vendredi 29 avril 2016

Ash Koosha - I Aka I (Ninja Tunes)


Ash Koosha - I Aka I (Ninja Tune)
L'écurie anglaise Ninja Tunes nous présente le dernier obus sonore du producteur iranien Ash Koosha. Installé à Londres après s'être fait emprisonner pour avoir donné un concert de rock dans son pays natal, cet as de l'échantillonnage maltraite, étire, découpe et déforme un tas de samples dans des compositions électroniques expérimentales et barrées, répondant pourtant à des structures rythmiques et mélodiques inspirées par la musique classique, aussi bien perse qu'occidentale.


Les expérimentations electronica d'Aphex Twin et la violence sonique du post-rock de Mogwai ne sont pas étrangères au travail du beatmaker, qui avoue aussi avoir été touché par les ambiances trip-hop de Portishead et Massive Attack. Mais davantage intéressé par la fréquence et la présence physique et visuelle du son, il va traiter son vaste répertoire d'échantillons comme un tas d'objets qu'il doit assembler et articuler dans un certain ordre, c'est alors qu'entre en jeu la rigueur acquise lors de ses classes au Conservatoire de Téhéran, histoire de donner un sens musical à cette débauche de bruits, de notes et de matières audibles.

Ce second opus intitulé I Aka I succède à GUUD paru en juin 2015 et qu'il façonna en écoutant les maîtres Vivaldi, Wagner et Chopin. L'artiste y remplaça les instruments traditionnels que sont le piano, les violons, violoncelles et cuivres par des glitchs et autres sons inconnus ou méconnaissables. A l'instar d'un alchimiste, il désassemble, mélange puis réassemble. Hip hop, rythmes jamaïcains, pop et folklores se frottent aux breakbeat, dubstep, ambient et autres musiques électroacoustiques un peu à la manière des héros du genre comme Prefuse 73 ou Fourtet. Si des titres down-tempo comme "Eluded", "Buitiful" et "Growl" s'écoutent assez facilement avec leurs mélodies plus ou moins discernables et leurs nappes de synthés atmosphériques réconfortantes, il en est tout autrement avec les ambiances post-apocalyptiques et dissonantes ou les rythmiques fragmentées, fulgurantes et saturées de "Ote", "In Line", "Fool Moon" ou "Too Many" (où l'on devine en filigrane la "Sonate au Clair de Lune" de Beethoven). On notera les influences manifestes du Moyen-Orient, qui transparaissent au travers de quelques bribes mélodiques dans "Shah", "Mudafossil" ou "Make It Fast"

Ash Koosha accouche d'un disque détonnant, un objet sonore non-identifiable qui se laisse approcher difficilement! Peut-être sa vision musicale d'un Cubisme expressionniste?

Idris Ackamoor & The Pyramids – We Be All Africans (Strut Records/Differ-Ant)


Idris Ackamoor & The Pyramids – We Be All Africans (Strut Records/Differ-Ant)

Pulsations afro, sophistication jazz, magie funk et reflets psychédéliques ont fait bon ménage aux USA et en Afrique dans les années 70, puis le filon s'est tari peu à peu… Devenus rares et collectors, ces projets gravés sur vinyle et influencés par les travaux de quelques gourous tels que James Brown, George Clinton, Sly Stone pour le funk et Sun Ra, Alice Coltrane ou Pharoah Sanders pour le jazz/fusion, s'échangent aujourd'hui à prix d'or. Autour de cet engouement toujours croissant pour ces sonorités vintages dont le Ghana, le Nigeria, le Congo ou le Sénégal ont été de grands pourvoyeurs, les maisons de disques se sont mises à rechercher ces trésors oubliés, rééditant des perles disparues ou participant à la reformation d'anciens groupes mythiques.

Strut Records s'est ainsi rapproché du groupe légendaire The Pyramids, fondé dans l'Ohio en 1972 et affiné à Paris sous l'impulsion de son leader charismatique et mystique, Idris Ackamoor. Héritier d'une lignée de musiciens nés au Etats-Unis mais ayant effectué un retour aux sources dans le berceau de l'humanité, le saxophoniste multi-instrumentiste accompagné de ses acolytes Margo Simmons à la flûte et Kimathi Asante à la basse, a bâtit une musique spirituelle, consciente et militante aux accents afrobeat, P-funk, free, éthio et cosmic jazz.

