À l'instar de John McLaughlin ou Pat Metheny, le guitariste
français d'origine vietnamienne, Nguyêne Lê ne s'est jamais cantonné à jouer un
style musical en particulier. Bien-sur c'est l'école du jazz qui l'a mis sur la
voie mais son ouverture d'esprit, ses expériences et son goût naturel pour la
découverte et la musique plurielle ont tracé un parcours étonnant fait de
rencontres significatives incalculables (Ray Charles pour le Rythm & Blues,
Richard Bona ou encore Gil Evans pour le jazz, Cheb Mami ou Kakoli pour la
World...). Saiyuki ou Chronique du Voyage vers l'Ouest est un disque subtil et
inspiré, où l'est de l'Asie échange avec l'ouest, où le Japon incarnée par la
magnifique Mieko Miyazaki au koto flirt avec l'Inde des virtuoses Prabhu
Edouard aux tablas et Hariprasad Chaurasia à la flûte bansuri. Rencontre au
sommet donc, sous l'égide d'un Nguyêne Lê curieux et fasciné. En dix titres
envoutants, même le profane se surprend à rêver éveillé, voguant sur les
mélodies enchanteresses tissées par le chant d'une flûte, d'une voix, ou d'un
instrument à cordes, puis brodées du motif expressif et complexe des
percussions aux trois peaux. Le son de Saiyuki est, pour faire simple, World
Jazz ou plus sérieusement, la conjonction de trois traditions musicales
(Occident, Inde etJapon) autour de
thèmes qui laissent l'improvisation accorder les cordes et les souffles...Une
fabuleuse épopée poétique, une quête mélodique.
NADA ROOTS – « Super Star » (Karcajou
Productions/Anticraft)
Originaire de Montpellier, le combo des deux compagnons de
roots Daniel Gigant (alias Nada) chanteur/narrateur et Frederic Wheeler (aka
Alfred) guitariste/multi-instrumentiste, nous présentent leur premier
album Super Star. De parents réunionnais, Nada a grandi à la montagne au
Tampon et à St Denis, puis à l’âge de 17 ans il suit sa mère en métropole. De
déceptions en déprimes, il se plonge dans la musique et s’investie à fond dans
différentes formations en temps que bassiste/chanteur et dans la production
notamment avec les albums d’ARM Posse (feat. Tiken Jah Fakoly ou encore Sergent
Garcia). Quant à Fred, son parcours est tout aussi atypique, fait de voyages et
de mobilité, après un an et demi d’apprentissage au Viet Nam, il ramène le
Thorung, le Dan Kim ou encore le kayagum, et surtout une grande ouverture
d’esprit…Nada Roots propose donc une musique offerte aux multiples influences
de notre monde coloré. Les textes de Daniel, poétiques ou politiques, parlant
de nos racines et du quotidien d’un monde ambiguë et contrasté, sont
interprétés façon Gainsbourg avec la voix d’un Grand Corps Malade : du
slam, du hip-hop (« Des Larmes ») et du Maloya. La guitare et les
machines accompagnent très respectueusement et très justement ses ballades
acoustiques émouvantes et métissées aux ambiances tantôt reggae/dub
(« Touré » ou « Cqfd »), tantôt créole (« Largue La
Po »). Des invités prestigieux enrichissent cet opus prometteur et
touchant, Lio sur « l’Elan de l’Ame », Leina Rodriguez sur
« 2U » ou Sélim Maziz sur « Pas d’Ici ».
Originaire de Rouen, Mr
Lab !, derrière qui se cache Yves Labbé, compositeur, guitariste et
chanteur, nous présente son second opus « Postindustrialceremony »
paru chez Jay Jay Productions et coproduit par Pedro Resende (l’orphèvre de
Tahiti 80). Il succède à « And Now It’s Time To Go… », découverte
indé de 2004 aux sonorités pop-rock atmosphériques assez proches des univers
envoûtants et planants de Air ou des Pink Floyd. Beaucoup plus énergique et
orienté rock à l’image du titre « Be », ce deuxième album est
résolument celui de la maturité et de l’équilibre (entre énergie électronique
et intimité acoustique). Yves, accompagné de Frank Bessard à la batterie, Greg
Boust aux platines, Toz à la basse et Thomas Schaettel aux claviers, pond ici
un disque puissant aux fortes influences anglo-saxonnes, qu’il a conçu comme
l’illustration musicale d’un constat pessimiste, celui de l’absurdité d’une
société célébrant la surconsommation (« Gravy Machine »), la vitesse,
la suractivité et la surexploitation des ressources naturelles, Mr Lab dépeint ainsi un monde perdant ses
repères « Lost », sujet à la solitude et à l’abandon (« From
Me » ou « Not There »). Passant d’une ambiance planante et
envoûtante à la violence des guitares rock saturées,
« Postindustrialceremony » nous annonce la fin d’un monde en sursis…
D'origine néerlandaise, ce grand monsieur de la chanson est
sans doute l'artiste le plus apprécié et respecté de la scène folk
"underground" européenne, trop rare sa popularité est bien sûr moindre
que les jeunes formations à l'ascension fulgurante qui ponctuent les charts du
moment, mais son parcours et son style si singulier en font un personnage
atypique, hors mode et hors norme, un esprit poète éprit de liberté...sa
musique en est d'ailleurs que plus authentique. Dick Annegarn publie
aujourd'hui son 20ème opus, une pépite comme à son habitude, dans lequel il
retrouve ses premières amours, quelques titres folk et blues magiques empruntés
au répertoire roots américain, grâce auxquels il apprit jadis à plaquer ses
premiers accords sur le manche d'une guitare sèche. Voyageur et chanteur
engagé, cet amoureux de la note bleue nous propose pour la première fois de sa
carrière un recueil de reprises, des morceaux intemporels immortalisés d'antan
par Louis Armstrong, Ray Charles ou encore Elvis Presley et réinterprétés ici
en toute simplicité avec son timbre de voix rocailleux et son coeur plein
d'humilité et d'admiration. Entre douceur et rudesse, Folk Talk rend un hommage
vibrant à la mythologie américaine et à ses chansons rurales qui durent par la
force de leurs mélodies combinant trois petites notes : Do, Sol et La mineur.
