lundi 12 avril 2021

Floating Points - Promises (Luaka Bop)

 Floating Points - Promises (Luaka Bop)

Avant d'être un opus bouleversant, hypnotique et captivant, Promises est une affiche au sommet des plus prestigieuses, un disque qui réunit deux pointures absolues de la musique, dont un monstre sacré, une véritable légende vivante. 

Le musicien mancunien Sam Shepherd alias Floating Points, acteur emblématique d'une scène électronique anglaise expérimentale et inventive, a en effet convié le saxophoniste octogénaire Pharoah Sanders, figure tutélaire du Black Arts Movement et pilier incontournable du jazz, qu'Ornette Coleman lui-même décrivait comme étant "probablement le meilleur joueur de saxophone ténor du monde".

Ayant étudié le piano à la School of Music de Chetham et obtenu un doctorat en neuroscience et en épigénétique à l'University College de Londres, l'artiste surdoué nous laisse, ici, brillamment entrevoir ses influences majeures; les univers de Claude Debussy, Olivier Messiaen et Bill Evans se révèlent alors à travers une œuvre magistrale et immersive, où s'illustre également le célèbre London Symphony Orchestra, qui a su, en une seule prise, enregistrer des arrangements de cordes envoutants. La captation a eu lieu au mythique studio AIR de George Martin, à l’été 2020. 

Imaginée en 9 mouvements, cette suite repose sur un subtil équilibre entre composition et improvisation; une seule piste de 46 minutes où musique classique, jazz et electronica s'entremêlent et interagissent avec douceur et sensualité. La collaboration de l'américain Sanders (qui a brillé auprès de Sun Ra, John Coltrane, Leon Thomas, Don Cherry, Alice Coltrane ou encore David Murray...) et de Floating Points (The XX...) sonne comme une évidence, elle frappe par son élégance, sa tendresse et son éloquence. 

Habitué à faire rugir son instrument dans des répertoires marqués par le free jazz et l'ethno-jazz, Pharoah s'exprime dans Promises avec une retenue inhabituelle, comme s'il était apaisé et que ses émotions n'avaient plus besoin d'être déclamées haut et fort. Des interventions mesurées et poétiques qui semblent échapper aux contraintes du temps et de l'espace.

Pour Sam Shepherd, le silence est d'or. La beauté de ce bien singulier projet naît de ses motifs répétitifs enivrants, qui ne cessent de catalyser notre attention. Ces derniers flottent en boucle sur des nébuleuses de cordes lancinantes, où vibrent et gravitent avec intensité et délicatesse des accords d'orgue obsédants et des notes de claviers émouvantes. 

Fascinant!



dimanche 4 avril 2021

João Selva - Navegar (Underdog Records)

 João Selva - Navegar (Underdog Records)


Le musicien carioca Joâo Selva nous présente via Underdog Records son second opus baptisé Navegar. Installé à Lyon depuis une dizaine d’années, ce natif d'Ipanema livre un album gorgé de sonorités pop aux colorations tropicalistes, un recueil de 8 titres ensoleillés animés par un groove fédérateur, sensuel et dansant. Parcouru de lignes de basse assassines, de cocottes aux effets wah wah et d'accords de rhodes hypnotiques aux saveurs vintage, Navegar semble surgir du Rio des années 70, époque où la MPB était largement empreinte de black music nord-américaine et où triomphait l’incontournable Tim Maia, considéré comme le père de la soul brésilienne.

Au delà des ambiances funk (“Devagar”) et hip-hop (“Cadê Você”) héritées du Barry White brésiliencréolité et rythmes traditionnels afro-brésiliens sont également mis à l’honneur ici. Ils s'expriment ça et là, au détour de compositions largement métissées. “Navegar”, le single de l’album au titre éponyme en est d’ailleurs un bel exemple, lui qui revisite avec brio l'afoxé, ce folklore nordestin emblématique de Bahia.

Rien d'étonnant de voir qu’aux manettes de ce petit objet musical aux vibrations latines positives et festives, œuvre l'alchimiste français Patchworks, producteur pouvant se targuer de remplir un CV assez impressionnant (Da Break, Kumbia Boruka, John Milk...). 

