Pierre Drevet, Claire Vaillant, Brussels Jazz Orchestra - EchangƎ (Lilananda/Inouïe Distribution)
Enregistré lors d'un concert capté le 27 Novembre dernier au Manège de Vienne avec le concours du label GénérationSpedidam, EchangƎ est le dernier opus en date du trompettiste, compositeur et arrangeur français Pierre Drevet. Accompagné par sa complice, la chanteuse Claire Vaillant et le Brussels Jazz Orchestra - qu'il côtoie maintenant depuis près de 20 ans (Ravel 2.0,...) - l'artiste nous y offre un répertoire de sept compositions et un arrangement pour big bandau son orchestral absolument captivant, où la chaleur, la virtuosité et le torrent d'émotions que délivrent les cuivres font vibrer nos âmes sensibles au fil d'un swing radieux et généreux, riche de l'héritage légué par les immenses mélodistes de la musique classique du début du XX° siècle et les piliers du jazz moderne.
Dans un tout autre registre mais avec toujours le même ardent désir d'explorer et de rapprocher les univers musicaux qui alimentent son jeu brûlant et son écriture inspirée, le saxophoniste et flûtiste Samy Thiébault nous livrait le 20 Septembre dernier Symphonic Tales, oeuvre magistrale enregistrée avec l'Orchestre Symphonique de Bretagne dirigé par le jeune Aurélien Azan Zielinsky. Si dans son précédent Caribbean Stories l'artiste revisitait l'Amérique latine, il s'attache ici à concilier musique classique, jazz et rythmes indiens dans une symphonie aux envolées de cordes épiques, riche d'une orchestration vibrante et sans faille dans laquelle planent les spectres bienveillants de Duke Ellington, Miles Davis, Ravi Shankar, John Coltrane, Horace Silver, Maurice Ravel, Claude Debussy ou encore Gabriel Fauré. Samy s'est entouré pour l'occasion d'une garde rapprochée fidèle et solide où s'y côtoient ses complices de longue date Adrien Chicot au piano, Sylvain Romano à la contrebasse, Philippe Soirat à la batterie et Sébastien Vidal à la réalisation, sans oublier l'une des pièces fondamentales du projet, le joueur de tablas Mossin Kawa.
Rien que le casting de ce Thode Thode promet, et avant même la première écoute de ce troisième volet du Medium Ensemble on est séduit! En effet, l'infatigable pianiste à l'origine du projet, Pierre de Bethmann, présent sur bon nombre de disques parus cette année (Laurent Bonnot, Rémy Gauche, ...) poursuit l'aventure lancée avec Sisyphe puis prolongée par Exo, en gardant la formule d'un orchestre de solistes inspirés, réduit cette fois-ci à une section puissante de six cuivres, et reposant sur l'association, à la couleur harmonique unique, du piano et du vibraphone de David Patrois (combinaison également choisie par Daniel Goyonne dans son dernier French Keys). Soutenue par une section rythmique renversante menée par le contrebassiste Simon Tailleu et le batteur Karl Jannuska, s'y expriment ainsi aux saxophones ténor Stéphane Guillaume (aussi à la flûte) etDavid El-Malek, Sylvain Beuf au saxophone alto, Thomas Savy à la clarinette basse, Sylvain Gontard à la trompette et Denis Leloup au trombone.
L'album aligne 8 compositions grandioses et sophistiquées, réunies en deux albums enregistrés au cours de l'été 2018 à Paris... Une programmation débordante d'énergie et de lyrisme, un cocktail jouissif de sonorités cuivrées!
