vendredi 29 avril 2016

Ash Koosha - I Aka I (Ninja Tunes)


Ash Koosha - I Aka I (Ninja Tune)
L'écurie anglaise Ninja Tunes nous présente le dernier obus sonore du producteur iranien Ash Koosha. Installé à Londres après s'être fait emprisonner pour avoir donné un concert de rock dans son pays natal, cet as de l'échantillonnage maltraite, étire, découpe et déforme un tas de samples dans des compositions électroniques expérimentales et barrées, répondant pourtant à des structures rythmiques et mélodiques inspirées par la musique classique, aussi bien perse qu'occidentale.


Les expérimentations electronica d'Aphex Twin et la violence sonique du post-rock de Mogwai ne sont pas étrangères au travail du beatmaker, qui avoue aussi avoir été touché par les ambiances trip-hop de Portishead et Massive Attack. Mais davantage intéressé par la fréquence et la présence physique et visuelle du son, il va traiter son vaste répertoire d'échantillons comme un tas d'objets qu'il doit assembler et articuler dans un certain ordre, c'est alors qu'entre en jeu la rigueur acquise lors de ses classes au Conservatoire de Téhéran, histoire de donner un sens musical à cette débauche de bruits, de notes et de matières audibles.

Ce second opus intitulé I Aka I succède à GUUD paru en juin 2015 et qu'il façonna en écoutant les maîtres Vivaldi, Wagner et Chopin. L'artiste y remplaça les instruments traditionnels que sont le piano, les violons, violoncelles et cuivres par des glitchs et autres sons inconnus ou méconnaissables. A l'instar d'un alchimiste, il désassemble, mélange puis réassemble. Hip hop, rythmes jamaïcains, pop et folklores se frottent aux breakbeat, dubstep, ambient et autres musiques électroacoustiques un peu à la manière des héros du genre comme Prefuse 73 ou Fourtet. Si des titres down-tempo comme "Eluded", "Buitiful" et "Growl" s'écoutent assez facilement avec leurs mélodies plus ou moins discernables et leurs nappes de synthés atmosphériques réconfortantes, il en est tout autrement avec les ambiances post-apocalyptiques et dissonantes ou les rythmiques fragmentées, fulgurantes et saturées de "Ote", "In Line", "Fool Moon" ou "Too Many" (où l'on devine en filigrane la "Sonate au Clair de Lune" de Beethoven). On notera les influences manifestes du Moyen-Orient, qui transparaissent au travers de quelques bribes mélodiques dans "Shah", "Mudafossil" ou "Make It Fast"

Ash Koosha accouche d'un disque détonnant, un objet sonore non-identifiable qui se laisse approcher difficilement! Peut-être sa vision musicale d'un Cubisme expressionniste?

Idris Ackamoor & The Pyramids – We Be All Africans (Strut Records/Differ-Ant)


Idris Ackamoor & The Pyramids – We Be All Africans (Strut Records/Differ-Ant)

Pulsations afro, sophistication jazz, magie funk et reflets psychédéliques ont fait bon ménage aux USA et en Afrique dans les années 70, puis le filon s'est tari peu à peu… Devenus rares et collectors, ces projets gravés sur vinyle et influencés par les travaux de quelques gourous tels que James Brown, George Clinton, Sly Stone pour le funk et Sun Ra, Alice Coltrane ou Pharoah Sanders pour le jazz/fusion, s'échangent aujourd'hui à prix d'or. Autour de cet engouement toujours croissant pour ces sonorités vintages dont le Ghana, le Nigeria, le Congo ou le Sénégal ont été de grands pourvoyeurs, les maisons de disques se sont mises à rechercher ces trésors oubliés, rééditant des perles disparues ou participant à la reformation d'anciens groupes mythiques.

Strut Records s'est ainsi rapproché du groupe légendaire The Pyramids, fondé dans l'Ohio en 1972 et affiné à Paris sous l'impulsion de son leader charismatique et mystique, Idris Ackamoor. Héritier d'une lignée de musiciens nés au Etats-Unis mais ayant effectué un retour aux sources dans le berceau de l'humanité, le saxophoniste multi-instrumentiste accompagné de ses acolytes Margo Simmons à la flûte et Kimathi Asante à la basse, a bâtit une musique spirituelle, consciente et militante aux accents afrobeat, P-funk, free, éthio et cosmic jazz.

Séparés en 1977 après avoir sorti 3 albums emblématiques et avant-gardistes qui succédèrent à leur voyage initiatique en Afrique (Lalibela en 1973, King Of Kings en 1974 et Birth/Speed/Merging en 1976), The Pyramids reprennent du service en 2010 et publient en 2012 Otherwordly. Gilles Peterson salue alors l'ensemble de leur œuvre en décernant à Idris un Lifetime Achievement Award lors de sa fameuse cérémonie annuelle des Worldwide Awards.