On notera aussi la présence de la pétillante Flavia Coelho dans le très old schoolMeu Mano”, tube en puissance à la chaleur cuivrée qui nous fait songer à Sandra de Sá, du temps sa meilleure période au début des années 80...





mardi 30 mars 2021

Folamour - The Journey (Single) (Columbia)

Folamour - The Journey (Single) (Columbia)

 Devenu l’un des djs les plus en vue de la scène house, le lyonnais Folamour - ex-resident du Rex - s’est forgé une solide réputation dans les clubs et festivals internationaux, grâce à ses sélections soulful et ses productions musclées alimentées par un groove hypnotique

L’immersif “Just Want Happiness” paru il y a peu, s’efforçait déjà de lutter contre la morosité ambiante; «cette tristesse contemporaine» qui accable les citadins notamment ceux des grandes mégalopoles. Il nous convie à « se libérer du poids des villes pour revenir à davantage de simplicité ». Un retour aux sources très bien illustré dans le clip dirigé par Vincent Desrousseaux, qui offre de sublimes images de nature. Ces dernières suscitent de furieuses envies de plein air et de feux de camp, de montagne ou de campagne.

Avec “The Journey”, second extrait de son prochain opus au titre éponyme, prévu pour Juin prochain (un album aux accents autobiographiques qui s’annonce plus personnel que jamais), Folamour accélère la cadence. Écrit en shona, l’une des 16 langues officielles du Zimbabwe d’où son invité, le chanteur Zeke Manyika est originaire, le morceau tranche avec le précédent single. Déroulant de chaleureuses sonorités afro sur une rythmique deep-house ensoleillée, il invite à se sortir de notre torpeur hivernale et à laisser derrière nous ces derniers mois tragiques, pour onduler sur sa ligne de basse affriolante et funky, à l’instar de la danseuse Eva N’diaye, creusant l’écran dans le clip dirigé cette fois-ci par Théo Vincent.

Impatient d’écouter la suite...!





dimanche 28 mars 2021

L’Impératrice - Tako Tsubo (Microqlima)

L’Impératrice - Tako Tsubo (Microqlima)


L’incontournable formation chic et glamour L’Impératrice nous revient avec son second opus baptisé Tako Tsubo, nom du « syndrome des cœurs brisés ». Cette cardiomyopathie liée au stress est décrite pour la première fois au Japon, « se manifeste par une déformation du cœur dû à un trop-plein d’émotion », le ton est donné!

L´album, mixé par le producteur américain Neal Pogue (Outkast, Stevie Wonder, Tyler, The Creator, Kaytranada, Earth, Wind and Fire), semble, plus clairement qu’auparavant, laisser apparaitre les références 80´s et 90´s du groupe. L’excellent “Tant d’amour perdu”, titre de Michel Berger datant de 1981, en est un bel exemple, lui qui clôt merveilleusement l’effort sur une note mélancolique et nostalgique. On se prend même à imaginer France Gall au micro, devant la section rythmique de l’épopée Starmania à l’époque du G-Funk.

Présent dans le paysage musical français depuis sa création en 2012, le groupe rencontre véritablement le succès à partir de 2016, remportant le prix Deezer Adami et participant à d’illustres festivals hexagonaux comme le Printemps de Bourges, Calvi On The Rocks et We Love Green. Une série de remixes orchestrés par Parcels, Poolside, Lazywax, Folamour, Patchworks ou encore Session Victim leur ouvre les portes de la scène club et quelques collaborations édifiantes s’ajoutent à leur palette sonore déjà bien riche (Isaac Delusion, Jamo, Lomepal). L’Imperatrice devient alors emblématique d’une french pop de haute couture, au même titre que Sebastien TellierPolo &Pan, Bengale ou Flavien Berger. 

