vendredi 26 mars 2021

Alfa Mist - Bring Backs (ANTI-Records)

Alfa Mist - Bring Backs (ANTI-Records)


L’UK Jazz fait sensation ces dernières années avec une myriade de jeunes artistes ultra-talentueux, qui ne cessent de réinventer les contours d’un genre musical qui n’a jamais été plus accessible et ouvert qu’aujourd’hui. Le mariant avec créativité aux nouvelles sonorités issues des scènes world, afro-américaines et électroniques, ces musiciens ont également su se replonger dans les racines africaines de la note bleue, pour en extraire un language résolument plus actuel, percutant et fédérateur. 

Le pianiste, batteur et producteur londonien Alfa Mist fait partie - comme ses prestigieux acolytes Jordan Rakei, Tom Misch et Barney Artist - de cette nouvelle déferlante artistique venue d’outre-Manche. Élevé au son des emblématiques J Dilla, Hi-Tek et Madlib, mais également marqué par les œuvres de Miles Davis et Hans Zimmer, l’autodidacte d’origine ougandaise a assimilé et s’est approprié les grammaires du jazz, de la B.O.F et de la black music, formulant sa vision singulière d’une musique profonde, sophistiquée et libre, empreinte du bouillonnement et de la vitalité de la rue

Newham, son quartier natal, situé dans l’est de Londres, a d’ailleurs été une immense source d’inspiration pour Bring Backs, son dernier disque qui paraîtra le 23 Avril prochain sur ANTI-Records. Il aligne 9 pièces reliées entre elles par les bribes d’un poème d’Hilary Thomas (comédienne, doublure de voix, scénariste et romancière américaine), un texte abordant le thème de la construction d’une communauté dans un nouveau pays... Des mots qui ont une résonance autobiographique pour Alfa...

Gorgé de soul, rythmé par un groove urbain entêtant et entraînant (“Organic Rust”), puis animé par des mélodies vibrantes et immersives (“Run Outs”) - le plus souvent guidées par les lignes hypnotiques du Fender Rhodes d’Alfa Sekitoleko de son vrai nom - Bring Backs réunit à nouveau un casting de complices, s’illustrant côte-à-côte depuis la première heure. S’y retrouvent l’électrisant Jamie Leeming à la guitare, la divine Kaya Thomas-Dyke à la basse et au chant (diva en plus d’être une merveilleuse bassiste), le virtuose Jamie Houghton à la batterie (en maître du temps) et le volubile Johnny Woodham à la trompette.

Succédant à Antiphon paru en 2017 (véritable chef d’œuvre) et à Structuralism deux ans plus tard - tous deux sortis sur son propre label Sekito - Bring Backs brille par une esthétique hip-jazz et soulful qui, bien qu’homogène, flirte parfois avec les extrêmes. En effet si la ballade “People” nous plonge dans une soul intersidérale sensuelle et acoustique, “Teki” s’embrase et frôle le psychédélisme avec son motif de guitare obsédant et ses tendances free. Dans le dramatique et troublant “Once A Year”, le quintet et ses accents électriques s’effacent, ne laissant qu’un ensemble à cordes s’exprimer et nous inonder de ses nappes orchestrales mélancoliques à en  pleurer. Un titre qui pourrait sembler isolé, mais qui s’inscrit pourtant dans la démarche d’Alfa; il nous rappelle bien sûr sa collaboration récente avec le London Contemporary Orchestra, auprès duquel il avait ré-imaginé “Confliction”, une pièce instrumentale écrite après ses échanges avec un chauffeur de taxi...

L’ombre du légendaire J Dilla, véritable pilier dans l’art du sampling, plane derrière chaque pulsations décalées (“Mind the Gape”) de l’opus; pas étonnant de découvrir dans la bio d’Alfa, que le MC/beatmaker qui débutait sa carrière dans le milieu du grime, entra dans le jazz par la petite porte, en cherchant des samples pour ses prods. Un ouverture d’esprit qui le mit au piano et à la composition... La suite continue de s’écrire.




mercredi 24 mars 2021

Stefano di Battista - Morricone Stories (Warner Music)

Stefano di Battista - Morricone Stories (Warner Music)


Après les projets de Ferruccio Spinetti et Giovanni Ceccarelli en Septembre dernier, puis plus récemment du Blazin’ Quartet de Srdjan Ivanovic, c’est au tour de l’immense saxophoniste romain Stefano Di Battista, personnalité de premier plan de la scène jazz européenne, de rendre hommage à son compatriote, le célèbre Ennio Morricone, disparu à Rome le 06 Juillet 2020.

