Nitin Sawhney - Beyond Skin (Outcaste)
Les disques que j'écoute inlassablement, les univers sonores qui hantent mon salon et habillent mes soirées, n'ont pas encore de place ici. Alors, comme "il y a un début à tout" je vais ouvrir les festivités avec un opus que m'a fait découvrir une amie il y a 23 ans, l'immense Beyond Skin, un chef d'œuvre étiqueté "asian vibe" que dévoilait Nitin Sawhney le 13 Septembre 1999.D'origine indienne, le DJ, producteur et compositeur londonien a grandi à Rochester, dans une Angleterre des années 70 et 80 rongée par la violence et le racisme. Initié très tôt à la musique, il apprend à jouer du piano, de la guitare, de la cithare et des tabla. Alors qu'il mène des études de droit à Liverpool, il s'essaye à la scène au côté de son ami claviériste James Taylor et le suit le temps d'une tournée estivale dans son projet jazz funk: The James Taylor Quartet. Puis, au début des années 90, le multi-instrumentiste se lance en solo avec Spirit Dance, publié sur son tout jeune label World Circuit. Suivront les excellents Migration, puis Displacing The Priest en 1996, avant que n'arrive le premier coup d'éclat de Nitin Sawhney, ce fameux Beyond Skin, couronné de succès dès sa sortie.
Combinant ses influences asiatiques ("Serpents", "Anthem Without Nation") au jazz ("Tides"), en passant par le hip-hop ("Pilgrim"), la drum and bass ("Nadia") ou encore le flamenco ("Homelands"), le compositeur engagé y affirme une identité musicale underground et plurielle, mariant arrangements orchestraux, chants et instruments traditionnels, pulsations et textures électroniques ("Nostalgia"), le tout en prônant des valeurs de tolérance et de paix, en vantant le multiculturalisme ("Immigrant") et la spiritualité, puis en s'impliquant politiquement...
Mais le moulage angoissant d'un visage pétrifié lançant un cri de désespoir et de souffrance - visible sur la pochette - indique un certain malaise et en effet, le thème principal de Beyond Skin n'invite ni à la gaieté ni à l'optimisme. Y plane le spectre menaçant de l'arme atomique. La magnifique ouverture "Broken Skin", abordant les tensions entre deux frères ennemis, l'Inde et le Pakistan, résonne comme un étrange écho à la guerre en Ukraine, déclenchée suite à l'agression russe en Mars 2022. La chanteuse Sanchita Farruque est conviée à s'exprimer sur ce morceau downtempo entêtant, ponctué d'arrangements de cordes et de nappes de Wurlitzer.
Les cordes, qu'elles soient frottées, frappées ou pincées, sont omniprésentes dans Beyond Skin, elles établissent un équilibre subtil, une lien magique entre programmations électroniques et orchestrations acoustiques. Les percussions et notamment les tabla ("The Conference") occupent aussi une place importante dans l'univers sonore organique et ouvert sur le monde du producteur.
Dans la tendre complainte "Letting Go", la chanteuse Tina Grace nous demande de lâcher prise dans un décors musical immersif et inspirant, avec pour fil conducteur les arpèges délicats de la guitare acoustique de Nitin. Plus loin, ses accords et ses riffs gipsy nous enflamment tandis que la voix sensuelle et bienveillante de la chanteuse Nina Miranda nous fait songer au sable de Copacabana. Ailleurs encore, c'est au piano et dans un répertoire aux couleurs nettement plus jazzy que l'artiste nous emmène avec ses ritournelles hypnotiques. On notera d'ailleurs la précieuse contribution du contrebassiste Andy Hamill, avec la rondeur et la douceur réconfortante de ses lignes.
La chanteuse Swati Natekar, les chanteurs Jayanta Bose et Devinder Vikyat Singh ou encore le joueur de flute bansuri Ronu Majumdar apportent également, chacun avec leur spécificité et leur authenticité, ce supplément d'âme si universaliste et fédérateur que dégage un Beyond skin véritablement vibrant et troublant de beauté.
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