On y écoute les ballades Careless Love et Love Me Tender, le tube Fever ou
encore l'immense chant du prisonnier House Of The Rising Sun... des airs que
l'on fredonne, que nos parents sifflaient hier et que nos enfants chantonneront
demain. Le génie de Dick est précisément là, sans artifice ou effet de style,
il chante le blues à l'état pur, ce cri d'une âme vendue au diable, éraillé et
discordant mais tellement beau.
C'est un phénomène sur scène, une productrice avertie en
studio, un graphiste et designer doué, Missill a su imposer sa vision du son
club mixant dans une ambiance pixellisée et fluorescente l'electro-pop-rock
survoltée de MIA et le hip-hop synthétique et punchy de Dizzee Rascal. Enchaînant
les performances live, la
Djette offre au public un spectacle total, alliant à sa
musique supersonique la vidéo animée, contrôlée par sa fameuse machine: la "Missill
Game Girl" (controleur midi). Kawaii est le premier opus de la belle, il
concentre tout l'univers techno-vintage de Missill. Inspirée voire obsédée par
les premières consoles de jeux vidéo, elle construit sa musique sur une base de
samples des fameux Atari ST ou Game Boy, puis booste le tout au shaker et
accélère le tempo pour enfin y glisser brutalement les flows matraqueurs et
entraînants de Rye Rye (petite protégée de M.I.A.), Raw Dog ou encore Tigarah.
Kitsch, rétro-futuriste, techno, Dubstep...la signature de Missill est unique,
son projet plutôt novateur dépasse le monde du disque, en effet son avatar
manga vient d'entrer dans le monde virtuel grâce à sa collaboration avec le studio
Egg Ball. Une application iphone vient d'être publiée sur l'appstore, il s'agit
d'un jeu de plateforme (dont Missill est l'héroïne) à l'esthétique 8bit proche
des Sonic et autres Mario de notre jeunesse, lorsqu'ils se pavanaient encore
avec leurs bons gros pixels bien visibles et colorés...Bref, Kawaii est une
expérience à vivre...ou à subir !
Minimal Orchestra – « Dada_dada » [Ozore Age - Pias]
Trio electro-jazz français originaire de Toulouse, Minimal
Orchestra prend des allures d’usine à beat drum’n’Bass tournant à la vapeur
rock avec quelques incursions expérimentales et hip-hop. Sous l’impulsion de
Thomas Terrien aux claviers et sampler, accompagné de Pierre-Jean Trouette à la
basse et contrebasse et de Ghislain Rivera à la batterie et sampler, le groove
ravageur de M.O. arrache au jazz sa liberté et sa polymorphie afin d’accéder à son
univers musical, proche de Cinematic Orchestra, 4Hero ou encore de
Squarepusher. La spontanéité du jeu des instruments mariés à la déferlante
sonore élaborée grâce aux machines, tantôt suave et atmosphérique tantôt
incisive et terriblement dansante, fait de cet opus au nom évoquant une
ritournelle que l’on fredonnerait « Dada_dada », une œuvre gavée
d’instantanés semblant avoir été prise sur le vif, accessible et efficace.
Ozore Age, label de Sayag Jazz Machine et de Tambour Battant, ne s’est pas
trompé en proposant cette formation qui, à coup sûr, séduira les amateurs en
live…
Karim Ziad
& Hamid El Kasri - Yobadi (Accords Croisés/Harmonia Mundi Distribution)
Karim Ziad et Hamid El Kasri ont tous deux fusionné leurs
héritages culturels respectifs au service d'une sensibilité commune pour la
musique gnawa. Originaire d'Algérie pour le premier et du Maroc pour le second,
les deux amis publient un magnifique projet intitulé Yobadi. Karim, batteur d'exception
auprès de Cheb Mami et Joe Zawinul, s'allie à la voix et au hajhouj d'Hamid,
héritier des grands maalems gnawa de son pays. Harmonies jazz, rythmes funk et mélodies arabes sont donc au rendez-vous dans ce "roman musicale
d'amitié" tourbillonnant et jouissif. Rejoint entre autres invités de
marque par le brillant guitariste franco-vitnamien Nguyên Lê (jazz rock/world
music), le bouillant pianiste franco-serbe Bojan Z (jazz/folklores d'Europe de
l'Est) et la star hexagonale de la scène raï Khaled, le duo orchestre cet
hommage à la culture des esclaves venus d'Afrique noire comme la rencontre
parfaite entre "le passé le plus précieux et la créativité la plus
audacieuse"...Une réussite !