Dans Morricone Stories, Stefano aborde, avec le génie et l’élégance qu’on lui connaît, des thèmes plus ou moins connus du compositeur italien, les transformant en standards de jazz raffinés et surprenants, à l’instar de sa reprise de  “Costa avete fatto a Solange ?” de 1972 (titre principal du giallo oublié du réalisateur Massimo Dallamano), qui ouvre le disque magistralement en alignant un swing des plus prenants. La mélodie absolument captivante d’Ennio est ici sublimée par des arrangements subtiles, où s’expriment l’interprétation et la complicité sans faille d’un line up de haut vol. 

En effet, aux côtés du saxophoniste - qui passe en fonction des humeurs de l’alto au soprano - brillent les harmonies somptueuses et délicates du pianiste Fred Nardin. A la rythmique, le monstre sacré André Ceccarelli est épaulé par le contrebassiste napolitain Daniele Sorrentino, un tandem de choc qui œuvre avec brio, tout en finesse et en retenue.

Des ballades à la ritournelle pop intemporelle comme l’inoubliable “Gabriel’s Oboe” - extraite du film The Mission de Roland Joffé (Palme d’or en 1986) - débordent de tendresse et de sérénité, nous faisant presque oublier le jeu véloce et fougueux auquel le soliste nous avait si souvent habitué. Cependant dans “Peur sur la ville” thème principal du thriller de Verneuil (1975), Di Battista retrouve sa verve, avec un lyrisme déchirant qui s’étire sur les motifs obsédants de la section rythmique également repris par Fred. On se retrouve alors à traquer Minos auprès de Belmondo, sur cet air angoissant si familier et complètement immersif!

À découvrir !




mardi 23 mars 2021

Surnatural Orchestra - Tall Man Was Here

Surnatural Orchestra - Tall Man Was Here 


Le Collectif Surnatural présentait le 20 Novembre dernier le nouvel opus du Surnatural Orchestra, recueil décapant et jubilatoire de 10 compositions déjantées et festives, croisant le jazz (“Veracruz”) à l’opéra, les folklores (“Tarantella ally-pally”) à la musique contemporaine et à bien d’autres choses. Enregistré du 21 au 23 Janvier 2020, le disque est tiré d’un projet scénique baptisé Tall Man; un spectacle narratif mêlant musique orchestrale, chant, danse, théâtre et scénographie, où le public est invité à s’extirper du marasme ambiant, qui qui s’éternise tragiquement. Cet exutoire exubérant et fédérateur, garde toute sa superbe sur le très musclé Tall Man Was Here, un album plein de panache, offert par une formation XXL; une fanfare de 18 musiciens aux cuivres débordants et aux rythmiques entêtantes. 

À noter que Tall Man Was Here est servi dans un très bel écrin en bois, imitant les vieux tableaux noirs de notre enfance, avec son livret de 40 pages et une craie blanche... 



Pierrejean Gaucher - Zappe Satie (Musiclip/Absilone/Socadisc)

Pierrejean Gaucher - Zappe Satie (Musiclip/Absilone/Socadisc)


Le guitariste originaire de la région parisienne Pierrejean Gaucher nous présentait, il y a peu, son dernier opus baptisé Zappe Satie, un disque barré où il reprend le concept d’un précédent projet mené en 1998. Le musicien/pédagogue avait alors choisi de célébrer l’héritage d’une de ses influences majeures, l’inventif et excentrique Frank Zappa (Zappe Zappa), alchimiste de la six cordes qui est parvenu à se créer un univers musical unique et fantasque, mêlant musique contemporaine, jazz, rock et pop.

Erik Satie, qui semble avoir été une source d’inspiration pour l’américain - sans qu’il ne nous ait laissé un indice probant à ce sujet - trône lui aussi parmi les figures tutélaires de la musique du XX° siècle. Tous deux autodidactes et anticonformistes, les deux compositeurs ont pu développer quelques astuces créatives communes (déconstruction, juxtapositions, chocs harmoniques entre autres intentions de rompre avec les codes en vigueur à leurs époques respectives), même si leurs œuvres demeurent formellement différentes. 

Pierrejean a souhaité bâtir une passerelle entre les univers de ces deux monstres sacrés, utilisant les sonorités fusion et jazz-rock, les notes ou les ponctuations rythmiques de l’un, pour évoluer sur les merveilles mélodiques et les motifs hypnotiques de l’autre...

