Karim Ziad
& Hamid El Kasri - Yobadi (Accords Croisés/Harmonia Mundi Distribution)
Karim Ziad et Hamid El Kasri ont tous deux fusionné leurs
héritages culturels respectifs au service d'une sensibilité commune pour la
musique gnawa. Originaire d'Algérie pour le premier et du Maroc pour le second,
les deux amis publient un magnifique projet intitulé Yobadi. Karim, batteur d'exception
auprès de Cheb Mami et Joe Zawinul, s'allie à la voix et au hajhouj d'Hamid,
héritier des grands maalems gnawa de son pays. Harmonies jazz, rythmes funk et mélodies arabes sont donc au rendez-vous dans ce "roman musicale
d'amitié" tourbillonnant et jouissif. Rejoint entre autres invités de
marque par le brillant guitariste franco-vitnamien Nguyên Lê (jazz rock/world
music), le bouillant pianiste franco-serbe Bojan Z (jazz/folklores d'Europe de
l'Est) et la star hexagonale de la scène raï Khaled, le duo orchestre cet
hommage à la culture des esclaves venus d'Afrique noire comme la rencontre
parfaite entre "le passé le plus précieux et la créativité la plus
audacieuse"...Une réussite !
Dave
Holland & Pepe Habichuela - Hands (Universal Music Classics & Jazz France)
Les 4 cordes de la contrebasse du jazzman anglais Dave
Holland se frottent aux 6 cordes de la guitare flamenca du gitan Pepe
Habichuela et la fusion penche naturellement vers l'Andalousie plutôt que vers
Londres...Le bassiste s'est imprégné de la beauté et des passions que déploie
cette musique du soleil et a fini par s'immerger corps et âme dans la profonde
spiritualité du Flamenco. Le résultat de cette rencontre sonne comme un hommage
vibrant à un peuple et à sa culture. Tango, rumba et jazz s'y accordent à
merveille et dans ce concert de virtuosité et de respect mutuel, deux titres de
cette histoire racontée à 4 mains se distinguent, tous deux composés par
l'apprenti gitan, The Whirling Dervish et Joyride, deux perles absolues...
David Linx,
Maria Joao, Diederik Wissels, Mario Laginha - Follow The Songlines (Naïve)
Les rencontres, les accords, le partage, les impressions et
les expressions, les couleurs et les textures...autant d'ingrédients qui
façonnent une identité musicale propre. Et lorsque l'artisan du projet est
David Linx, surprise, audace et grandeur sont forcément au rendez-vous.
Imaginez deux voix, deux pianos et un orchestre symphonique qui se croisent et
s'entremêlent, bavardent et s'accompagnent ! Partis d'une volonté d'écrire à
huit mains le chanteur, entouré de son pianiste Diederick Wissels, de sa
chanteuse préférée, la portugaise Maria Joao et son acolyte, le pianiste Mario Laginha, nous invitent au
voyage dans une dimension parallèle où tout n'est qu'énergie du métissage, harmonie
et élégance. Quelques ressentis et émotions glanés au gré de déplacements
imaginaires ou réels dans ces villes et capitales qui ponctuent l'itinéraire
d'artistes ou d'aventuriers, sont exposés dans une collection de compositions
tantôt folles et douces, tantôt mélodieuses et entêtantes. Le crooner et génie
du swing s'allie à l'éclectisme et au talent de Maria qui vient frotter son
portugais à l'anglais dans un concert grandiloquent de cordes et de cuivres de
l'orchestre national de Porto dirigé par Dirk Brossé. Follow The Songlines est
un projet ambitieux et de toute beauté...Bonne écoute !
Manuel
Rocheman - "The Touch Of Your Lips" Tribute to Bill Evans (Naïve)
Comme pour beaucoup de musiciens, le jazz est un terrain
d'expression privilégié, exigent comme la grande musique mais bien plus
libre...Comme pour de nombreux pianistes, Oscar Peterson est un modèle
incontournable, un monstre sacré au jeu virtuose et mélodieux...Comme pour un
bon nombre de mélomanes, une enfance baignant dans la musique favorise les
vocations...Mais là où l'histoire de Manuel Rocheman est singulière, au delà du
fait d'avoir un temps volé sous l'aile de Martial Solal, c'est qu'il a su faire
sensation dès ses premiers disques grâce à son pouvoir d'improvisateur averti
et sa palette harmonique très large. Et ainsi bardé de succès médiatiques et de
récompenses, son chemin a croisé les grands noms de la scène jazz
internationale comme Sara Lazarus ou encore Kyle Eastwood. Puis voilà qu'un The
Touch Of Your Lips paraît aujourd'hui chez Naïve. Un hommage inspiré au grand
pianiste Bill Evans, loin du plagiat et de la redite, l'album rassemble des
reprises (We Will Meet Again) et des compositions personnelles (La Valse des Chipirons) proches
de l'univers intimiste et séduisant du maître enchanteur, figure emblématique
d'un jazz emprunt d'accents impressionnistes et romantiques classiques.
