Sublime & Jun Miyake – Ludic' (Yellowbird Records/Enja)
Jun Miyake revient après nous avoir enchanté en 2008 avec
son magnifique Stolen From Strangers, où bossa nova côtoyait electronica, jazz,
chanson française et lamentation nippone. Accompagné de la chanteuse Sublime,
exhilée au Japon, il nous propose aujourd'hui une nouvelle aventure musicale
pleine de surprises et de poésie intitulée « Ludic' ». Le
trompettiste et compositeur installé à Paris depuis 5 ans explore en effet
toutes les facettes d'une collaboration féconde depuis 1985, il remet au
service de la voix et de l'écriture de la pétillante française des
instrumentations inspirées toujours aussi colorées et précieuses. Féria nous
emmène du côté de l'Argentine où le tango pointe son nez sur les paroles d'un
taureau exaspéré s'apprêtant à charger la foule, le tango encore dans un
Thriller Latina qui raconte l'enquête d'un inspecteur bien décidé à élucider un
crime sanglant puis, plus loin, une fanfare mexicaine accompagnant l'éloge
funèbre de Chiquito, pauvre donneur d'organes...Les premières amours du maître
d'œuvre transparaissent ensuite dans des titres somptueux tels que la petite
annonce d'un Chinchilla, cherchant un rôle au music hall, interprétée sur un
air de jazz jouissif et entraînant, mais aussi dans la ballade Au Clair de Lune
où la trompette enchanteresse de Jun accompagne l'infidélité d'une femme
attirée par les belles choses...La bossa avec Mem' Pas Peur!, un affront
résigné à la mort ou Ludic', l'histoire d'un amant lassé...Les balkans avec Je
Trace ou l'emploi du temps d'un homme pressé et sans attache...L'electronica
avec un hommage sensuel et magique à Tokyo (je t'aime)...Un disque riche d'une
grande fraîcheur et en prime la découverte d'une voix rare et d'une écriture
originale.
Laurent de Wilde, as des claviers, et Dominique Poutet alias
Otisto 23, maître de l'improvisation devant ses écrans et ses programmes, nous
convient pour le seconde fois à explorer leur univers musical organique et
électronique fait de bruits, d'interférences, de notes et de samples. La
complicité de nos deux artistes donne corps à leur musique, le premier produit
des sons au piano et le second traite le signal, le remodèle puis le renvoie
vers le pianiste qui réagit à son tour. La substance produite est étrange,
troublante et instable. Des mélodies se font et se défont au gré de la
conversation et des phrases qu'ils s'adressent. Le spectre d'Amon Tobin n'est
pas bien loin. Parfois une assise rythmique donne le pas plutôt technoïde et ailleurs
des nappes atmosphériques se superposent et se brouillent pour finalement
former un nuage électronique sombre et opaque. Intitulé Fly, ce disque censé
nous faire échapper à la pesanteur est à classer dans le répertoire Exploration
et Expérimentation de votre discothèque...Une aventure audacieuse et risquée !
Le Dj attitré du célèbre hôtel parisien nous revient avec un
nouvel opus, le 14ième de la collection labellisée Pschent. Comme à son habitude
Stéphane Pompougnac distille avec maestria une compilation down-tempo et
mid-tempo rassemblant ce qui se fait de mieux dans l'actualité musicale
électronique lounge. Dénicheur, révélateur et faiseur de tendance, notre Gilles
Peterson hexagonal réussit là une magnifique prouesse. En 11 ans d'exercice et
13 volumes d'exception (le n°13 n'existe pas, superstition oblige !),
l'identité Hôtel Costes est inébranlable et les choix de Stéphane toujours
aussi précieux et originaux. Arborant des valeurs sûres comme le légendaire
tandem Tosca ou encore l'immense duo allemand Boozoo Bajou (remixé ici par
Afterlife, maître du chill-out anglais, sur le titre YMA), Hôtel Costes 14 nous
fait aussi découvrir de nouveaux talents forts prometteurs comme Raphael
Gualazzi, excellent pianiste et chanteur italien dont la voix de velours oscille
brillamment entre le timbre asexué d'Anthony Hegarty et celui plus profond de
Nina Simone. Tant que la qualité prévaut et que la curiosité demeure, les
compilations Hôtel Costes poursuivront leur dessein de tamiser nos soirées en
before. À noter entre autres perles, l'énorme titre reggae-soul Voices produit
et arrangé par le grand Blundetto et servi par la voix sensuelle d'Hindi Zahra,
ou l'intimiste version de Ma Benz, bombe hip-hop du Suprême NTM, revue et
adoucie par le torride duo féminin Brigitte. Un pur moment de bonheur et de
découverte !