Le 27 Mai prochain paraîtra We Be All Africans, dernier opus de ces légendes de l'afro jazz/funk, enregistré à l'ancienne au Studio Philophon de Berlin avec la collaboration du batteur Max Weissenfeldt. Grâce à ce dernier les musiciens se plient au son analogique, à sa chaleur et à son grain… On y retrouve la tendance astrale et psychédélique de leurs débuts, comme s'ils reprenaient les choses là où ils les avaient laissées il y a 40 ans, avec la même énergie, la même fougue et un désir d'aventure et de partage toujours omniprésent. On notera la présence solaire de la chanteuse indienne Bajka dans le mélancolique "Silent Days", single à venir très bientôt!

 

‘We Be All Africans’ is a message of survival. A message of renewal. A message that we are all brothers and sisters. We are all one family, the human family and we need one another in order to survive on this planet that we all share.
Idris Ackamoor

 

jeudi 28 avril 2016

M.A.K.U Soundsystem – Mezcla (Glitterbeat/Differ-Ant)


M.A.K.U Soundsystem – Mezcla (Glitterbeat/Differ-Ant)

C'est dans une débauche de cuivres et de percussions assommantes que la formation new-yorkaise M.A.K.U Soundsystem nous invite à partager ses racines musicales solidement ancrées dans l'afrobeat et les rythmes afro-colombiens. Les huit musiciens nous présentent leur 3° opus intitulé Mezcla et composé de 9 titres endiablés, ils y expriment leur origine colombienne, commune à la plupart d'entre eux (Barranquilla et Bogota), tout en intégrant des sonorités explosives empruntées au punk, au funk et au hip-hop dans un discours engagé et optimiste, traitant autant de quête d'identité que du quotidien ou de politique. Ses reflets jazzy de fanfare New-Orleans boostée à l'afro-groove sont largement enrichis de cumbia et de ska, dégageant une énergie vitale rare et contagieuse!

Mor Karbasi - Ojos de Novia (Alama Rec./Harmonia Mundi)


Mor Karbasi - Ojos de Novia (Alama Rec./Harmonia Mundi)

La chanteuse native de Jérusalem Mor Karbasi publie son 4° opus intitulé Ojos De Novia. S'entourant de musiciens d'exception (Joe Taylor et Jorge Bravo aux guitares trompettes et saz, Antonio Miguel à la basse, Yshai Afterman aux percussions et Orel Oshrat au piano), elle exprime ses origines marocaines, perses et israéliennes à travers une collection de 13 compositions captivantes, où le ladino côtoie les traditions andalouses et berbères. Accents flamenco, fougue gitane, arrangements de cordes et sophistication jazzy sont donc au rendez-vous dans ce voyage initiatique et enchanteur entre Méditerranée et Moyen-Orient, où l'auditeur est guidé par la voix cristalline et bouleversante de sensualité d'une diva solaire et resplendissante. On ne boude non plus pas notre plaisir d'écouter jouer ses invités de marque, les bassistes Richard Bona, Kai Eckhardt et le guitariste Tomatito. Ojos de Novia est un disque touchant et rare!   

mercredi 27 avril 2016

Son Of Dave – Explosive Hits (Goddamn Records)


Son Of Dave – Explosive Hits (Goddamn Records)

Le musicien canadien installé en Angleterre Son Of Dave publie son septième opus chez Goddamn Records intitulé Explosive Hits. Ancien membre de la formation folk-rock Crash Test Dummies (on se souvient de leur immense succès "Mmm Mmm Mmm Mmm" paru en 1993), Benjamin Darvill amorce sa carrière solo au début des années 2000 avec un répertoire blues et folk aux accents funky et R&B. Largement remarqué en 2006 grâce à son titre "Devil Take My Soul" où il invitait la chanteuse trip-hop Martina Topley Bird, ex-égérie de Tricky.

Le chanteur, guitariste, percussionniste, harmoniciste et as du beat-boxing nous offre une collection de 13 reprises acoustiques décapantes de titres actuels et plus anciens devenus incontournables. Empruntant aussi bien à la french touch des Daft Punk qu'à la hip-house 90's de Technotronic, au hard rock d'AC/DC ou à la néo soul de Paloma Faith, le multi-instrumentiste signe un hommage festif à près d'un siècle de musique, dont le point d'ancrage se trouve le long du Mississippi avec le blues de Robert Jonhson, John Lee Hooker et Slim Harpo.

Grâce à son jeu racé et débauché qui puise ses racines dans le son roots du delta blues et malgré le grand écart entre les genres revisités, l'énergique homme orchestre parvient à faire coexister dans un même écrin inspiré des anciennes compilations K-Tel Super Hits des 70's, "Pump Of The Jam" et ses couleurs eurodance avec "Tequila" et ses saveurs de mambo cubain… Un bel effort en soi!