Accompagné par Matthias Allamane à la contrebasse et Matthieu Charazenc à la
batterie, le piano de Manuel Rocheman nous donne rendez-vous au coeur de la
musique d'un des plus grands jazzmen du XX° siècle.
Voici sans aucun doute un des albums les plus touchants qui
soient sortis depuis le début de l'année. Mantler alias Chris A. Cummings,
originaire de Toronto, dévoile son dernier projet intitulé Monody. Véritable
petit bijou soul 70's, smooth jazz et soft pop, l’artiste nous propose une
immersion dans son univers intimiste et profond. Sa voix douce qui gémie,
hésite, tremble et tâtonne séduit et capte immédiatement l’attention... Ses
rythmes lents et planants plantent le décor d'un film à l'histoire ambiguë,
grave et légère à la fois, oùson piano
électrique Wurlitzer diffuse ça et là ses vapeurs mélodiques atmosphériques
chaleureuses et envoutantes puis soudain angoissantes et oppressantes. Mantler
change de style et surprend sans cesse, de la ballade pop mélancolique (Also
Close The Rainbow) au son white funk (Fresh And Fair) ou à la soul 70's
(Fortune Smiled Again et In Stride), ce caméléon musical n'a pas peur des
écarts et mène l'auditeur d'un espace à un autre sans aucune faute de goût. Ses
berceuses enivrantes et son timbre curieux marquent l'esprit comme peu savent
le faire. Monody trouve sa beauté entre la maladresse d'un chant incertain qui
devient sexy et la mollesse de ses tempos lents et cotonneux... C'est un disque
poétique et nécessaire !
Ceux qui considèrent encore la musique techno comme un bruit
assourdissant dénué de mélodie - où seuls les bpm règnent en maître - doivent
tendre l'oreille au second opus du Dj-producteur suisse-chilien, Luciano.
Intitulé Tribute To The Sun, cet hommage vibrant et ce un clin d'œil sensible
aux traditions musicales africaines et sud-américaines est surtout le fruit de
17 années d'expérience du dancefloor.Mélangeant une rythmique deep house sensuelle à de l'electronica souple
et radieuse, la magie de Luciano tient dans son génie à y incorporer des
samples à consonances ethniques indéniables. Les voix et les instruments
convoqués ici nous donnent une idée de l'ouverture d'esprit du chilien ainsi
qu'un aperçu de l'étendue musicale qu'il couvre. Au gré d'un véritable parcours
initiatique entre le Mali, la Suisse, le Chili, les Caraïbes ou encore l'Iran,
les constructions musicales minimalistes du maître sont à la fois entêtantes et
répétitives puis poétiques et terriblement dansantes.Luciano réconcilie ici le temps des 80 mn de
son LP la chaleur des chants et des instruments hérités des suds ensoleillés et
la puissance des beats synthétiques et efficaces de ses machines diaboliques.
Tribute To The Sun est un disque essentiel d'une profonde richesse musicale...
Un souffle qui personnifie un style de jazz désormais répandu, un jeu
lent, des notes qui traînent, un bugle qui souffre, une ambiance sombre et
vaporeuse...Bref, la touche de l'helvète Erick Truffaz a fait des émules mais
malgré le temps qui passe et les albums qui s'enchaînent, c'est toujours avec
autant de plaisir que l'on accueille ses nouveaux projets. Avec In Between, qui
succède au splendide triptyque Paris, Mexico, Benarès, le trompettiste retrouve
ses fidèles acolytes Marc Erbetta à la batterie et Marcello Guiliani à la
basse, et convie le magicien des claviers et ingénieur son Benoît Corboz, qui
contribue énormément à la beauté aérienne et planante de l'oeuvre. Cette éloge
à la lenteur, triste et mélancolique, se développe en 10 titres, on y croise
ici Pink Floyd et là Morcheeba, puis une rythmique funky Lost In Bogota nous
ranime avant de replonger dans Fûjin et sa profondeur digne du Grand Bleu
d'Eric Serra. Balbec nous rappelle tout de même que c'est bien de jazz dont il
s'agit, mais comme l'indique le nom du disque, Erick mène sa barque entre deux
eaux. Il n'hésite pas à y mêler des thèmes pop, emmenés par le timbre
intimiste, spontané et touchant de la voix de Sophie Hunger. En deux chansons
d'amour dont la reprise de Bob Dylan intitulée Dirge, ardente et déchirante,
puis la sublime perle Let me go ! la suissesse nous persuade, comme si c'est
encore nécessaire, du talent d'un artiste écorché plongé dans l'abîme d'une
sensibilité exacerbée.