Épaulé par Thibault Gomez au piano/Fender Rhodes, Alexandre Perrot à la contrebasse, Ariel Tessier à la batterie, Quentin Ghomari aux trompettes, Robinson Khoury au trombone, Julien Soro et Paul Vergier aux saxophones, le guitariste - passé maître dans l’art de la citation - nous embarque dans une aventure déconcertante où “le matériau de Satie n’est qu’un point de départ” et la folie de Zappa qu’un moyen. Zappe Satie n’est pas un disque de reprises, ni un patchwork, mais bel et bien un album de compositions originales inspirées, singulières, judicieuses et non dénuées d’humour.







 

dimanche 21 mars 2021

Stéphanie Lemoine - Love Leaves Traces (Mix Up Jazz/Inouïe Distribution)

Stéphanie Lemoine - Love Leaves Traces (Mix Up Jazz/Inouïe Distribution)


Dès l’ouverture de son sublime Love Leaves Traces, la diva Stéphanie Lemoine donne le ton avec un jazz décomplexé, gorgé de soul et de notes pop. Ce second opus sonne comme une évidence et sa voix puissante, à la fois chaude et immersive, fait des miracles aussi bien lorsqu’elle s’exprime en anglais qu’en français. Auteure et compositrice, elle s’est bâti un répertoire sur mesure où les sonorités folk organiques et intimistes d’un titre vibrant comme “Morning” flirtent avec celles, plus aériennes et mélancoliques, de l’intemporelle ballade de Richard Rodgers et Lorenz Hart, “My Romance”. Ses incursions jazz/funk - dignes de celles de Jamiroquai - font des ravages, poussant l’auditeur à battre leurs cadences endiablées, à l’instar de “Sunset Town”, du poétique “Rive Sauvage” et de l’hypnotique “Somehow”, formidable machine à danser aux accents samba intenses et brûlants. Alignant 3 reprises de standards incontournables dont “Body and Soul” et “I Can’t Help It”, ainsi que 10 compositions efficaces toutes plus accrocheuses les unes que les autres, la chanteuse se devait, pour parfaire son dessein, de s’entourer d’un casting à la hauteur. Autour du quartet qu’elle forme avec Pierre-Antoine Clamadieu (piano, Rhodes), Laurent Salzard (basse) et Jeff Ludovicus (batterie), figurent ainsi des chœurs, une section de cuivres et des cordes... Bref un line-up XXL !

Belle découverte!



Edward Perraud - Hors Temps (Label bleu/L'Autre Distribution)

Edward Perraud - Hors Temps (Label bleu/L'Autre Distribution)


Le batteur et percussionniste nantais Edward Perraud nous revient avec Hors Temps, second album qu'il publie sur le Label Bleu, après l'excellent Espaces sorti en 2018. Accompagné par Bruno Angelini au piano et Arnault Cuisinier à la contrebasse, le patron de Quarkrecords et membre du trio emblématique Das Kapital, poursuit sa célébration de l’essentiel et de l’instant furtif, nous livrant un recueil de 9 compositions immersives et poétiques, au fil desquelles l’auditeur se sent perdre pied et flâne sans contrainte au gré de vibrantes nébuleuses musicales. Le jeu si singulier d’Erik Truffaz ne pouvait que sonner juste sur ces mélodies intemporelles aux tempos éthérés et  “intuitifs”, fruits d’un interplay infaillible.



jeudi 18 mars 2021

Jonathan Orland Quartet - Something Joyful (Steeple Chase/Look Out)

Jonathan Orland Quartet - Something Joyful (Steeple Chase/Look Out)


C'est un jazz classieux et efficace, débordant d'un swing fédérateur et bienveillant, que nous livrait le 15 Février dernier la nouvelle formation du musicien parisien Jonathan Orland. Son troisième opus solaire et sans fioritures se baptise Something Joyful, il succède à Forgotten Waters paru en 2017. 

Tellement bien venue en cette période morose et angoissante, la musique du saxophoniste ayant étudié à Boston et au Canada rassure, nous communiquant son énergie et ses vibrations positives. A travers 10 titres accrocheurs: 7 inédits écrits par le leader désormais installé à Montréal, 2 standards et une composition de l'incontournable Olivier Hutman, il fait briller un quartet redoutable, où l'excellent pianiste l'accompagne sur une rythmique d'esthètes, emmenée par ses complices Yoni Zelnik à la contrebasse et Ariel Tessier à la batterie. 

Un quartet au son claire et au jeu vivifiant, à l'instrumentalité chaude et entraînante, où le leader - qui s'est illustré par le passé auprès du Michel Reis Paris Quartet, de Jean-Michel Pilc et John Hollenbeck, du Sextet Gui Duvignau, de Peter Peter, d'Ibeyi, de Vincent Touchard ou encore de Xavier Thollard - a souhaité célébrer, sans trop en faire, l'héritage de ses héros, Ornette Coleman et Cannonball Adderley...