Après Matahari paru en 2018, les six complices (Charles de Boisseguin et Hagni Gwon aux claviers, Flore Benguigui au chant, David Gaugué à la basse, Tom Daveau à la batterie et Achille Trocellier à la guitare électrique) nous livrent un recueil de 13 chansons pop aux saveurs discoïdes sensuelles et pleines d’émotions, où se marient tendrement vibrations funk (“Fou”) et R&B (“L’équilibriste”), incursions electro (“Tombé pour la scène”) et hip-hop West-coast (“Peur des filles”). Les ambiances nocturnes de leur précédent disque laissent place à davantage de couleurs et de lumière; de nouvelles thématiques (réseaux sociaux, féminisme...), plus ancrées dans le réel et l’actualité, sont également abordées avec une liberté inédite, qui s’affiche notamment dans la structure des morceaux.




Josef Salvat - The Close/Le Réveil EP (Leafy Outlook)

Josef Salvat - The Close/Le Réveil EP (Leafy Outlook)


Le chanteur australien Josef Salvat nous revient après son album Modern Anxiety paru en 2020, avec un nouveau petit bijou pop baptisé The Close/Le Réveil. Un EP plutôt généreux alignant 8 titres écrits fin août dernier et enregistrés dans la foulée. Une urgence nécéssaire qui s’est avérée curative et salutaire. En effet, l’artiste a ressenti le besoin de clore une année tragique où tout semble s’être figé, mais également d’exprimer à chaud ses propres émotions, après une suite de déconvenues et de désillusions sentimentales. Plutôt que de s’apitoyer, il donne à ses histoires de cœur une dimension musicale efficace et séduisante, avec ses montées en puissance, ses breaks et ses drops. Mais si certains morceaux comme “One More Night” et “Peaches” sont clairement orientés club, d’autres compositions, plus intimistes, sont gratifiées d’incursions folk pleines de tendresse comme dans “First Time” ou “Swimming Upstream”. 

Puis il y a “I Miss You”, la pépite du recueil, une ode electro/pop absolument hypnotique construite autour d’une boucle de clavier immersive et obsédante, enrichie de cordes majestueuses... Un écrin taillé sur mesure pour laisser s’exprimer la voix chaude et sensuelle de Josef qui rappelle parfois les chants à fleur de peau de James Blunt, Jack Garratt, James Arthur ou encore Ed Sheeran...




vendredi 26 mars 2021

Alfa Mist - Bring Backs (ANTI-Records)

Alfa Mist - Bring Backs (ANTI-Records)


L’UK Jazz fait sensation ces dernières années avec une myriade de jeunes artistes ultra-talentueux, qui ne cessent de réinventer les contours d’un genre musical qui n’a jamais été plus accessible et ouvert qu’aujourd’hui. Le mariant avec créativité aux nouvelles sonorités issues des scènes world, afro-américaines et électroniques, ces musiciens ont également su se replonger dans les racines africaines de la note bleue, pour en extraire un language résolument plus actuel, percutant et fédérateur. 

Le pianiste, batteur et producteur londonien Alfa Mist fait partie - comme ses prestigieux acolytes Jordan Rakei, Tom Misch et Barney Artist - de cette nouvelle déferlante artistique venue d’outre-Manche. Élevé au son des emblématiques J Dilla, Hi-Tek et Madlib, mais également marqué par les œuvres de Miles Davis et Hans Zimmer, l’autodidacte d’origine ougandaise a assimilé et s’est approprié les grammaires du jazz, de la B.O.F et de la black music, formulant sa vision singulière d’une musique profonde, sophistiquée et libre, empreinte du bouillonnement et de la vitalité de la rue

Newham, son quartier natal, situé dans l’est de Londres, a d’ailleurs été une immense source d’inspiration pour Bring Backs, son dernier disque qui paraîtra le 23 Avril prochain sur ANTI-Records. Il aligne 9 pièces reliées entre elles par les bribes d’un poème d’Hilary Thomas (comédienne, doublure de voix, scénariste et romancière américaine), un texte abordant le thème de la construction d’une communauté dans un nouveau pays... Des mots qui ont une résonance autobiographique pour Alfa...