Squarepusher est l’un de ces phénomènes qui font de la planète
Electro un réservoir de créativité et d’énergie au moins aussi riche que sa
grande sœur la planète Jazz. Né en 1975 en Angleterre, initié au jazz de Miles
Davis ou de Charlie Parker par son père, et aux musiques électroniques par LFO et
Carl Craig, Squarepusher (Thomas
Jenkinson) bâtie son vaisseau amiral comme Noe a bâtie son arche : son
ingéniosité et sa technicité sans limite a permis la réunion et la rencontre de
plusieurs influences, de divers horizons musicaux en un même lieu. Le temps
d’un album, il nous rappelle que la musique est une toile dont les mailles de
qualité et de formes différentes se resserrent pour faire corps. « Just
A Souvenir », son 11ème album signé sur Warp Records, est une merveille pour qui veut s’attarder à l’étude
de ses expérimentations dissonantes et distordues voire psychédéliques, alternant
couleurs jazz, funk, rock et drum & bass dans un rythme effréné. Thomas
pond ici un opus plus ouvert et plus facile d’écoute donc à l’évidence
dérangeant pour les fans, il explique que « l’album a débuté à la suite
d’un rêve éveillé au cours duquel il a assisté à un concert délirant d’un
prodigieux groupe de rock ». Star
Time 2 est une introduction disco très dansante, s’en suit le titre The Coathanger, aux influences
electronica funky et jazzy, où les talents de bassiste de l’artiste nous
rappellent un certain Jaco Pastorius. Puis après quelques interludes aux
allures de nappes sonores fragiles et dissonantes où les mélodies sont
triturées et manipulées grâce à la machine, Squarepusher nous livre Delta V, véritable bombe envoyée comme
premier single de l’album, hymne drum & bass/jazz/rock qui rameute les SQ
addicts et convertit les futures adeptes…Ah ! qu’il est bon d’en prendre
plein la tête !
Qui n’a jamais écrit, adolescent, quelques secrets, quelques
pensées intimes qui devenaient trop lourdes à garder ? Le premier « Amour », les premières
déceptions ou désillusions, le désir…bref, qui ne s’est jamais confié à son stylo ?
Spleen se livre « Comme Un Enfant », ses mots sont ceux de la fraîcheur
et sentent bon la sincérité et le vécu. Une œuvre intimiste et pure où hip-hop,
pop, rock et soul se côtoient et se marient à merveille sur des textes
puissants et pertinents. A une époque où les émotions se déballent à tout va,
grossièrement, et où le voyeurisme et la pornographie sont les nouveaux
maîtres-étalons du marché de la musique, la sensibilité à fleur de peau de
notre petit parisien d’origine camerounaise apparaît alors « Telle Une Belle Rose ».
La magie de ce second opus, puisque Spleen nous avait déjà enchantés
avec « She Was A Girl »,
opère à l’évidence grâce à cette voix qui murmure, chantonne, bredouille, parle
et crie en français ou en anglais des mots qui pourraient aussi êtreles nôtres. Serge Gainsbourg n’est pas loin,
il fricote sur une étagère avec Sly Stone et Fela Kuti, le monde musical de
Spleen est sans frontière, à l’image de ses collaborations avec les
frangines new-yorkaises Cocorosie,
Devendra Bahnhart, ou encore à l’image de ses scènes partagées avec Keziah
Jones, Yael Naïm… « Tu
l’aimeras » est le premier single de l’album, une chanson vibrante où
la voix de Spleen, remplie de douleur et de peine, dépeint le chagrin et la
colère d’un homme « qui pleure son nid d’amour », car Elle « a
choisi l’autre », avec « sa grande gueule de riche ». Slameur
séducteur et beat-boxer subtil, Spleen nous livre un véritable trésor, c’est
sans doute une des plus belle sortie française de l’année 2008 !
