samedi 15 juillet 2023

Alessandro Sgobbio - Piano Music 2 (AMP Music & Records)

Alessandro Sgobbio - Piano Music 2 (AMP Music & Records)

Le pianiste et compositeur italien Alessandro Sgobbio, que nous avions déjà croisé aux côtés de ses compatriotes le saxophoniste Emiliano Vernizzi (Péricopes+1) et le contrebassiste Mauro Gargano (Feed), nous revient après Piano Music paru en Septembre 2022 avec son envoutant Piano Music 2, un second volume d’expérimentations mélodiques et harmoniques menées en solo, publié par l’excellent label norvégien AMP Music & Records. Ce disque intimiste et contemplatif fut enregistré sur un prestigieux piano Fazioli F278 par Stefano Amerio dans les studios Artesuono de Cavalicco en Italie. Augmentées de nappes électroniques échantillonnées en live dont les sonorités délicates sont pleines de retenue, les 9 compositions alignent des paysages sonores immersifs et méditatifs. Elles sont dédiées à des êtres chers ("Asker" pour son mentor Misha Alperin ou "Keys And Returns" en hommage à la défunte journaliste Shireen Abu Akleh) ou évoquent pour Alessandro des lieux singuliers, chargés de mémoire et d’émotions ("Ilot Chalon" ou "Tula"). Piano Music 2 nous dépeint un univers musical riche et onirique; nous propose un jazz fait d’ambiances évanescentes et de clairs-obscurs minimalistes, où le silence est d’or! On pense aux Gymnopédies et aux Gnossiennes d’Erik Satie, à Philip Glass où aux incursions ambient de Steve Reich…

Indispensable!



Nitin Sawhney - Beyond Skin (Outcaste)

Nitin Sawhney - Beyond Skin (Outcaste)

Les disques que j'écoute inlassablement, les univers sonores qui hantent mon salon et habillent mes soirées, n'ont pas encore de place ici. Alors, comme "il y a un début à tout" je vais ouvrir les festivités  avec un opus que m'a fait découvrir une amie il y a 23 ans, l'immense Beyond Skin, un chef d'œuvre étiqueté "asian vibe" que dévoilait Nitin Sawhney le 13 Septembre 1999.

D'origine indienne, le DJ, producteur et compositeur londonien a grandi à Rochester, dans une Angleterre des années 70 et 80 rongée par la violence et le racisme. Initié très tôt à la musique, il apprend à jouer du piano, de la guitare, de la cithare et des tabla. Alors qu'il mène des études de droit à Liverpool, il s'essaye à la scène au côté de son ami claviériste James Taylor et le suit le temps d'une tournée estivale dans son projet jazz funk: The James Taylor Quartet. Puis, au début des années 90, le multi-instrumentiste se lance en solo avec Spirit Dance, publié sur son tout jeune label World Circuit. Suivront les excellents Migration, puis Displacing The Priest en 1996, avant que n'arrive le premier coup d'éclat de Nitin Sawhney, ce fameux Beyond Skin, couronné de succès dès sa sortie. 

Combinant ses influences asiatiques ("Serpents", "Anthem Without Nation") au jazz ("Tides"), en passant par le hip-hop ("Pilgrim"), la drum and bass ("Nadia") ou encore le flamenco ("Homelands"), le compositeur engagé y affirme une identité musicale underground et plurielle, mariant arrangements orchestraux, chants et instruments traditionnels, pulsations et textures électroniques ("Nostalgia"), le tout en prônant des valeurs de tolérance et de paix, en vantant le multiculturalisme ("Immigrant") et la spiritualité, puis en s'impliquant politiquement...

Mais le moulage angoissant d'un visage pétrifié lançant un cri de désespoir et de souffrance - visible sur la pochette - indique un certain malaise et en effet, le thème principal de Beyond Skin n'invite ni à la gaieté ni à l'optimisme. Y plane le spectre menaçant de l'arme atomique. La magnifique ouverture "Broken Skin", abordant les tensions entre deux frères ennemis, l'Inde et le Pakistan, résonne comme un étrange écho à la guerre en Ukraine, déclenchée suite à l'agression russe en Mars 2022. La chanteuse Sanchita Farruque est conviée à s'exprimer sur ce morceau downtempo entêtant, ponctué d'arrangements de cordes et de nappes de Wurlitzer. 

Les cordes, qu'elles soient frottées, frappées ou pincées, sont omniprésentes dans Beyond Skin, elles établissent un équilibre subtil, une lien magique entre programmations électroniques et orchestrations acoustiques. Les percussions et notamment les tabla ("The Conference") occupent aussi une place importante dans l'univers sonore organique et ouvert sur le monde du producteur.

Dans la tendre complainte "Letting Go",  la chanteuse Tina Grace nous demande de lâcher prise dans un décors musical immersif et inspirant, avec pour fil conducteur les arpèges délicats de la guitare acoustique de Nitin. Plus loin, ses accords et ses riffs gipsy nous enflamment tandis que la voix sensuelle et bienveillante de la chanteuse Nina Miranda nous fait songer au sable de Copacabana. Ailleurs encore, c'est au piano et dans un répertoire aux couleurs nettement plus jazzy que l'artiste nous emmène avec ses ritournelles hypnotiques. On notera d'ailleurs la précieuse contribution du contrebassiste Andy Hamill, avec la rondeur et la douceur réconfortante de ses lignes.

La chanteuse Swati Natekar, les chanteurs Jayanta Bose et Devinder Vikyat Singh ou encore le joueur de flute bansuri Ronu Majumdar apportent également, chacun avec leur spécificité et leur authenticité, ce supplément d'âme si universaliste et fédérateur que dégage un Beyond skin véritablement vibrant et troublant de beauté.



vendredi 14 juillet 2023

Tunico - Tunico (Far Out Recordings)

Tunico - Tunico (Far Out Recordings)


Le 24 Février 2023 paraissait sur le label londonien Far Out Recordings le premier opus au titre éponyme du compositeur, arrangeur et multi-instrumentiste carioca Tunico. Jazzman dans l’âme, ayant assimilé avec brio les folklores du Brésil et notamment ceux du Nordeste comme le maracatu et le forró, Antonio Secchin alias Tunico y dévoile un univers instrumental prodigieusement captivant, inventif et coloré, dans la veine des disques qu’ont produit ses illustres aînés du Quarteto Novo, de Tamba Trio ou de Banda Black Rio… L’artiste, fils du peintre Guilherme Secchin dont une œuvre figure sur la pochette de Tunico, marie en effet la folie samba-funk de la fin des années 70 (“Galope”) à un latin jazz réactualisé, résolument moderne et inspiré (“Saudade do Sucupira”). L’énergie et la chaleur cuivrée de “Sambola”, la rythmique débridée, trépidante et électrisante de “Solar Das Hortências”, laissent parfois place à des mélodies et des harmonies plus aériennes voire contemplatives, les délicieux “Decolagem” et “O Que Virá” l’expriment à merveille.

Ayant enregistré à Rio entouré par un casting de musiciens épatants, le brillant guitariste acoustique et saxophoniste soprano averti, signe-là un recueil de 6 compositions entêtantes aux atmosphères radieuses, hypnotiques et terriblement accrocheuses… Goûtez et vous verrez!