NOx.3 – Nox Tape (Jazz Village/Harmonia Mundi)


NOx.3 – Nox Tape (Jazz Village/Harmonia Mundi)

Le tout jeune trio parisien nOx.3 vient bousculer les codes du jazz avec sa soif d'innovation et de liberté. Dépoussiérant l'esthétique classique de la formule piano, sax et batterie à grands coups d'effets et de reflets électroniques, le claviériste nantais Matthieu Naulleau et la fratrie lorraine Rémi  (saxophoniste) et Nicolas Fox (batteur), nous livrent leur second opus intitulé Nox Tape, un recueil de 8 compositions inspirées et hypnotiques.

Mêlant les recherches d'artistes issus des scènes IDM, D&B, Abstract ou electronica (Amon Tobin, Flying Lotus ou Dorian Concept), à celles des piliers du free jazz, du rock et même du metal, nOx.3 lève le voile sur une approche iconoclaste et débridée d'un genre qui n'en finit pas de repousser ses limites, laissant les polyrythmies, séquences et autres boucles  obsédantes engendrer une identité musicale hybride.

Entre musique savante et populaire, acoustique et électronique, écrite et improvisée, la formation fraîchement vainqueur du Tremplin RéZZo Focal de jazz à Vienne, définie sa palette sonore comme une "electro-libre à tendance improvisée qui agit sur tout ce qui bouge"




mardi 26 avril 2016

Mélanie de Biasio - Blackened Cities (Pias)

La chanteuse et flutiste jazz originaire de Belgique Mélanie de Biasio, nous offre son dernier opus intitulé Blackened Cities. Il succède à l'excellent No Deal qui recevait en 2013 un très bon accueil, autant critique que public.

Cette longue et unique composition de 25 minutes lui fut inspirée par le décor des villes post-industrielles qu'elle a traversées durant sa tournée internationale de Détroit à Bilbao en passant par Manchester et bien sûr sa citée natale, Charleroi. Conçu de façon quasiment improvisée avec un staff de musiciens qui, pour quelques uns, partagent l'univers de la diva depuis plus de 15 ans, Blackened Cities fut enregistré un après-midi d'automne 2014 à Bruxelles et ne nécessita que le stricte minimum en post-production. Sombre mais aérien et aéré, les quelques accords réverbérés du claviériste Pascal Paulus rejoint par le contrebassiste Sam Gertsman et son archet plantent le décor dès les premières minutes. Bart Vincent diffuse un léger voile de white noise, comme une brise à laquelle la voix grave, fantomatique et planante de Mélanie et le piano de Pascal Mohy se fondent. Surgit ensuite un battement de cœur marqué par la grosse caisse de Dre Pallemaerts, de là une rythmique jazzy éclos accompagnée de sa ligne de basse rassurante et groovy qui gonfle, enfle et forcit. Tout s'enchaîne alors en crescendo, une progression hypnotique voire psychédélique menée avec virtuosité par un batteur maestro qui ralenti la cadence après le drop. Son swing devient alors atmosphérique, adoucissant les humeurs et laissant celle que Gilles Peterson considère comme l'artiste jazz la plus excitante du moment, déployer son phrasé délicat, sensuel et gorgé d'émotions.

vendredi 22 avril 2016

Hannah Holland - Re-Werked EP (The Classic Music Compagny)

Hannah Holland - Re-Werked EP (The Classic Music Compagny)


La Dj/productrice anglaise Hannah Holland publiait il y a peu son nouvel EP intitulé Lush dans lequel elle invitait le drag queen new-yorkais Imma Mess a poser sa voix sensuelle et lancinante sur des tracks punchy aux sonorités tech house. Son label Classic Music Compagny publie aujourd'hui une série de 3 remixes de ses titres "Lush" et "High" orchestrés par le boss en personne Luke Solomon, le duo polonais Catz 'n Dogz et Huxley. Ce dernier nous offre une vision sombre, minimale et hypnotique de "High", aux antipodes de ce que nous propose le "Luke Solomon Body's Edit" et ses relents 90's disco orientés jackin' house. Catz 'n Dogz s'attaquent quant à eux à "Lush" dans un "Club Tool Mix" aux reflets afro gavés de percussions.
 
