here ») dont seulOtis Redding
avait le secret,Lee Fields nous régale du
premier au dixième titre de cet opus indispensable… Une légende vivante !