La Belgique ne nous régale pas uniquement de sa bière et de ses
chocolats, sa scène jazz y est en effet très active depuis l’après-guerre avec
des icônes de renommée internationale tels que l’harmoniciste Toots Thielemans
ou encore le guitariste Philip Catherine… Mais c’est véritablement à partir des
70’s que le jazz belge va s’ouvrir au grand public en y intégrant notamment des
composantes funk, rock et psychédéliques héritées d’outre atlantique. Dans ce contexte
de « fusion » des genres musicaux, le quintet Solis Lacus mené par le
pianiste Michel Herr va incarner un certain renouveau dans le paysage
jazzistique européen. Réunissant autour de son Fender Rhodes des musiciens
d’exception comme le trompettiste Richard Rousselet, le saxophoniste Robert
Jeanne, les batteurs Bruno Castellucci ou Felix Simtaine et le bassiste de
Placebo Nick Kletchkovsky, le projet Solis Lacus devient rapidement le pendant de
l’ancien continent aux expérimentations bouillonnantes sévèrement groovy et
électriques de l’américain Herbie Hancock et ses Headhunters. Paru
originellement en 1974 chez EMI, l’album éponyme ressort de l’oubli grâce au
label parisien Heavenly Records à qui l’on doit aussi les rééditions du
trompettiste Don Cherry ou de l’énigmatique pianiste Raphael, ainsi que de
quelques pépites oubliées ou disparues piochées dans l’énorme répertoire de la
maison Blue Note . En écoutant ou en réécoutant Solis Lacus la modernité
frappante des idées de Michel Herr apparait dès les premières mesures et on se
replonge alors dans les sonorités avant-gardistes de cette formidable époque
qui fut celle de la période électrique de Miles Davis et des métissages visionnaires
de Zawinul et des Weather Report. Bref, Solis Lacus est album incontournable et
essentiel !
SO KALMERY – « Brakka Music » (World
Village/Harmonia Mundi)
Originaire de cette contrée si souvent citée pour ses
conflits et autres renversements politiques, So Kalmery né en 1955 à Bukavu
dans la région Est du Zaïre. A 7 ans il perd son père lors de la répression
anti-lumumbiste, puis à 14 ans sa carrière commence et la musique l’éloigne
alors du Congo et de son lot de malheurs. Chanteur, compositeur et danseur, So
Kalmery joue la Brakka Music, un des ancêtres probables du rap, avec ses
rythmes ancestraux et sa danse acrobatique auxquels sont intégrées des
influences urbaines au fort accent de combat social et politique. Sa
« musique d’éducation » impose la parole avant l’action, voyageur et
mélomane, l’anglais et le swahili sont ses armes et sa quête est la recherche
insatiable de ses racines. « Brakka System », dernier opus succédant
à « Bendera » sorti en 2001, illustre une ouverture d’esprit très
humaniste axée sur la découverte et le métissage. Le Brakka de So Kalmery se
frotte en effet au Brésil d’un Seu Jorge avec « Regea »
(« Reviens, la terre t’appelle »), à l’afro-beat avec
« Makout », au oud oriental avec « Kamitik Soul » (où la
question de nos racines est posée comme fondation de notre identité), au reggae
avec « Pessa » ou encore au Blues, bien sûr, avec les excellents
titres « Sema » et « Waira » dans lequel le guitariste rend
hommage aux artistes ayant su marquer leur temps grâce à leur courage et leurs
engagements (Charlie Parker, John Lennon…). Tantôt électrique, tantôt
acoustique, la musique de cet homme sage et généreux nous emmène au cœur d’une
Afrique de toutes les cultures… « Let’s groove to the Brakka music
[…], All we need is love […], Give chance to the future… ».