 

Joe Acheson - Marconi & The Lizard EP (Tru Thoughts)

Joe Acheson - Marconi & The Lizard EP (Tru Thoughts)

Ayant pris part au projet Sound Of Our Shores, qui consiste à créer la première carte sonore des côtes anglaises en partenariat avec la British Library et le National Trust for Scotland, le musicien et producteur Joe Acheson alias Hidden Orchestra nous présente chez Tru Thoughts son nouvel EP Marconi And The Lizard. Suite à sa résidence au cap Lizard en Cornouailles, où le physicien et inventeur Guglielmo Marconi opéra en 1901 la première transmission radio transatlantique, l'artiste publie 4 titres fascinants composés de sons prélevés sur la côte extrême sud de l'île. Le bruit du vent, de la mer, des insectes, des oiseaux, de la pluie et des orages se mêlent à des échantillons sonores propres aux activités humaines liées à la pêche, à la navigation et aux radiocommunications, le tout étant orchestré dans des textures electronica savantes. Grâce à ses sonorités organiques et glitch, sa musique bruitiste déploie des mélodies hasardeuses, perturbées par des nappes de vapeur hertzienne flanquées sur des rythmiques bancales et asymétriques. On retiendra notamment "Streams And Crickets" et son ambiance aquatique qui peu à peu glisse vers une instru abstract down-tempo.




 

jeudi 21 avril 2016

Sam Beam and Jesca Hoop - Love Letter For Fire (Sub Pop/Pias)



Sam Beam and Jesca Hoop - Love Letter For Fire (Sub Pop/Pias)

L'excellent label basé à Seattle Sub Pop (Nirvana, The Rapture, Cansei de Ser Sexy, Beach House…) nous présente le projet country/folk Love Letter For Fire, fruit de la collaboration des songwriters Sam Beam et Jesca Hoop. Tombé sous le charme de la voix cristalline de son acolyte (qui collabora avec Peter Gabriel sur l'album New Blood) le chanteur connu aussi sous son alias Iron & Wine, a souhaité l'inviter à partager la composition et l'écriture de chansons d'amour acoustiques, poursuivant ainsi la longue tradition américaine du duo notamment marquée par les collaborations de Dolly Parton & Kenny Rodgers ou encore George Jones & Tammy Wynette, dont les mélodies accompagnèrent son enfance. L'album distille au travers de ses 13 titres délicats et finement interprétés, une musique folk des plus intimistes et introspectives ("One Way To Pray" ou "Bright Lights And Goodbyes"), parcourue d'accents pop ("Every Songbirds Says" et "Chalk It Up to Chi") et country ("Kiss Me Quick", "Valley Clouds"). Dominée par le jeu des guitares acoustiques et la majesté de deux voix touchantes, l'ambiance de Love Letter For Fire est bucolique et paisible, un moment d'écoute en apesanteur pour une virée musicale dans les grands espaces ruraux de l'Amérique profonde.

mercredi 20 avril 2016

Alaia & Gallo - Who Is He (Soul Heaven)


Alaia & Gallo - Who Is He (Soul Heaven)


 
 

Imaginez la fine fleur de la house italienne reprenant le classique de Bill Withers "Who Is He (And What Is He To You?)"Forcément c'est alléchant et évidemment que cela fonctionne! Pour leur début chez Soul Heaven, le duo Alaia & Gallo fait très fort en signant la rencontre parfaite d'une soul la plus sensuelle qui soit et d'une house au groove funky des plus efficaces. Le résultat est hypnotique et la voix de Kevin Haden bluffante d'émotion, la ballade intemporelle de Bill devient une véritable machine à remuer, sonnant bien sûr comme un succès estival assuré!

Tommy Bones – Arrival EP (Strictly Rhythm)

Tommy Bones – Arrival EP (Strictly Rhythm)

Le label américain Strictly Rhythm nous offre une nouvelle pépite aux sonorités house, il s'agit du dernier EP Arrival du Dj/producteur new-yorkais Tommy Bones. Dans le milieu depuis plus d'une vingtaine d'année, celui que l'on connait aussi sous l'alias The Dancer's Dj nous gratifie de 2 titres irrésistibles menés par un groove funky/soul. "Aisha" est une véritable bombe aux reflets tech house orientée dancefloor qui n'a d'ailleurs pas échappé aux pointures Pete Tong, Sandy Rivera et Doorly, sans doute séduits par ses vocaux sensuels livrés par la torride Aisha Koswara. "T's Jazzy Joint" est plus deep avec ses saveurs 90's, la légende Terry Farley ne s'y trompe pas en le plaçant dans son top 10 du mois d'avril sur Traxsource.


Rosemary Standley - A Queen of Hearts (Jazz Village/Harmonia Mundi)


Rosemary Standley - A Queen of Hearts (Jazz Village/Harmonia Mundi)

Le projet A Queen of Hearts est d'abord l'histoire d'une voix, intemporelle et reconnaissable entre toutes, devenue si familière depuis quelques années grâce au succès de la formation franco-américaine Moriarty (on se souvient de leur sublime single "Jimmy" extrait de l'album Gee Whiz But This Is a Lonesome Town paru en 2007). En effet la chanteuse Rosemary Standley, qui jusque là nous avait habitué à un registre plutôt blues, country et rock acoustique, nous plonge ici dans le répertoire glamour du "tour de chant" à l'américaine, cette tradition du cabaret grande époque plus ou moins perdue, que les divas Monroe, Holiday, Dietrich, Simone et autres Rita Hayworth ont indélébilement marqué de leur empreinte.