Séparés en 1977 après avoir sorti 3 albums emblématiques et avant-gardistes qui succédèrent à leur voyage initiatique en Afrique (Lalibela en 1973, King Of Kings en 1974 et Birth/Speed/Merging en 1976), The Pyramids reprennent du service en 2010 et publient en 2012 Otherwordly. Gilles Peterson salue alors l'ensemble de leur œuvre en décernant à Idris un Lifetime Achievement Award lors de sa fameuse cérémonie annuelle des Worldwide Awards.

Le 27 Mai prochain paraîtra We Be All Africans, dernier opus de ces légendes de l'afro jazz/funk, enregistré à l'ancienne au Studio Philophon de Berlin avec la collaboration du batteur Max Weissenfeldt. Grâce à ce dernier les musiciens se plient au son analogique, à sa chaleur et à son grain… On y retrouve la tendance astrale et psychédélique de leurs débuts, comme s'ils reprenaient les choses là où ils les avaient laissées il y a 40 ans, avec la même énergie, la même fougue et un désir d'aventure et de partage toujours omniprésent. On notera la présence solaire de la chanteuse indienne Bajka dans le mélancolique "Silent Days", single à venir très bientôt!

 

‘We Be All Africans’ is a message of survival. A message of renewal. A message that we are all brothers and sisters. We are all one family, the human family and we need one another in order to survive on this planet that we all share.
Idris Ackamoor

 

jeudi 28 avril 2016

M.A.K.U Soundsystem – Mezcla (Glitterbeat/Differ-Ant)


M.A.K.U Soundsystem – Mezcla (Glitterbeat/Differ-Ant)

C'est dans une débauche de cuivres et de percussions assommantes que la formation new-yorkaise M.A.K.U Soundsystem nous invite à partager ses racines musicales solidement ancrées dans l'afrobeat et les rythmes afro-colombiens. Les huit musiciens nous présentent leur 3° opus intitulé Mezcla et composé de 9 titres endiablés, ils y expriment leur origine colombienne, commune à la plupart d'entre eux (Barranquilla et Bogota), tout en intégrant des sonorités explosives empruntées au punk, au funk et au hip-hop dans un discours engagé et optimiste, traitant autant de quête d'identité que du quotidien ou de politique. Ses reflets jazzy de fanfare New-Orleans boostée à l'afro-groove sont largement enrichis de cumbia et de ska, dégageant une énergie vitale rare et contagieuse!

Mor Karbasi - Ojos de Novia (Alama Rec./Harmonia Mundi)


Mor Karbasi - Ojos de Novia (Alama Rec./Harmonia Mundi)

La chanteuse native de Jérusalem Mor Karbasi publie son 4° opus intitulé Ojos De Novia. S'entourant de musiciens d'exception (Joe Taylor et Jorge Bravo aux guitares trompettes et saz, Antonio Miguel à la basse, Yshai Afterman aux percussions et Orel Oshrat au piano), elle exprime ses origines marocaines, perses et israéliennes à travers une collection de 13 compositions captivantes, où le ladino côtoie les traditions andalouses et berbères. Accents flamenco, fougue gitane, arrangements de cordes et sophistication jazzy sont donc au rendez-vous dans ce voyage initiatique et enchanteur entre Méditerranée et Moyen-Orient, où l'auditeur est guidé par la voix cristalline et bouleversante de sensualité d'une diva solaire et resplendissante. On ne boude non plus pas notre plaisir d'écouter jouer ses invités de marque, les bassistes Richard Bona, Kai Eckhardt et le guitariste Tomatito. Ojos de Novia est un disque touchant et rare!   

mercredi 27 avril 2016

Son Of Dave – Explosive Hits (Goddamn Records)


Son Of Dave – Explosive Hits (Goddamn Records)

Le musicien canadien installé en Angleterre Son Of Dave publie son septième opus chez Goddamn Records intitulé Explosive Hits. Ancien membre de la formation folk-rock Crash Test Dummies (on se souvient de leur immense succès "Mmm Mmm Mmm Mmm" paru en 1993), Benjamin Darvill amorce sa carrière solo au début des années 2000 avec un répertoire blues et folk aux accents funky et R&B. Largement remarqué en 2006 grâce à son titre "Devil Take My Soul" où il invitait la chanteuse trip-hop Martina Topley Bird, ex-égérie de Tricky.