Gorgé de soul, rythmé par un groove urbain entêtant et entraînant (“Organic Rust”), puis animé par des mélodies vibrantes et immersives (“Run Outs”) - le plus souvent guidées par les lignes hypnotiques du Fender Rhodes d’Alfa Sekitoleko de son vrai nom - Bring Backs réunit à nouveau un casting de complices, s’illustrant côte-à-côte depuis la première heure. S’y retrouvent l’électrisant Jamie Leeming à la guitare, la divine Kaya Thomas-Dyke à la basse et au chant (diva en plus d’être une merveilleuse bassiste), le virtuose Jamie Houghton à la batterie (en maître du temps) et le volubile Johnny Woodham à la trompette.

Succédant à Antiphon paru en 2017 (véritable chef d’œuvre) et à Structuralism deux ans plus tard - tous deux sortis sur son propre label Sekito - Bring Backs brille par une esthétique hip-jazz et soulful qui, bien qu’homogène, flirte parfois avec les extrêmes. En effet si la ballade “People” nous plonge dans une soul intersidérale sensuelle et acoustique, “Teki” s’embrase et frôle le psychédélisme avec son motif de guitare obsédant et ses tendances free. Dans le dramatique et troublant “Once A Year”, le quintet et ses accents électriques s’effacent, ne laissant qu’un ensemble à cordes s’exprimer et nous inonder de ses nappes orchestrales mélancoliques à en  pleurer. Un titre qui pourrait sembler isolé, mais qui s’inscrit pourtant dans la démarche d’Alfa; il nous rappelle bien sûr sa collaboration récente avec le London Contemporary Orchestra, auprès duquel il avait ré-imaginé “Confliction”, une pièce instrumentale écrite après ses échanges avec un chauffeur de taxi...

L’ombre du légendaire J Dilla, véritable pilier dans l’art du sampling, plane derrière chaque pulsations décalées (“Mind the Gape”) de l’opus; pas étonnant de découvrir dans la bio d’Alfa, que le MC/beatmaker qui débutait sa carrière dans le milieu du grime, entra dans le jazz par la petite porte, en cherchant des samples pour ses prods. Un ouverture d’esprit qui le mit au piano et à la composition... La suite continue de s’écrire.




mercredi 24 mars 2021

Stefano di Battista - Morricone Stories (Warner Music)

Stefano di Battista - Morricone Stories (Warner Music)


Après les projets de Ferruccio Spinetti et Giovanni Ceccarelli en Septembre dernier, puis plus récemment du Blazin’ Quartet de Srdjan Ivanovic, c’est au tour de l’immense saxophoniste romain Stefano Di Battista, personnalité de premier plan de la scène jazz européenne, de rendre hommage à son compatriote, le célèbre Ennio Morricone, disparu à Rome le 06 Juillet 2020.

Dans Morricone Stories, Stefano aborde, avec le génie et l’élégance qu’on lui connaît, des thèmes plus ou moins connus du compositeur italien, les transformant en standards de jazz raffinés et surprenants, à l’instar de sa reprise de  “Costa avete fatto a Solange ?” de 1972 (titre principal du giallo oublié du réalisateur Massimo Dallamano), qui ouvre le disque magistralement en alignant un swing des plus prenants. La mélodie absolument captivante d’Ennio est ici sublimée par des arrangements subtiles, où s’expriment l’interprétation et la complicité sans faille d’un line up de haut vol. 

En effet, aux côtés du saxophoniste - qui passe en fonction des humeurs de l’alto au soprano - brillent les harmonies somptueuses et délicates du pianiste Fred Nardin. A la rythmique, le monstre sacré André Ceccarelli est épaulé par le contrebassiste napolitain Daniele Sorrentino, un tandem de choc qui œuvre avec brio, tout en finesse et en retenue.

Des ballades à la ritournelle pop intemporelle comme l’inoubliable “Gabriel’s Oboe” - extraite du film The Mission de Roland Joffé (Palme d’or en 1986) - débordent de tendresse et de sérénité, nous faisant presque oublier le jeu véloce et fougueux auquel le soliste nous avait si souvent habitué. Cependant dans “Peur sur la ville” thème principal du thriller de Verneuil (1975), Di Battista retrouve sa verve, avec un lyrisme déchirant qui s’étire sur les motifs obsédants de la section rythmique également repris par Fred. On se retrouve alors à traquer Minos auprès de Belmondo, sur cet air angoissant si familier et complètement immersif!

À découvrir !