Beauté, élégance, décadence et mélancolie font partie de ces ingrédients nécessaires qui tamisent le timbre d'une voix, la rendent vibrante et profonde. Les 23 titres que Rosemary interprète accompagnée du pianiste Sylvain Griotto sont largement imprégnés de jazz, de musique classique et de chansons populaires influencées par le cinéma des années 40, 50 et 60. On y retrouve les standards incontournables du XX° siècle écrits, joués ou composés par Gershwin, Nina Simone, Lennon et McCartney, Kurt Weill, Henry Purcell mais aussi Margueritte Duras, Alain Bashung ou Francis Poulenc.

A Queen of Heats est à l'origine un spectacle de music-hall mis en scène par Juliette Deschamps et qui tourne depuis déjà 3 ans. Ce CD est complété d'un DVD permettant de découvrir ou redécouvrir cet hommage à ces héroïnes insatisfaites et malheureuses qui connurent le firmament, mais finirent empoisonnées par la solitude…  
 


En duo sur scène, Rosemary et Sylvain sont épaulés par le bassiste Vincent Talpaert et le batteur/percussionniste Eric Dubessay en studio.

mardi 19 avril 2016

Hyperculte – Hyperculte (Bongo Joe/l'Autre Distribution)


Hyperculte – Hyperculte (Bongo Joe/l'Autre Distribution)

Energie punk, pop sauvage et rock pugnace aux relents électro, les influences du duo genevois Hyperculte sont aussi bien à chercher du côté de l'avant-gardisme de Russell et des expérimentations minimalistes et répétitives de Reich ou Glass, que des transes chamaniques ancestrales. Formé par la féroce Simone Aubert (guitariste et co-fondatrice de Massicot) à la batterie et le manitou Vincent Bertholet (chef de file de l'anticonformiste Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp) à la contrebasse/looper/effets, le groupe sort son premier opus ravageur et audacieux, jouant la carte des rythmiques frénétiques, des textes azymutés, des chants électrisants et des ambiances psychédéliques.


Basel Rajoub Soriana Project - The Queen Of Turquoise (Jazz Village/Harmonia Mundi)


Basel Rajoub Soriana Project - The Queen Of Turquoise (Jazz Village/Harmonia Mundi)



Le compositeur et saxophoniste Basel Rajoub est originaire de la ville d'Alep en Syrie, aujourd'hui sinistrée et toujours prise entre deux feux. C'est à Damas durant son adolescence que la trompette fixe toute son attention, le jazz de Miles Davis et Louis Armstrong s'impose alors à lui jusqu'à son immersion dans les musiques orientales et l'adoption (malgré lui) du saxophone ainsi que du duclar (instrument russo-allemand récent, se situant entre la clarinette et le doudouk).






Il publie en 2007 un premier disque Kamir (accompagné de la trinité piano, basse, batterie) et, souhaitant s'investir davantage dans les sonorités propres à l'héritage musical de son pays natal, amorce en 2009 son projet Soriana ("notre Syrie") avec Asia, second effort qu'il enregistre en trio avec le percussionniste Khaled Yessin et Feras Charestan, virtuose du qanûn. C'est véritablement à cette période que l'artiste se plonge dans le folklore syrien en composant notamment pour cet instrument perse de la famille des cithares sur table. "Il combine ainsi les myriades de modes mélodiques et les subtilités micro-tonales de la musique arabe traditionnelle à son écriture contemporaine", enrichie de son expérience de jazzman.

Toujours entouré de Feras Charestan au qanûn, il fait cette fois-ci appel au joueur de oud Kenan Adnawi, au percussionniste Andrea Piccioni et à la chanteuse Lynn Adib, pour nous offrir The Queen Of Turquoise, traduction littérale du nom de son épouse Malika Fairouz. L'improvisateur nous invite à le suivre à travers 9 compositions aérées et inspirées, où le silence est d'or, laissant flotter des notes surgies d'un autre temps. La voix de Lynn, poignante dans les enivrants "Hamam" et "Ya Tha Elqawam", est bouleversante de pureté, convoquant bien sûr le souvenir de ses illustres aînées d'Egypte, du Liban et d'ailleurs. Les percussions d'Andrea nous mettent en transe dans l'excellent "11:11" qui s'ouvre pourtant très lentement par quelques notes en suspension de Basel. Rejoint par Kenan et sa virtuosité, le rythme s'accélère, le tambourin entame alors sa ronde hypnotique virevoltant côte à côte avec le saxophone…

Une très belle ballade dans la Syrie imaginaire d'un esprit rêveur et surement mélancolique.

