vendredi 29 janvier 2016

Borja Flames - Nacer Blanco (Marxophone/Le Saule)


Borja Flames - Nacer Blanco (Marxophone/Le Saule)

Difficile de classer ce premier opus solo de l'artiste touche-à-tout Borja Flames, les compositions qu'il nous présente dans Nacer Blanco ont ce petit je-ne-sais-quoi de captivant voire de déroutant. Les sonorités qu'il façonne semblent parfois s'extraire d'un rite chamanique improbable comme dans El Arte De La Fuga et Vuelta Otra Vezpercussions et voix bouclées surgiraient d'un folklore ancestral d'Amérique du sud.

Moitié du duo June & Jim qu'il forme avec sa compagne Marion Cousin, présente dans les entêtants No Hay Pais et Lazos De Familia construits de loops et basés sur la répétition de phrases lancés en canon, Borja est fortement influencé par l'œuvre de l'anticonformiste et génial Moondog, maître du contrepoint et la fugue entre autres figures de style, qui fréquenta aussi bien Charlie Parker que Steve Reich ou Leonard Bernstein. Il est admiratif de sa manière d'allier complexité rythmique et puissance mélodique mais surtout touché par son goût pour le mélange des saveurs (accents caribéens, sophistication du jazz et avant-garde minimaliste).

Dans cet alliage subtile de chanson pop, de polyphonie et de musique électronique, Borja se plait à semer le trouble affichant une posture rock tout en restant connecté à la puissance mystique des rythmes premiers. Il nous brouille les idées à grand renfort d'échos et de télescopages, comme dans Ojo Avizor où sa ligne de synthé psychédélique et sa rythmique primitive syncopée nous ballade entre les ambiances de The Doors, Gotan Project et Philip Glass.

mercredi 27 janvier 2016

Lucius – Good Grief (Pias)


Lucius – Good Grief (Pias)

Lucius, formation menée par un duo féminin indie-pop basé à Brooklyn, nous présente son dernier opus, le sublime Good Grief, qui succède à leur premier Wildewoman, très bien accueilli par la critique lors de sa sortie en 2013.

Les chanteuses Jess Wolfe et Holly Laesing ont composé ce second disque sur la route, durant ces deux dernières années d'une tournée harassante mais épanouissante. Elles y explorent à travers 11 titres, toujours interprétés en parfaite harmonie, les sentiments de solitude, de tristesse, d'épuisement, d'excitation, de complicité et de joie ressentis durant cette période intense.

Good Grief est produit par Shawn Everett (Weezer, Alabama Shakes) avec Bob Ezrin (Alice Cooper, Kiss ou Pink Floyd) et mixé par Tom Elmhirst (Adele, Beck). On retrouve autour des deux leaders les multi-instrumentistes Andrew Burri, Peter Lalish et Dan Molad.

Le premier single partagé par le groupe fin 2015 était Born Again Teen, il s'agit d'un extrait pop rock survitaminé et pétillant à l'efficacité redoutable, parcouru par des voix légèrement aiguisées et des guitares saturées, le tout monté sur l'assise d'une batterie assommante aux grains vintage. Something About You, Almighty Gosh sont du même acabit punchy.

L'ensemble de Good Grief n'est pas construit autour de cette même veine rythmique orientée dancefloor, en effet le second single Madness est construit sur un mode bien plus sage et ample, une ballade pop aguichante et gracieuse aux atouts mélodiques catchy.

Dans Dusty Trails, Jess et Holly nous offrent une sublime chanson folk aux saveurs acoustiques country; dans l'atmosphérique My Heart Got Caught On Your Sleeve, l'absence de batterie nous fait prendre de l'altitude ne laissant qu'un piano et des cordes accompagner les chanteuses qui œuvrent à l'unisson.

Almost Makes Me Wish For Rain revêt des accents R&B, Truce arbore les reflets chauds d'une soul sensuelle, tandis que Gone Insane nous rappelle les sonorités puissantes de Gossip.

Lucius nous envoie sa nouvelle bombe qui ne manquera pas de ravir les amateurs de sons electro pop.


lundi 25 janvier 2016

Abaji - Route&Roots (Absilone/Socadisc)