Kamasi Washington - Heaven and Earth (Young Turks)
Dans des œuvres aussi prenantes, denses et riches que celles du saxophoniste américain Kamasi Washington, l'auditeur entrevoit la porte d'entrée, l'emprunte, mais pris par surprise, oublie vite de chercher la sortie, préférant s'égarer dans un dédale d'influences et de références musicales, où toutes notions de temps et d'espace se délitent. La puissance, le génie et l'immense raffinement de l'artiste imposent, outre le respect bien sûr, la divagation, l'introspection, la réflexion et l'exaltation des sens. Cette ivresse ressentie quand tout s'accorde, quand les souvenirs se conjuguent au présent et que les aspirations se confondent à la réalité, s'exprime parfaitement dans cette dernière odyssée livrée par un jazzman sorcier. Intitulée Heaven and Earth, elle est constituée d'un double album, qui succède au triptyque grandiose que futThe Epic, publié en 2015 sur Brainfeeder.
La diversité des compositions de Kamasi est à l'image de la constellation d'artistes qui gravitent autour de lui, de ses amis Herbie Hancock et Flying Lotus au collectif jazzWest Coast Get Down (Thundercat, Josef Leimberg, Dexter Story et Ryan Porter), en passant par ses influences majeures (John Coltrane, Roy Hargrove) ou les figures emblématiques de la scène californienne (Horace Tapscott, Build An Ark).
En véritable virtuose de l'écriture, il construit des orchestrations dramatiques et des arrangements épiques dignes des plus grands compositeurs de musique de film. Il combine avec éloquence le pluralisme et la sophistication dujazz au discours incisif et réaliste du hip-hop, mais plus largement célèbre le groove sous toutes ses formes, bousculant des frontières entre les genres qui n'ont finalement aucune raison d'être.
Signer son disque chez l'anglais Young Turks est déjà un geste fort en soit, car il ne s'agit pas d'un label spécifiquement jazz, mais plutôt ouvert à un vivier de créateurs originaux et novateurs, s'illustrant autant dans l'électro et la pop que dans le R&B (Jamie XX, FKA Twigs, SBTRKT, Sampha...).
Entouré de sa garde rapprochée, The Next Step et de quelques complices prestigieux comme le contrebassiste Miles Mosley, le saxophoniste a souhaité, selon ses propres mots, représenter dans son volet Earth"le monde tel qu'il le voit de l’extérieur, le monde dont il fait partie. L'Acte Heaven montre quant à lui, le monde tel qu'il le perçoit de l’intérieur, le monde qui lui appartient. Son identité et ses choix reposent quelque part entre les deux".
Bien que perché, mystique, cosmique et psychédélique, le jazz crossover de Kamasi est avant tout politique, il s'inscrit pleinement dans l'actualité et son urgence, intégrant parfaitement un héritage légué en grande partie par la population afro-américaine. Heaven and Earth fait appel àtout un pan de la mémoire collective des Etats-Unis, puisant sa matière et son inspiration dans le gospel, le cinema, le jazz symphonique, le jazz vocal, l'afrobeat et les rythmes afro-latins, le free jazz de Sun Ra, le jazz rock de Zawinul et Herbie Hancock, la soul et le funk des années 70, le spiritual jazz de Coltrane et Pharoah Sanders... Parfois toutes ces influences se retrouvent piégées dans un seul et même morceau, c'est dire le haut niveau technique et le besoin insatiable qu'éprouve Washington à partager avec nous et ses musiciens tout ce qui le taraude et le révolte, toutes ces questions en suspend et ces non-dits qu'il transmet avec le brio qu'on lui connaît! Il explore un espace qu'avait défriché avant lui des géants, dont le plus illustre n'est autre que Miles Davis, élevé de son vivant au rang de pop star, de figure incontournable comme semble le devenirce nouveau messie du saxophone à la garde-robe d'Earth Wind and Fire.