lundi 18 avril 2016

David Linx & Brussels Jazz Orchestra - Brel (Jazz Village/Harmonia Mundi)

David Linx & Brussels Jazz Orchestra - Brel (Jazz Village/Harmonia Mundi)

Avant même d'écouter le nouveau projet de David Linx et tout fraîchement débarqué de son précédent enregistrement avec Fresu et Wissels, on est interpelé par son titre et forcément curieux de savoir si l'artiste habitué aux prises de risques (Follow The Songlines) en réchappe grandi ou pas! Lorsque le crooner belge décide de chanter les titres emblématiques de son illustre compatriote Jacques Brel, la question essentielle du SENS se pose. En effet comment aborder une personnalité si complexe et complète sans tomber dans l'écueil du pathos?

Collaborant avec l'un des plus fameux orchestres de jazz au monde, le chanteur acrobate a répondu présent à l'invitation du Brussels Jazz Orchestra, formulée conjointement par son directeur artistique Franck Vaganée et son manager Koen Maes. Ensemble ils révèlent les talents d'auteur sensible et profond d'un compositeur raffiné et sophistiqué, un monstre sacré de la chanson aux succès intemporels et universels.

Plus que révélées, les mélodies de "La Valse à Mille Temps", "Mathilde","Quand on a que l'amour", "Vesoul - Amsterdam" sont réarrangées de manière à en extirper un swing captivant, le pittoresque et l'intime se dévoilent au grand jour avec grandiloquence et élégance, si les mots demeurent toujours aussi percutants et vrais, ils s'allègent, s'arrondissent et rebondissent. Jazz orchestral, scat et textes géniaux fusionnent pour le meilleur.

"Ne me quitte pas" devient une comptine, douce et délicate, "Isabelle" et "Le Plat Pays" deux ballades romantiques où la chaleur des cuivres est persistante tandis que "Ces gens là" perd ses accents...

La reprise de "Bruxelles" résonne bien sûr de manière toute particulière suite aux évènements tragiques du 22 Mars 2016, enjouée et virevoltante elle fait plus que jamais un pied de nez à la terreur...



Arthur Verocai - Arthur Verocai (Mr Bongo)

Arthur Verocai - Arthur Verocai (Mr Bongo)

Les têtes chercheuses du label anglais Mr Bongo sont allées nous débusquer une oeuvre magistrale et pourtant quasiment disparue des écrans radars d'Arthur Verocai, multi-instrumentiste, compositeur et arrangeur brésilien originaire de Rio de Janeiro, qui s'est notamment illustré aux côtés des divas Maria Creuza, Gal Costa ou Ellis Regina.

Souvent comparé à Tim Maia et Jorge Ben, le chef d'orchestre méconnu publiait en 1972 son album éponyme de 10 titres, où la fusion des genres folk, classique, jazz, samba, funk, bossa nova (Tom Jobim), soul et tropicalisme dénotait un esprit d'aventure d'une grande sophistication.

Osant même bousculer les codes de l'époque en explorant les sonorités électroniques et psychédéliques ("Karina"), Arthur a su éviter la censure militaire en employant un style d'écriture imagée:
Si les ambiances soul/funk 70's étasuniennes transparaissent dans "Presente Grego", c'est en effet pour mieux critiquer le pouvoir en place et ses fausses apparences, il fait allusion à l'épisode du Cheval de Troie et du piège tendu aux troyens par les grecs.

S'inspirant autant d'artistes nord-américains tels Shuggie Otis, David Axelrod et Charles Stepney ou Miles Davis, Bill Evans, Oscar Peterson et Herbie Hancock que de ses compatriotes précurseurs comme H. Villa Lobos, Milton Nascimento et Tom Jobim, il avait déjà imposé sa marque par le passé en arrangeant les cordes pour Jorge Ben ou en produisant Agora d'Ivan Lins (1971) et 2 albums pour Célia (chanteuse d'ailleurs présente dans son projet). Sa réussite fut telle que Continental lui offrit la possibilité d'enregistrer ses propres compositions, défi qu'il accepta en imposant le choix de ses musiciens. Au casting figurent donc12 violonistes, 4 altos et 4 violoncelles, des percussionnistes, batteurs, guitaristes, bassistes, trompettistes, flutistes et claviéristes... On y croise entre autres les pointures Pedro Santos (percussions) Toninho Horta (guitare), Edson Maciel et Paulo Moura (saxophone) ou Pascoal Meireles (batterie)... sans oublier les chanteurs Carlos Dafe et Oberdan.

Bien que l'opus soit court, une trentaine de minutes à peine, Arthur Verocai a su traduire le large spectre musical qui inondait le Brésil à l'époque, il témoigne ainsi d'une effervescence féconde, qui prend ici des allures de bande-son orchestrale psych-funk. La musique de film l'ayant toujours attiré, c'est pour son travail à la télévision qu'il sera finalement récompensé avec entre autres les musiques pour les pubs de Brahma, Fanta ou Petrobra's.