Abaji - Route&Roots (Absilone/Socadisc)
Né au Liban et d'origine arménienne, le multi-instrumentiste gréco-turc Abaji s'exile en France en 1976 fuyant une guerre civile qui déchirera son pays jusqu'au début des années 90. Passionné par les médecines chinoises, la musique sera finalement la voie qu'il empruntera, explorant les sonorités d'instruments traditionnels de sa région natale et s'abreuvant au gré de ses voyages d'influences variées allant de la musique indienne ou sud-africaine au blues en passant bien sûr par la musique orientale notamment gnawa.
Il publie aujourd'hui son 6° opus intitulé Route&Roots, un titre qui résume à merveille l'esthétique du projet dans lequel l'artiste convie les joueurs de doudouk Vardan Grigoryan et de kakak kemane Mahmut Demir. Respectivement d'Arménie et de Turquie, ces deux musiciens participent à ce retour aux sources voulu par Abaji qui, au chant, au oud, à la flûte, au bouzouki et autres cordes ou percussions, rend les frontières perméables et réconcilie deux peuples aux relations tendues.
En 2009, son retour au Liban lui avait inspiré Origine Orients dans lequel il s'exprimait dans les 5 langues de sa famille (français, turc, arménien, grec et arabe). Enregistrés aussi en polyglottie et toujours en une seule prise, les 17 morceaux de Route&Roots nous proposent à nouveau une immersion intimiste dans l'univers acoustique teinté de folk, de blues et de world d'un globetrotteur invétéré, qui remonte cette fois-ci le temps à la découverte des racines parentales.
Sans artifice, le disque a été réalisé grâce à son studio mobil, composé du minimum pour accéder à un maximum d'authenticité dans la captation des sons et le traitement des ambiances et des espaces.
Ses chants fédérateurs et universels sont emplis de nostalgie, une saudade orientale poétique et touchante orchestrée par "un métèque poreux à tous les souffles du monde".

 

vendredi 22 janvier 2016

Matmos - Ultimate Care II (Thrill Jockey Records)


Matmos - Ultimate Care II (Thrill Jockey Records)

Le grand public a entendu parler du duo electro-conceptuel de San Francisco Matmos  grâce à sa collaboration avec Björk sur les disques Vespertine en 2001 et Medulla en 2004. M.C. (Martin) Sschmidt et Drew Daniel nous présentent aujourd'hui leur 10° opus intitulé Ultimate Care II. La forme de cet album est peu conventionnelle, puisqu'il est construit entièrement avec les sons générés par une machine à laver Whirlpool Ultimate Care II. Une seule piste s'écoule durant 38 minutes restituant dans un certain ordre assemblé les bruits des différentes pièces de l'objet malmené, trituré ou frappé comme une percussion. Les artistes ont capté ces emprunts au réel, les ont échantillonnés, séquencés et modifiés pour obtenir un vocabulaire sonore, mélodique et rythmique qui se rapproche des expérimentations musicales concrètes et industrielles comme des genres électroniques du type drone, glitch ou house. On peut aussi y percevoir les influences du free-jazz, du krautrock ou du new-age… Malgré cette approche expérimentale, Ultimate Care II peut s'écouter sans être rebuté dès la première mesure, c'est peut-être là que réside tout l'intérêt de l'exercice !

Goldmund – Sometimes (Western Vinyl)

Goldmund – Sometimes (Western Vinyl)

Le compositeur et multi-instrumentiste américain Keith Kenniff alias Goldmund nous présente son nouveau projet baptisé Sometimes. Ce disque tendre et touchant se compose de 17 plages ambient plutôt courtes, au cours desquelles le producteur élabore de subtiles nappes musicales postclassiques où des mélodies dépouillées et interprétées sur un piano réverbéré s'évaporent dans des brouillards électroniques aux sonorités organiques. Moins acoustique qu'une pièce de Ludovico Einaudi, Sometimes déploie cette même force évocatrice d'images. L'auditeur, happé par ces textures immatérielles, erre dans un espace aux contours flous et habité de mélancolie. Malgré que la lumière y soit faible voire quasi absente, il est guidé par quelques notes délicates suspendues comme en apesanteur et quelques emprunts sonores familiers (la pluie, un courant d'eau qui ruisselle, une brise dans les feuillages ou encore quelques échos indiscernables…). Le seul ingrédient qui pourrait s'apparenter à un élément rythmique est le bruit a demi étouffé que font les doigts de Keith en martelant les touches de son instrument, ces petits riens presque inaudibles font la qualité indéniable de ce disque d'hiver aux allures de bande-son invitant à la rêverie et au repos.
A noter l'intervention du maître japonais Ryuichi Sakamoto sur le titre A World I Give dont les premières notes nous rappellent étrangement l'illustre Love Theme de Spartacus, devenu depuis la sortie du film de Stanley Kubrick en 1960 le standard de jazz par excellence.

Space Captain – In Memory (Tru Thoughts)


Space Captain – In Memory (Tru Thoughts)

C'est en juin dernier, grâce à l'entremise du label anglais Tru Thoughts que nous découvrions Space Captain, le collectif basé à Brooklyn nous livrait alors son excellent single Easier/Remedy. Poursuivant son incursion dans les sonorités hip-hop, R&B et electro, la formation menée par le producteur Alex Pyle et la chanteuse Maralisa Simmons-Cook publie 5 nouveaux titres dans un EP baptisé In Memory.