Le chanteur, guitariste, percussionniste, harmoniciste et as du beat-boxing nous offre une collection de 13 reprises acoustiques décapantes de titres actuels et plus anciens devenus incontournables. Empruntant aussi bien à la french touch des Daft Punk qu'à la hip-house 90's de Technotronic, au hard rock d'AC/DC ou à la néo soul de Paloma Faith, le multi-instrumentiste signe un hommage festif à près d'un siècle de musique, dont le point d'ancrage se trouve le long du Mississippi avec le blues de Robert Jonhson, John Lee Hooker et Slim Harpo.

Grâce à son jeu racé et débauché qui puise ses racines dans le son roots du delta blues et malgré le grand écart entre les genres revisités, l'énergique homme orchestre parvient à faire coexister dans un même écrin inspiré des anciennes compilations K-Tel Super Hits des 70's, "Pump Of The Jam" et ses couleurs eurodance avec "Tequila" et ses saveurs de mambo cubain… Un bel effort en soi!



NOx.3 – Nox Tape (Jazz Village/Harmonia Mundi)


NOx.3 – Nox Tape (Jazz Village/Harmonia Mundi)

Le tout jeune trio parisien nOx.3 vient bousculer les codes du jazz avec sa soif d'innovation et de liberté. Dépoussiérant l'esthétique classique de la formule piano, sax et batterie à grands coups d'effets et de reflets électroniques, le claviériste nantais Matthieu Naulleau et la fratrie lorraine Rémi  (saxophoniste) et Nicolas Fox (batteur), nous livrent leur second opus intitulé Nox Tape, un recueil de 8 compositions inspirées et hypnotiques.

Mêlant les recherches d'artistes issus des scènes IDM, D&B, Abstract ou electronica (Amon Tobin, Flying Lotus ou Dorian Concept), à celles des piliers du free jazz, du rock et même du metal, nOx.3 lève le voile sur une approche iconoclaste et débridée d'un genre qui n'en finit pas de repousser ses limites, laissant les polyrythmies, séquences et autres boucles  obsédantes engendrer une identité musicale hybride.

Entre musique savante et populaire, acoustique et électronique, écrite et improvisée, la formation fraîchement vainqueur du Tremplin RéZZo Focal de jazz à Vienne, définie sa palette sonore comme une "electro-libre à tendance improvisée qui agit sur tout ce qui bouge"




mardi 26 avril 2016

Mélanie de Biasio - Blackened Cities (Pias)

La chanteuse et flutiste jazz originaire de Belgique Mélanie de Biasio, nous offre son dernier opus intitulé Blackened Cities. Il succède à l'excellent No Deal qui recevait en 2013 un très bon accueil, autant critique que public.

Cette longue et unique composition de 25 minutes lui fut inspirée par le décor des villes post-industrielles qu'elle a traversées durant sa tournée internationale de Détroit à Bilbao en passant par Manchester et bien sûr sa citée natale, Charleroi. Conçu de façon quasiment improvisée avec un staff de musiciens qui, pour quelques uns, partagent l'univers de la diva depuis plus de 15 ans, Blackened Cities fut enregistré un après-midi d'automne 2014 à Bruxelles et ne nécessita que le stricte minimum en post-production. Sombre mais aérien et aéré, les quelques accords réverbérés du claviériste Pascal Paulus rejoint par le contrebassiste Sam Gertsman et son archet plantent le décor dès les premières minutes. Bart Vincent diffuse un léger voile de white noise, comme une brise à laquelle la voix grave, fantomatique et planante de Mélanie et le piano de Pascal Mohy se fondent. Surgit ensuite un battement de cœur marqué par la grosse caisse de Dre Pallemaerts, de là une rythmique jazzy éclos accompagnée de sa ligne de basse rassurante et groovy qui gonfle, enfle et forcit. Tout s'enchaîne alors en crescendo, une progression hypnotique voire psychédélique menée avec virtuosité par un batteur maestro qui ralenti la cadence après le drop. Son swing devient alors atmosphérique, adoucissant les humeurs et laissant celle que Gilles Peterson considère comme l'artiste jazz la plus excitante du moment, déployer son phrasé délicat, sensuel et gorgé d'émotions.