Le disque, dont une version originale peut se vendre autour des 2000$, a été échantillonné par les piliers de la scène hip-hop US dont MF Doom, Ludacris & Common, Little Brother ou encore Action Bronson. L'immense Madlib déclare même à son sujet "I could listen to the album everyday for the rest of my life"!




vendredi 15 avril 2016

Hareton Salvanini - S.P. / 73 (Mr Bongo)

Hareton Salvanini - S.P. / 73 (Mr Bongo)

Le label Mr Bongo est une nouvelle fois allé nous dénicher une petite pépite musicale oubliée... Il s'agit du premier opus (et accessoirement chef d'oeuvre) S.P. / 73 du multi-instrumentiste, compositeur et arrangeur brésilien Hareton Salvanini (RIP). Paru initialement en 1973 chez Continental, le disque est aujourd'hui réédité pour le plus grand bonheur des amateurs d'un jazz-funk orchestral aux reflets carioca, façon Eumir Deodato dans son illustre reprise du théâtral "Also Sprach Zarathoustra" de Richard Strauss.

Directeur musical de TV Record (Sao Polo) à la fin des années 90, il demeure un auteur méconnu de jingle publicitaire et de musique de film. Véritable crooner à la voix d'ange (qui remporta le 1er prix de chant lors du festival universitaire de TV Tupi), il nous régale de 11 titres symphoniques interprétés par la quarantaine de musiciens de l'Orchestre Municipal du Théâtre de Campinas qu'il dirige avec maestria. Son frère Ayrton, qu'il considère comme son bras droit, signe quant à lui les textes de chansons qui alternent avec des plages exclusivement instrumentales à rapprocher de celles de Lalo Schifrin ou d'Henry Mancini. Entre bossa nova, BOF, jazz, MPB et musique classique, Hareton nous livre un disque emblématique et rare... Qui reçu à l'époque le prix du meilleur album étranger au Japon.

Junior Sanchez – Built EP (DFTD)


Junior Sanchez – Built EP (DFTD)

Junior Sanchez, l'un des piliers de la scène électronique underground de New-York, nous offre un nouvel EP baptisé Built, composé de deux titres au groove solide et massif, parcourus de sonorités house classiques et armés de lignes de basse funky. Distribués en format digital par le label londonien DFTD, "Da House Dat Jack Built" et "Suck My Soul" se retrouveront inévitablement dans la playlist de bien des Djs lors de la saison estivale à venir. Leurs vocaux catchy, leurs bass lines hypnotiques et leurs rythmiques entraînantes feront mouche à tous les coups. Mention spéciale pour un "Suck My Soul" explosif et contagieux!


jeudi 14 avril 2016

Martha High - Singing For The Good Times (Blind Faith Records/Differ-Ant)


Martha High - Singing For The Good Times (Blind Faith Records/Differ-Ant)

Le nom de James Brown est indissociable de celui de ses fidèles acolytes Fred Wesley, Bobby Bird, Alfred "Pee Wee" Ellis, Lyn Collins et autres Marva Whitney … Pourtant il en est une dont on ne parle que trop rarement, c'est sa choriste Martha High, qui l'accompagna sur scène et en studio pendant plus de 30 ans, avant de rejoindre au début des années 2000 l'orchestre du saxophoniste Maceo Parker (autre étoile de la JB's factory), puis la formation hexagonale Shaolin Temple Defenders en 2008 (W.O.M.A.N.) et enfin les Speedometer en 2012 (Soul Overdue). S'apprêtant à publier un nouvel opus solo baptisé Singing For The Good Times prévu pour le 22 Avril prochain, la "Platine Blond Soul Sister" revient sur le devant de la scène pour le plus grand plaisir des aficionados d'une southern soul profonde et originelle, puisant ses racines dans le blues et le gospel ! A travers 11 titres enregistrés à l'ancienne, elle nous replonge dans ses sonorités corrosives des 60's, si chaudes et si sensuelles, qui firent la renommée d'un genre qui n'a jamais cessé de passionner et de renaître de ses cendres (Amy Winehouse, Angie Stone, The Dap Kings…). Epaulée par le producteur et crooner italien Luca Sapio la diva, qui a dépassé les 70 printemps, n'a rien perdu de sa fraîcheur et de sa superbe, comme le prouve son premier extrait intitulé "Lovelight", résolument racé et si proche du Memphis Sound de l'illustre écurie Stax.

mercredi 13 avril 2016

Elza Soares - The Woman At The End Of The World (Mais Um Discos/Differ-Ant)


Elza Soares - The Woman At The End Of The World (Mais Um Discos/Differ-Ant)

A presque 80 ans l'icône carioca Elza Soares n'en finit pas de nous surprendre, se réinventant sans cesse et abordant des problématiques brûlantes d'un Brésil bien éloigné des clichés. Masquant les outrages du temps par multe interventions esthétiques et sous une épaisse couche de fond de teint, la diva aux sept vies publie son 34ième album studio intitulé The Woman At The End Of The World (A Mulher Do Fim Do Mundo), composé de 11 morceaux inédits… Une première pour l'artiste !