Si l'ouverture Screams baigne l'auditeur une nappe de réverbes laissant à peine échapper le chant d'une sirène, Landing/Up In The Hills nous immerge quant à lui dans une production instrumentale lorgnant sur un abstract hip-hop tourmenté par des glitchs, qui se mue en une ode cosmic soul éthérée habitée par la délicieuse voix de Maralisa. Cosmos poursuit notre aventure spatiale avec ses sonorités jazzy jusqu'à ce que naisse une rythmique hip-hop construite selon les préceptes édictés par le grand J. Dilla. Still est à considérer comme l'introduction du titre phare de l'EP à savoir Two, Maralisa y déploie les atouts d'une voix sensuelle et profondément soul tandis qu'Alex élabore une instrumentation dominée par les accords d'une guitare lancinante, le tempo est lent, l'atmosphère y est vaporeuse et des plus enivrantes jusqu'à ce qu'elle se brouille et se sature d'ondes électriques… On s'attendrait presque à voir surgir Fly Lo au détour de ces expérimentations soniques torturées.

jeudi 21 janvier 2016

Ed Motta – Perpetual Gateways (Membran Entertainment Group)


Ed Motta – Perpetual Gateways (Membran Entertainment Group)

Le crooner et soulman brésilien Ed Motta nous revient avec un sublime Perpetual Gateways, son 15° album qu'il publie grâce à l'entremise du label allemand Membran (Joss Stone, Peter Schilling, Jimmy Somerville, Johnny Winter…).
Depuis son premier opus paru à la fin des années 80, le chanteur a su imposer sa signature soul/funk sur un marché brésilien inondé par la MPB (musique populaire brésilienne). Presque 30 ans plus tard, le multi instrumentiste nous régale toujours de ses sonorités jazzy gorgées de lumière carioca et ce n'est pas ce dernier disque qui changera la donne.
En effet on y retrouve sa voix de velours aux rondeurs des plus sensuelles, son groove assassin et classieux sans doute hérité de son oncle Tim Maia ('Barry White de la soul brésilienne'), ainsi que ses arrangements sophistiqués aussi bien influencés par les Earth Wind & Fire (Captain's Refusal) et Stevie Wonder (Good Intentions) que par les piliers du be-bop (The Owner), de la bossa nova, du tropicalisme ou du rock anglais.

Perpetual Gateways se divise en deux mouvements, dans le premier l'auteur/compositeur y expose son amour pour les textures rythmiques chaudes et chaloupées du funk, de la soul et du R&B, il y développe 5 titres à la magie contagieuse et entraînante (dans la lignée de ses idoles Steely Dan et Donald Fagen) même lorsqu'il s'agit de ballades romantiques telles que Reader's Choice. Les lignes de basse électrique de Cecil Mc Bee Jr. (fils de Cecil Mc Bee qui officia à la contre basse auprès d'Alice Coltrane, Art Pepper ou encore Yusef Lateef) y sont pour beaucoup!

Dans un second temps, Forgotten Nickname marque un changement de registre avec ses reflets acoustiques habités de ces notes bleues si précieuses et délicates, on notera d'ailleurs la délicieuse intervention du flutiste américain Hubert Laws (George Benson, Chet Baker, Chick Corea, Quincy Jones…).

A Town In Flame ravira les amateurs de jazz vocal effervescent aux orchestrations euphoriques chargées de cuivres (Curtis Taylor à la trompette, Charles Owens et Ricky Woodard au sax) et de claviers (Patrice Rushen et Greg Phillinganes) qu'un certain Gregory Porter démocratise depuis quelques années (pour l'anecdote, c'est le même Hubert Laws qui donna sa chance à l'ancien joueur de football américain, alors petit protégé de l'actuel producteur d'Ed Kamau Kenyatta, dans son hommage à Nat King Cole en 1998).

Le tempo est soutenu par l'énergique batteur Marvin 'Smitty' Smith (Jon Hendricks, Achie Shepp, Sting…) et l'étonnant contrebassiste californien Tony Dumas, tous deux nous offrent l'assise des épiques I Remember Julie et Overblown Overweight, véritables temps forts de l'album avec leur swing ravageur et terriblement généreux.

Ed Motta nous offre à nouveau un rayon de soleil, une onde soul/jazz aux vibrations positives et aux pulsations enivrantes. Aucune fausse note parmi les 10 titres qu'il a écrits et composés, épaulé par un mentor, le pianiste, saxophoniste, enseignant et arrangeur de Détroit Kamau Kenyatta. La sortie européenne de Perpetual Gateways est prévue pour courant Février…