Sly5thAve - Still D.R.E. (Edit) / Let Me Ride feat. Jimetta Rose (Stro Elliot Remix) (Single) (Tru Thoughts)
Le producteur et multi-instrumentiste ancré à Brooklyn, Sly5thAve, publiait le 6 Avril dernier sur Tru Thoughts le 4° single extrait de son dernier The Invisible Man: An Orchestral Tribute To Dr. Dre. Nous ayant déjà converti à sa touche symphonique inimitable avec ses précédents "Let Me Ride", "Shiznit" et plus récemment "California Love",Sylvester Uzoma Onyejiaka II en remet une couche, avec ce titre emblématique de l'album The Chronic que l'immense Dr Dre produisait en 2001. L'arrangeur réimagine "Still D.R.E." en prenant soin de conserver un juste équilibre entre son interprétation du thème et la vision originale de Dre, le fameux riff de piano à l'ouverture du morceau annonce d'emblée la couleur... Une reprise majestueuse et orchestrale accompagnée d'un nouveau remix aux accents soulful de "Let Me Ride feat. Jimetta Rose", réalisé par Stro Elliot, producteur, musicien et MC basé à Los Angeles qui, après avoir œuvré pour Phonte ou Eric Robertson et partagé la scène du Wu-Tang Clan, a rejoint la team de The Roots en 2017.
Sly5thAve - California Love feat. Cory Henry (Edit)/The Edge feat. Quantic (Swarvy Remix) (Tru Thoughts)
Le producteur, multi-instrumentiste Sylvester Uzoma Onyejiaka II alias Sly5thAve publie via le label de Brighton, Tru Thoughts, le troisième extrait de son dernier opus The Invisible Man: An Orchestral Tribute To Dr. Dre. Après "Let Me Ride" et "Shiznit", où le new-yorkais entouré de son orchestre invitait respectivement la diva soul Jimetta Rose et le claviériste Jesse Fischer (complice avec qui il enregistrait en 2015 l'EP Vein Melter en hommage au fameux Head Hunters d'Herbie Hancock), c'est au tour de deux autres thèmes phares de l'album iconique de Dr Dre datant de 2001, The Chronic, d'être célébrés : "California Love" immortalisé jadis par l'immense 2Pac et "The Edge", titre original du célèbre compositeur et acteur écossais, David McCallum, que Dre a échantillonné et rebaptisait "The Next Episode".
Dans le premier titre, Sly5thAve a convié le claviériste, vainqueur d'un Grammy Awards, Cory Henry. Ce dernier faire rejaillir d'outre-tombe l'aura et l'énergie du rappeur Tupac Shakur,sur une orchestration raffinée et flamboyante auxdélicieuses saveurs G-Funk, sonorités qui dominaient à l'époque largement la scène hip-hop west coast.
Sur la face B du single, Sylvester Uzoma Onyejiaka II et son ensemble interprètent le mythique "The Edge", thème absolument incontournable au groove langoureux et à la mélodie captivante. Magnifiquement réarrangé avec, dans sa version originale, le featuring de Quantic, il est ici remixé par le producteur de L.A., Swarvy, qui marque davantage la rythmique et l'enrichie de quelques ornements de synthés et d'FXs.
Sur le papier, avant même de poser son disque sur la platine, le nouveau projet de la jeune vocaliste parisienne Ellinoa séduit d'emblée : Wanderlust est un recueil de 12 pièces orchestralesgrandioses et épiques, composées et arrangées par ses soins autour de 8 mots mystérieux et intraduisibles, extraits de langues issues des 4 coins du monde.
Entourée de 14 musiciens émérites, familiers des scènes jazz de la Ville Lumière - un quartet rythmique piano/guitare/contrebasse/batterie, un quatuor à cordes et un quintet à vent (cuivres et bois) pour les effets de dynamisme et les atmosphères cinématographiques - la chanteuse réalise un tour de force étincelant, une véritable prouesse artistique et esthétique où elle utilise sa voix comme un instrument à part entière, un vecteur d'émotions, dépourvu de paroles mais impressionnant d'expressivité. Les envolées lyriques des vocalises et les improvisations débridées des instrumentistes, combinées à une écriture mélodique puissante et colorée, racontent des histoires captivantes et fantastiques, évoquant avec poésie des paysages gracieux d'une rare beauté. Entre swing nébuleux, groove cosmique, orchestrations classiques impressionnistes et ambiances jazz-rock explosives, Wanderlust est un déferlement d'énergie, de vibrations et de talents, la traduction musicale d'un monde imaginaire singulier dans lequel on se perd volontiers.