 Représentante d'un nouveau genre musical baptisé dirty samba ou samba sujo issu de la scène avant-gardiste paoliste, Elza nous dépeint sur fond d'histoires sordides le portrait renversant d'un pays abusé et excessif, où racisme, sexe, drogue et violence côtoient l'image d'Epinal du Carnaval et des plages de Rio.

Celle qui fut la protégée de Louis Armstrong dans les années 50, l'épouse de la légende du foot Garrincha et qui partagea la scène de Chico Buarque, Caetano Veloso et autres Gilberto Gil, a toujours voulu innover sa samba l'associant au jazz, à la soul, au hip-hop, au funk ou à la musique électronique. C'est avec le free jazz et le rock que l'octogénaire à l'énergie punk décide aujourd'hui de fricoter, dans un disque dur et éraillé où la MPB (musica popular brasileira) est largement mise à mal. Le batteur/percussionniste Guilherme Kastrup en est le maître d'œuvre, conviant aux côtés de la chanteuse les auteurs, musiciens et compositeurs de SP: Kiko Dinucci, Rodrigo Campos, Felipe Roseno, Marcelo Cabral, Thiago França, Douglas Germano, Clima, Celso Sim et Romulo Froes

Sa voix rauque et vibrante dans l'ouverture en acapella "Coraçao Do Mar" (poéme d'Oswald de Andrade, auteur moderniste du célèbre Manifeste Anthropophage), nous fait calmement glisser vers la sublime samba triste "A Mulher Do Fim Do Mundo"accents électro et guitares saturées nous annoncent d'emblée une musique grave et pesante, exprimant douleur, désespoir et colère… Les cordes viennent rajouter une touche de lyrisme hypnotique et terriblement captivant à un titre qui demeure plutôt soft au regard de ce qui suit.

En effet tout se gâte à partir de "Maria Da Vila Matilde", la samba devient bruyante (samba esquema noise), une chape de plomb s'abat sur l'auditeur avec cette chanson sombre et corrosive où Elza incarne une femme battue (du vécu?) avertissant son ex-compagnon de ne plus l'approcher sinon "você vai se arrepender de levantar a mao pra mim" (tu vas regretter d'avoir levé la main sur moi).

"Luz Vermelha" et sa mélodie dissonante aux reflets psychédéliques nous livre ensuite une réflexion pessimiste et effrayante sur le monde…

Le très explicite "Pra Fuder" ("pour baiser") et son air de samba afro-punk endiablé exprime le désir sexuel incandescent et sauvage d'une femme prédatrice… L'instrumentation y est dominée par les cuivres acides de Bixiga 70.

"Benedita" raconte l'histoire d'un transsexuel drogué accablé par les violences sociales, violences illustrées par la distorsion des guitares tranchantes…

La moiteur du Shrine transparaît ensuite dans l'afrobeat de "Firmeza?!", qu'elle interprète en duo avec Rodrigo. Les cuivres funky rappellent bien sûr ceux de Fela Kuti

Le tango désarticulé et chancelant "Dança" est post mortem, narré par une disparue qui, même réduite en poussière, veut danser…

Dans la ballade maritime "O Canal" est cité Alexandre Le Grand, veillant sur la construction d'un passage près de la mer Egée et réprimant ses sujets par cupidité et désir de grandeur… Un écho à la dictature militaire au Brésil?

Le tendre "Solto" est l'unique titre de l'opus dans lequel il n'y a pas de perturbation sonore ni d'agression verbale, l'orchestration y est composée d'arpèges de guitare et d'un quatuor à cordes formant un doux écrin à la voix apaisée d'Elza, qui ne crie plus mais murmure un texte demeurant tout de même noir et triste, faisant sans doute écho à sa liaison avec l'amour de sa vie.

En clôture de ce qui semble être le meilleur album brésilien de l'année 2015 (Rolling Stone Brazil), Elza se retrouve à nouveau seule , nous offrant un second acapella touchant, surgi d'une nappe électronique cacophonique et angoissante. "Comigo" est un hommage à la mère, qui malgré sa disparition reste présente auprès de ses enfants... Des mots qui résonnent de façon particulière pour la diva qui perdit un fils quelques mois avant le lancement du disque fin 2015. 
Bien que les textes soient écrits par d'autres, l'artiste se les approprie et se raconte san jouer la comédie...